L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


vendredi 20 décembre 2013

Analyse de Fight Club - La fourmilière de Tyler Durden



Je m'étais promis un jour d'y venir. Parler du film de David Fincher (1999) tiré du roman de l'ancien journaliste américain Chuck Palaniuk.

 
Pourquoi ne pas visiter quelques points qui se dégagent de cette oeuvre devenue culte ? Pourquoi ne pas défier les paradoxes ? 
Est-elle suffisamment bien interprétée ? Magnifique satire de notre monde contemporain, des modes de consommation, de la solitude et du capitalisme malade. Bienvenue sur la route de la déshumanisation.





Une Fourmilière
"En tous points de vues, Dieu te déteste"

La place de l'humain est remise en question. Quelle échelle lui accorder ? L'être humain incapable de différencier une fourmi d'une autre n'aura aucun remord à piétiner une fourmilière ou écraser quelques fourmis. Il distingue une communauté infiniment trop petite pour y prêter quelconque attention ou le moindre sentiment. Tuer un être humain est différent. On s'attaque à un semblable, une personne que l'on pourrait identifier. A l'échelle d'un Dieu, l'homme est peut être comparable à cette petite fourmi. Tous identiques, bien trop petits pour y prêter attention. Celui qui prétend être au-dessus de ses semblables pense pouvoir les exploiter ou les éliminer sans état d'âme. Selon Tyler, Dieu est qui il est sans doute parce qu'il est le seul à pouvoir distinguer une fourmi d'une autre. Dieu pourrait nous détester car l'Homme aurait oublié sa capacité de fonder une communauté soudée. Le personnage se fait tout petit, son groupe agit en sous-sol entre les piliers de béton. Il peuple sa fourmilière, crée ses petits soldats, prêts à sortir accomplir leur mission. Ils deviennent tous véritablement égaux et perdent leur identité. Comme les fourmis nous n’arrivons plus à les distinguer. Elles sont solidaires, discrètes, agissent dans l'ombre. Elles sont partout mais l'homme ordinaire ne les remarque pas. Lors du projet chaos ils s'habillent tous en noir et affirment leur appartenance à un seul groupe. La communauté devient organisée, la maison délabrée semblable à cette fourmilière s'organise, se divise en groupes qui ont chacun leur particularité. Par leur nombre ils veulent recréer ce monde qui leur appartient de droit. Il faut détruire les fondations, ébranler les plus hauts buildings d'une finance qui ne fonctionne plus. Les fourgons remplis de nitroglycérine s'attaquent aux fondations de ces buildings, faisant descendre au niveau zéro les individus qui se sont crus supérieurs à leurs semblables. La fin du film n'a pas tant besoin d'être expliquée, elle est juste symbolique. Mais qui est la reine de ce petit monde ? Tyler ou Marla ?



Un film qui fabrique du Culte

Tant sont les spectateurs qui retiennent les phrases du film. Les mots de Tyler ressemblent à des slogans publicitaires ou politiques. Il se présente comme un prophète qui vend de la "devise" à ses petites progénitures. Film qui se dit, ou fait dire aux spectateurs, être anti monde de consommation crée par son "cultissisme" de la référence à consommer. Le fan de Fight Club regardera une dizaine de fois le film, rendant le produit un objet purement contradictoire. Fight Club devient le bijou à obtenir absolument dans sa vidéothèque. De beaux discours qui cependant continuent d'exploiter le consommateur en recherche de violence, de révolutions et d'actes cool. Un film à ne voir qu'une fois ? Il cache bien des mystères comme de retrouver les images pornographiques qui ont été parsemées. Il faut abandonner le système tel que nous le connaissons. Le film joue consciemment sur ces contradictions, mais sont-elles toujours comprises ? Tyler est lui-même victime d'un univers qu'il finit par copier. Il se place à la tête de la fourmilière, il prive ses soldats de leur personnalité. Tous identiques, ils deviennent eux-mêmes des produits du travail à la chaîne. Comme une série de voitures qui se font assembler à l'intérieur d'une usine. "Vous n'êtes pas votre treillis, ni votre portefeuille, la merde de ce monde prêt à tout" - "Vous n'êtes pas un flocon de neige unique"... Tyler répète inlassablement ses discours et ses messages de propagande. Le système ne fonctionne plus. Le capitalisme est montré comme un système malade, dans lequel la population n'arrive plus à s'en sortir. Certains qualifient Tyler de psychopathe communiste... .

Le capitalisme malade ?

Il s'agit du système tel que nous le connaissons aujourd'hui. Ce n'est pas en soit le système qui est malade mais la population qui ne peut plus suivre son fonctionnement. Ce système est caractérisé par le développement rapide de son mode de consommation. Il est à la mode de consommer certains services, d'être au top de la Culture ou des diverses tendances. Tyler dit une chose: "ce que l'on possède fini par nous posséder". C'est sans doute sa définition du capitalisme malade. Cette période de crise économique qui n'a cessée de croître depuis des années, est une période où la technologie a continuée d'exploser. Le vintage ou le rétro deviennent des consommations du passé. Il faut être à la page, utiliser Internet, posséder un I phone et ses nombreuses applications, découvrir les derniers clips ou vidéos. Le capitalisme malade est caractérisé par ces populations qui ne peuvent plus financièrement suivre ces mouvances. Le sentiment de "marginalisation", de perdition, disons d'effacement de l'individu prend de l'ampleur. Tyler met en avant que le produit "aujourd'hui" est parvenu à effacer l'individu. C'est pourquoi il refuse coûte que coûte de posséder "l'éventail IKEA". Lorsque l'on vit dans un système dans lequel nous n'arrivons plus à suivre les tendances, on se sent comme "déconnectés" du système et en proie à une forme d'anomie (perte des repères). Fight Club (Palahnuik) annonçait d'une certaine façon ce vers quoi nous avancions. 



La Schizophrénie Durden

Comment peut-elle s'expliquer ? Elle n'est pas là pour constituer l'univers "cool" de Fight Club. Tyler qui était en proie à l'effacement et donc à l'exclusion, s'est enfermé dans une forme de solitude. Tyler a créé son double afin de combattre sa solitude. Homme vivant seul dans son appartement, travaillant dans l'étude des accidents de voitures, collectant tout le mobilier possible, est fondamentalement seul. Un quotidien qui perd de son sens, Tyler vit comme un zombie et ne dort plus. De retour parmi les "exclus" de la société (les différents groupes de rencontre) Tyler va imaginer pouvoir renouer des liens. Les "marginaux" se rassemblent et créent leur nouvelle communauté. Le Tyler Durden qui apparaît, est celui qui va prendre la tête d'une révolution devenue nécessaire. Fight Club n'est pas à prendre comme un encouragement à la destruction ou à la rébellion ("l'anarchie ne conduit pas au bonheur") mais traduit simplement un mal être qui devient de plus en plus évident.



Marla, l'allégorie du cancer

Le personnage le plus ambigu, est probablement Marla. Toujours en train de souffrir, Marla est décrite comme une "maladie" (la plaie qui ne cicatrise pas). Sans cesse à la recherche de ses défauts, elle veut démontrer qu'elle pourrit de l'intérieur. Concrètement Marla n'a de maladif que son apparence et recherche simplement à vaincre la solitude comme les autres personnages. Rejetée et juste utilisée comme objet sexuel, elle est déshumanisée par Tyler (Brad Pitt). Tyler Durden déshumanise les gens et fini par oublier l'importance de l'authenticité. Nous vivons dans Fight Club un combat entre individualisme et déshumanisation. "Edward Norton" résout ce compromis en se débarrassant de "Brad Pitt". Il se sauve d'une complète déshumanisation et décide de s'unir à Marla afin de combattre le vrai mal être.




Rameau Antoine

dimanche 8 décembre 2013

Analyse du film Cartel de Ridley Scott

 

Trois oeuvres de Cormac Mc Carthy

No Country for Old Man (2007 - les frères Coen) La Route (2009 - John Hilcoat) Cartel (2013 - Ridley Scott)

 



Cormac McCarthy est un écrivain américain né le 20 juillet 1933. Il a écrit The Orchard Keeper en 1965, Outer Dark en 1968 et Suttree en 1979. L'auteur a vécu des deux côtés de la frontière Mexique/Etats Unis, à El Paso au Texas à partir de 1976 et aujourd'hui à Santa Fe au Nouveau Mexique. Cette position est ce qui lui a sans doute permis de concevoir le scénario de Cartel : les trafiques, les immigrations clandestines, l’ambiguïté des lois entre les deux pays. Il obtient le prix Pulitzer en 2007 et le prix des libraires du Québec avec La Route.

Ces trois œuvres fonctionnent autour d'une frontière à franchir (ou pas). Les personnages, un peu vagabonds, sont plutôt en déroute qu'autre chose. Ils s'imprègnent de la mort, de l'irréparable, du chemin de non retour comme d'une malédiction. Une vie uniquement constituée de choix. Peut être un peu manichéens, ces films mettent en avant des personnages qui doivent faire un choix entre une bonne et une mauvaise voie. Ils sont aventureux, se sentent en position de force, parfois prétentieux et vaniteux ils s'abandonnent aux travers de l'homme, ses pêchés, l'argent, la drogue, le meurtre... . La mort devient un compagnon de route qui use ces personnages. Parfois même ils sont confrontés à perdre tout ce qu'ils possèdent et préféreraient mourir. La mort est pour Michael Fassbender dans Cartel un luxe qu'il ne peut même plus s'offrir. Le personnage principal est comme maudit et il apporte le malheur à ses proches. La Route est un film dans lequel il n'y a plus de notions de frontières et de règles. Le personnage décide d'aller dans le sud des Etats Unis dans l'espoir de survivre à l'hiver. En levant toutes limites, la mort est alors omniprésente. Le personnage de Viggo Mortensen contrairement dans les autres films adaptés de Cormac, n'est pas confronté à dépasser les limites puisqu'elles n'existent plus.

Dans No Country For Old Men, le personnage de Josh Brolin (Llewelyn Moss) s'empare d'un paquet d'argent qui ne lui appartient pas. Un magot vers lequel tout converge: la tentation, les criminels, les mafias, les gens ordinaires, la police. Llewelyn est sans cesse dans la fuite et l'épuisement. Alors qu'il réussi désespérément à se sauver du tueur Anton Chigurh, il est balayé en un clin d’œil par ceux qui ont perdus leur argent lors de la sanguinolente transaction (probablement le Cartel). La femme de Llewelyn, Carla Jean devient malgré elle la victime d'Anton. Pénélope Cruz subit dans Cartel le même schéma. L'avocat joue avec le feu et finit par être confronté à l’incontrôlable situation. Ne sachant plus quoi faire il fuit, abandonné en lâche. Sa compagne est victime du sort que  décrit le personnage de Brad Pitt. Il est inutile de montrer la cruauté des tueurs là où le désespoir de l'avocat suffit pour confirmer nos craintes. M. Fassbender se retrouve seul avec ses regrets. Chacun de ces films arrivent à traduire la force oppressante des oeuvres de l'écrivain. Le sort des personnages est alors confié aux "Dieux". Leurs actes sont jugés selon leur véritable nature. L'avocat se voit refuser le droit de mourir. La tragédie (dite de façon simple) est une histoire qui nous présente les souffrances du personnage jusqu'à sa mort. La mort du héros qui a souffert devient un acte de beauté et d'immortalité. Malgré ses souffrances, l'avocat dans Cartel ne peut accéder à ce statut de héros tragique car il est épargné. Llewelyn meurt dans No Country For Old Men, ce qui nous permet de conserver nos attaches avec le personnage. Le barman mexicain dit une chose à Michael Fassbender que nous pouvons expliquer de cette façon: depuis que j'ai perdu ma femme, ma vie est une tragédie sans fin. 

Cartel n'est pas un excellent, mais un bon film. Il laisse sans doute une partie des spectateurs sur leur fin tout simplement parce qu'il n'y a pas de fin pour le personnage principal. Les rôles sont biens joués et les interprétations sont globalement réussies. Cartel est un film qui ne manque pas de challenge et qui est moins simple à faire adhérer au spectateur qu'un No Country For Old Men (par rapport aux codes que nous venons de décrire). Il demeure un film de divertissement qui a tendance parfois à trop caricaturer ses personnages. Le casting est conséquent et peut être trop décalé. On aurait pu remplacer certaines personnalités par des acteurs moins connus. Fassbender est l'un des personnages les plus aboutis. Cet ensemble préserve le "kitchissisme" d'un Ridley Scott dont on reconnaît le style.



Rameau Antoine

mardi 19 novembre 2013

Analyse et Critique - Inside Llewyn Davis

 
Inside Llewyn Davis, réalisé par Joel et Ethan Coen, drame avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman. Durée 1h45. Il a remporté le prix du Grand Jury au 66e Festival de Cannes.





Le personnage principal serait inspiré de Dave Van Ronk, vagabond musicien des années 60 et de la vie de Bob Dylan. Les frères Coen ne choisissent pas de montrer l’ascension d'un artiste au bord du gouffre, mais la semaine d'un type méconnu sur le point d'y tomber. Llewyn Davis, sdf en quête de gloire, aspire à un grand avenir.

Comme à leur habitude les deux réalisateurs présentent les évènements telle une fable. Une grande partie de leur filmographie commence et se termine avec un narrateur extérieur (ou non) à l'intrigue. Un personnage qui en sait d'avantage sur le personnage que le personnage lui même. Un peu moraliste, ce narrateur est à mi chemin entre les personnages et les spectateurs. Il est ce point de vue objectif, celui qui regarde les choses d'un pas en arrière. On peut mentionner le cow-boy dans The Big Lebowsky, le personnage de Tommy Lee Jones dans No Country for Old Man, ou encore la légendre qui précède l'histoire de A Serious Man. Les frères Coen démontrent qu'une tortue peut battre un lièvre à la course. Rien n'est jamais acquit. Llewyn joue sur la scène du Gaslight, nous le pensons alors artiste reconnu. C'est alors que le disque Vinyle arrive à terme de son histoire. Llewyn nous parle d'une chanson connue que les gens ont l'habitude d'entendre. Il est confronté au narrateur tapis dans l'ombre. Individu qui semble connaître le personnage bien mieux que nous. Il frappe Llewyn, plaçant le bras du lecteur de Vinyle de nouveau au début. L'aventure commence avec le gros plan d'un chat roux. Le chat symbolise le vagabond, celui qui arpente les rues, sans réel toit, un peu recueilli par tout le monde. Llewyn (qui ne se l'avoue pas) est pris d'affection pour ce chat en qui il se reconnaît: à la fois marginalisé et attendrissant. Ce chat rappel régulièrement la vraie nature du personnage principal. Quelqu'un de solitaire, fragile, capable de s'attirer les foudres de son entourage car il est complètement exclu du système.

Llewyn conserve toute sa poésie et son romantisme. Un peu à la manière d'un road-movie, il voyage en rencontrant des personnalités parfois extrêmes. Que cela soit le chat ou la rencontre avec le personnage interprété par John Goodman, ils ne sont que des messages, des symboles qui appartiennent aux chansons de Llewyn. Les trajets à pieds et en voiture, traduisent le rythme d'un disque qui tourne. Avant l'accident de la route, les ralentisseurs placés sur la route ne constituent pas les éléments suffisant pour réveiller le personnage. Ces ralentisseurs (et les essuies glace) fonctionnent comme un métronome. Llewyn est bercé dans son illusion. Quand le film fait appel à son humanité et à sa raison, celui-ci quitte le navire à la recherche d'un autre foyer.
Son père devient le seul public qu'il arrive à émouvoir. N'acceptant pas l'échec, il mise tout sur sa rencontre avec le producteur de Chicago. Le spectateur qui est touché par les chansons de Llewyn, compatit pour lui. Aucun horizon ne s'ouvre à lui, il est régulièrement irrité par les personnages qui ne retiennent que son succès passé. Il rejette sa mélancolie et rabaisse les autres par sentiment d'échec. 

De retour au Gaslight, Llewyn joue les seules musiques qu'il possède. Celle de l'album "Inside Llewyn Davis", un titre égocentrique qui tourne autour du "moi" et du "je". Le "disque Vinyle" (ou bande sonore) du film arrive à terme faisant confronter de nouveau le narrateur et le personnage principal. L'homme remet en cause l'égocentrisme qui a été parsemé tout le long du film. L'histoire ressemble à un disque rayé, voué à la répétition d'une même chanson et du souvenir.

Les frères Coen définissent à leur façon le mot "borné" sans faire de manichéisme.



Rameau Antoine

Analyse et Critique - Gravity d'Alfonso Cuaron

 

 
Gravity sortit ces dernières semaines en salles, avec à l'affiche Georges Clooney et Sandra Bullock est réellement l'une des premières claques 3D que j'ai pu recevoir. Cette technologie évolue toujours de plus en plus, mais elle est plus ou moins pertinente selon le contexte du film. Certains films m'ont laissés le sentiment que son utilisation était inutile ou n'apportait rien visuellement. On se souvient de l'un des premiers films grand spectacle à l'exploiter: Avatar, où on découvrait ce nouveau cinéma. De vieux films sont revenus comme Titanic ou Star Wars. On apprécie, on n'apprécie pas, on est convaincu ou on ne l'est pas. Je me souviens avoir vu des films d'horreur en 3D: Saw, Destination Finale, Silent Hill où l'effet ne m'apporte pas grand chose. C'est probablement plus immersif. J'ai été déçu également par Alice au pays des merveilles de Tim Burton. Encore plus récemment j'ai pu découvrir le Metallica through the never dans lequel la 3D fonctionne mais la fiction laisse à désirer. Voir le groupe sur scène suffisait.

Gravity permet de donner un sens au terme "d'expérience 3D". Ryan Stone et Matt Kowalsky sont envoyés dans l'espace afin de réparer un satellite tombé en panne. Il s'agit à l'origine d'une simple mission, seulement un champ d'astéroïdes est sorti de sa trajectoire et percute le vaisseau de nos personnages. La suite de l'histoire est une longue tentative de survie dans l'espace. L'intrigue est certes simple, il ne se passe pas toujours grand-chose. J'ai entendu deux versions, voire trois: un public impressionné par le film, ceux qui n'ont pas aimés le scénario et d'autres n'ont pas été convaincus par la 3D. Avec humour, je leur dit qu'il faut ouvrir les yeux pendant un film. Un scénario qui travaille l'aspect "survie" peut toujours paraître facile. Mettons-nous à la place d'un cosmonaute: que peut-il se passer réellement quand on est perdus dans l'espace ? 

Aliens ? Voitures volantes ? Des stations Dinners en lévitation ? Non, Gravity exploite suffisamment la carte du "mauvais endroit au mauvais moment". Ne jamais oublier que Gravity est une expérience visuelle, d'acteurs et sensationnelle. Imaginez que la totalité du film soit tourné dans un cube aux 6 faces blanches avec des acteurs accrochés à des harnais. Georges Clooney semble subir les tests de la NASA. Pour la première fois, un spectateur arrive à ressentir l'angoisse d’être perdu dans l'infiniment grand. Difficile de garder espoir dans une telle situation. Ryan Stone ne contrôle aucun de ses mouvements dans la limite où elle n'arrive pas à se retenir à quoi que ce soit. Corps en absence de gravité, l'experte en ingénierie médicale n'a plus d'autre choix que de subir la rotation du système. Logé dans le casque, le spectateur ne distingue aucune échappatoire et se retrouve abandonné au néant. Le public suffoque comme s'il se sentait enfermé. Ce sentiment est paradoxal puisque le personnage est livré à l'infini. Cette panique du vide ressemblerait à cette même panique qu’éprouve le personnage enterré vivant. Nos gestes n'ont aucune emprise, personne ne nous entend et ne nous parle, la mort n'est plus soudaine, elle s'insère progressivement en soi. Elle laisse place à de l'euphorie. Il est même assez inimaginable de voir que Ryan Stone (Sandra Bullock) ai eu autant d'opportunités de survie. Seule au beau milieu de l'atelier du créateur, le personnage est confronté à la mort mais aussi à de nombreuses renaissances. Quand elle entre dans la capsule de sauvetage, Ryan Stone se sent protégée, elle renoue avec le cocon humain fait de métal. En position fœtale, elle recherche l'espoir et accède de nouveau à la vie. Elle se déploie à la recherche d'une faille, d'une issue. Entre impuissance et adrénaline elle parvient miraculeusement à retourner sur Terre. La Gravité gagne en force lorsque la capsule entraîne le personnage jusqu'au fond de l'océan. Soulagée, Ryan garde son corps en contact du sol boueux. 

Le cinéma est aujourd'hui un luxe. Mais si vous recherchez l'expérience 3D, Gravity est une réussite. Ceux qui possèdent un écran 3D à la maison, Gravity sera probablement une très bonne idée DVD (blu ray).



Rameau Antoine

jeudi 7 novembre 2013

FAIRECOURT Frissons / Nov-Dec 2013



Retrouvez la programmation de Fairecourt et l'Atelier 142 sur le site: http://www.fairecourt.com/
 
 
 
Il est 20h30 à Clermont de l’Oise, Fairecourt diffuse sa seconde projection après celle de Thourotte du mardi 5 novembre. Le thème de ce mois de novembre et décembre laisse place au frisson avec en programmation sept courts métrages.

La soirée réunie dans le cinéma du Clermontois une dizaine de personnes curieuses et intriguées par cette sélection d’une durée d’1h40 environ.



-La séance débute avec le court métrage Silence (13’45 - 2013) réalisé par Pierre Gil Lecouvey. Emmanuelle Guth (30 ans) et Pierre Gil Lecouvey (38 ans) produisent eux-mêmes leur travail sous le nom de Spook (Emmanuelle) et Gloom (Pierre). Ils ont réalisés un deuxième court métrage Stress-Killer qui a été sélectionné l’année dernière au Festival Coupé court de Bordeaux. Deux étudiants Mélodie et Octave décident de passer la nuit dans la bibliothèque de leur Université. Des phénomènes étranges arrivent. Pierre et Emmanuelle jouent sur l’intensité du son et de la musique pour provoquer le sursaut chez le spectateur. Le métrage construit l’angoisse en alternant silence et sons explosifs. Lorsqu’un personnage se retrouve prisonnier du cadre de la caméra, la visibilité du spectateur est restreinte et l’empêche d’anticiper. Le son explosif déclenche le sursaut lorsque l’angle de la caméra est perturbé par un évènement soudain. Silence défie les interdits et le lieu de la bibliothèque se prête parfaitement à la situation. Comme des enfants pris la main dans le sac, Octave et Mélodie (deux prénoms très sonores), sont punis par l’horreur la plus inattendue. Ce retournement mêle humour et horreur, deux ingrédients que Spook et Gloom se sont déjà appropriés dans Stress-Killer.


-Terminus (4’05 - 2012) de Nikodem Rautszko Panz, produit par Video Graphic, est certes très court mais il fonctionne. La scène se passe dans un wagon de métro et nous avons à faire à trois personnages. Le plus inquiétant des trois semble à l’origine des incidents qui se produisent. Là où Silence exploite le son, Terminus se sert de la lumière pour traduire la force fantomatique présente dans l’histoire. Ce court métrage prouve que l’on peut construire le suspense et nourrir la peur avec très peu de moyens. Les lumières du wagon s’éteignent plongeant les personnages dans le noir. On joue sur des disparitions qui nous permettent de supposer qu’il y a des transferts ou des permutations qui s’effectuent entre les protagonistes. Terminus propose une intrigue simple mais qui mérite sa place au sein de la sélection.




-Saïd (23’ - 2012) réalisé par Valentin Frentzel et Benjamin Rancoule, visite l’univers du zombie et de l’infection. Leur maison de production « 1986 Prod » est associée avec certains labels de la musique ou des artistes tels que La Fouine (Laouni Mouhid) qui est le personnage principal de Saïd. Influencés par le cinéma de Danny Boyle avec 28 jours plus tard, Saïd présente un climat de chaos ou les personnages sont sans cesse en train de fuir. Valentin et Benjamin font le choix d’esthétiser le court métrage en filmant en noir et blanc. L’infecté, forme évoluée du zombie, est un monstre avide de chair capable de pourchasser inlassablement. Les mouvements frénétiques de la caméra permettent de rendre la situation encore plus réelle. Telle une vue subjective, le cameraman court tout en tenant son appareil. Cet effet nous laisse penser que la catastrophe est bien réelle et qu’il en est de la survie des deux artistes de fuir aux côtés de Saïd.



-Tommy (9’ - 2011) est réalisé par Arnold de Parscau et produit par ESRA Bretagne. L’ESRA est l’Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle créée en 1972 à Paris et implantée à Nice en 1988 puis à Rennes en 1999. Arnold réalise Tommy dans le cadre de ses études et se fait remarquer par David Lynch qui se sert du court métrage comme clip officiel pour sa chanson « good bye today ». Il obtient grâce à son œuvre le prix Eric JEAN. Tommy est un jeune garçon perturbé par le cocon viscéral de sa famille. Véritable huis clos, la salle à manger ressemblerait à l’intérieur encombré de sa boîte crânienne.  Comme un tableau irréaliste, chaque membre de la famille participe en tant qu’élément actif de la folie de Tommy. C’est probablement cette mise en scène de la folie qui a retenue l’attention de David Lynch. On peut rapprocher la salle à manger dans Tommy avec celle dans le film Inland Empire sorti en salles en 2006. Dans le film de Lynch les protagonistes portent des masques de lapin et semblent enfermés dans leur dimension. Cette dimension construite directement par le studio de cinéma, confine les personnages dans un lieu où habiterait « la mort ». Tommy plonge métaphoriquement dans la folie en introduisant profondément son jouet dans son plat. Le rêve du garçon nous transporte sur les mers brumeuses qui entourent la Bretagne.


Le Cinéma du Clermontois allume ses lumières. C’est l’entracte. Tout le monde se réuni dans l’entrée du cinéma et partage leurs premières impressions autour d’un verre. Les avis sont partagés et les sensibilités différentes. Les spectateurs de Fairecourt rejoignent impatiemment leur siège.



-Rail (20’ – 2009) d’Yvan Georges dit Soudril ouvre la deuxième partie de cette soirée. Yvan a réalisé trois courts métrages : Block (2005) et Rail (2009) qu’il a autoproduit et Le Syndrome de Cushing (2011) avec Heska Productions une société créée en juin 2011 par Cyril Schulmann et Nabil Khouri. Rail présente un personnage qui du statut de victime se dirige vers celui du monstre. Il se métamorphose lorsqu’il prend possession d’une arme. Il cherche à se venger et à enterrer définitivement ses faiblesses. Tel Robert De Niro dans Taxi Driver, le personnage veut se transformer en un individu dangereux et surentraîné. Il répète de nombreux gestes, il modifie son look afin d’inspirer la crainte. Cette transformation le pousse à rejeter tout ce qui lui semble faible, au point d’écraser d’autres victimes selon lui incapables de se défendre. Progressivement l’organisme du protagoniste est affecté, il devient une entité indescriptible tantôt en décomposition, tantôt en pleine mutation. On retrouve l’influence du cinéaste David Cronenberg qui travaille le corps humain en fusionnant l’organique et le matériel. Le personnage ne fait plus qu’un avec le pistolet. Son corps rejette des balles. Il arrache ses ongles comme le fit l’acteur Jeff Goldblum dans La Mouche (1986). On peut faire un parallèle avec le film Existenz (1999) de Cronenberg dans lequel l’acteur Jude Law constitue une arme en se servant des restes d’un plat et en prenant ses dents comme balles. Le personnage de Rail devient l’arme, il perd toute identité et se confond lui-même avec la violence dont il fut victime.



-On continue la soirée Fairecourt avec un deuxième court métrage d’Yvan Georges dit Soudril : Le Syndrome de Cushing (17’ - 2011). Le syndrome de Cushing serait une maladie hormonale aux conséquences psychiatriques. Le personnage de l’intrigue, malade, tente d’échapper à sa situation en s’imaginant dans un autre corps et vivant une autre vie. Cependant son esprit instable perturbe le monde qu’il s’est créé et chavire de nouveau vers la folie. Il rêve de meurtres et de vengeances. Ce syndrome est défini comme un hypercortisolisme chronique. Ceci est dût à un excès de sécrétion d’hormones cortico-surrénalienne. Harvey Cushing décrit ce syndrome en 1932. Il se manifeste chez l’homme par l’apparition d’une obésité chronique de la partie supérieure du corps, des aspects bouffis du visage, des manifestations cutanées, un hirsutisme et des troubles psychologiques variés. Le personnage du court métrage apparaît brièvement de dos au début de l’histoire. Quand nous revenons à lui, on constate comment il a manipulé la réalité pour rendre sa vie « supportable ».



-Nous en arrivons au dernier court métrage de cette soirée frissons avec La Dame Blanche (15’ – 2012) d’Arnaud Baur, produit par Nitrium Films. Arnaud s’est rendu à Lisbonne en octobre 2012 et a visité la ville de Cintra où serait apparue la dame blanche pour la première fois. Malgré toutes les versions qui peuvent exister autour de la légende, le réalisateur reste au plus près de la version originale et reprend simplement le nom américain de la défunte. L’histoire raconte qu’une jeune femme a été renversée par un automobiliste et qu’elle hante depuis les routes ainsi que sa famille. Ceux qui ont la possibilité de la rencontrer ne peuvent détourner leur regard de cette femme. Ils tentent de la suivre jusqu’à ce que la mort ne les emporte. La dame blanche est comparable à une sirène, elle charme, hypnotise ceux qui peuvent la voir et les marque de sa malédiction.


La soirée Fairecourt s’achève. Les spectateurs sortent de la salle satisfaits, donnant leur ultime appréciation. Parmi le public, l’un d’entre eux a assisté pour la première fois à une soirée Fairecourt et prend cette expérience comme une excellente façon d’aborder le cinéma.






RAMEAU Antoine. 

mercredi 9 octobre 2013

Nouvelle: "Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" (dernière et 3e partie)


Dernière partie de la Nouvelle:
"Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" d'Antoine Rameau.
 
 
 
Plusieurs mois s’étaient écoulés. Nous logions au sommet d’un building. Notre nouveau foyer prenait tout le dernier étage en superficie. Thomas réserva l’étage du dessous pour le siège de l’entreprise Anderson. L’étage professionnel servait aux meetings, aux réunions et comptait également les bureaux des hauts dirigeants de la société qui travaillaient pour les Anderson. Les étages d’en dessous étaient d’autres bureaux pour les cadres, puis les plus bas étaient des logements luxueux. Thomas avait une terrasse en guise de toit. Il avait le sentiment de pouvoir enfin respirer, voir la civilisation. Le bâtiment lui offrait une vue magnifique sur l’agglutinement de l’activité urbaine. Il pouvait voir le Parlement et Big Ben de sa position ainsi que le prolongement de la Tamise. Il m’était des plus étranges de devenir le majordome d’un foyer aussi moderne. En réalité l’entretient de l’appartement était une partie de plaisir contrairement au manoir. Je ne savais pas quoi penser, si vivre ici était une preuve que nous régressions ou que nous nous modernisions. Au fur et à mesure d’autres tâches de nouvelle nature faisaient leur apparition. Je faisais guise de chauffeur personnel, je permettais les visites de Thomas dans son appartement, j’installais les gens, leur servais le thé. J’accompagnais Thomas au théâtre, au Globe Theater. Nous avions un bateau qui nous était réservé et faisait office de restaurant pour un large public. Thomas était de plus en plus autonome, il travaillait encore coude à coude avec le subordonné de son père. Il ne lui restait plus qu’une année à accomplir pour faire ses preuves. Quant à moi, je consacrais mon temps à étudier Londres dans ses moindres recoins. Comme je le fis pour le manoir, j’étendais mes connaissances jusqu’aux frontières de la ville. Londres est une capitale immense, cela m’a demandé beaucoup de temps, mais je réussi à intégrer la vie urbaine avec succès. Je connaissais toutes les grandes rues, les grands carrefours, les places publiques, les grands magasins, les sites culturels, l’emplacement des autres entreprises, le réseau du transport souterrain. Dans cet immense labyrinthe, je me construisais les meilleurs raccourcis, je déterminais les zones les plus et les moins denses en population. Je côtoyais pendant un certain temps, les bars et les petits restaurants pour connaître les potins, et les magouilles de chaque quartier. J’étais loin d’avoir la carrure suffisante, pour être un véritable garde du corps, je n’étais d’ailleurs plus tout jeune, mais pas encore rouillé pour autant. Par mes capacités à anticiper, à mémoriser, puis à évaluer, j’étais devenu le londonien le plus fiable qu’il soit. Certains n’avaient pas assez d’une vie pour accomplir cette performance. Ceci me permettait à ma façon de protéger Thomas.

Il prenait de plus en plus ses marques. Au tout début il ne bougea pas beaucoup du bâtiment, certainement parce qu’il n’était pas habitué à tout cela. Sa célébrité, lui ouvrit des portes et diverses relations à droite et à gauche. Il rentrait de plus en plus tard le soir. Parfois il ne revenait qu’au levé du jour, d’une fête dont il ne m’avait pas fait part la veille. Je lui indiquais tout de même mon inquiétude de ne pas savoir où il se trouvait le soir. Il me répondit que tout allait bien et qu’il était assez grand. Bien sur cela va de soi. Un mardi soir je le vis entrer complètement saoul dans l’appartement avec une sorte de fille de joie. Sa chemise était ouverte. La cravate défaite, pendait autour de son coup. La fille enlevait son manteau de fourrure, puis posa son sac à main sur un canapé. Thomas souleva la putain, puis l’emmena dans la chambre. Il poussa la porte avec son pied et fit de même pour la refermer. Il ne prêtait même pas attention à ma présence. J’étais installé dans un fauteuil à lire le journal. Je pouvais entendre des cris d’animaux poussés par la jeune femme. Sa façon d’exprimer son plaisir était des plus vulgaires. J’entendis plusieurs coups, comme des claques suivis de cris courts et aigus. Puis vint ensuite des cris de plainte. Je me levais et me dirigeais vers la porte de la chambre. J’entendais la fille crier : « Arrêtes. Mais arrêtes bordel ! ». Je m’approchais jusqu’à la porte puis collais mon oreille. Un hurlement qui était celui de Thomas éclata. La fille criait : « Tu es complètement dingue pauvre con, je me casse ». La pute ouvra la porte soudainement, elle était en colère. Elle m’aperçut puis me lança : « Il faut l’interner votre psychopathe. Il a essayé de m’étrangler. Filez-moi mon fric ! » « Combien ? » « 300 livres ». J’allais chercher mon portefeuille et laissais tomber les billets par terre. Elle s’abaissa pour tout ramasser en me lançant des injures. Je lui demandais de partir sur le champ et de ne plus revenir. Pute : « C’était bien mon intention, vieux connard ». Elle prit l’ascenseur pour aller au rez-de-chaussée. Thomas sorti de la chambre les yeux gorgés de larmes, il était nu. Une énorme griffure partait du coin de son œil jusqu’en bas de sa joue. Thomas : « Regarde ce qu’elle a osée me faire Edward. Ta vu pour qui elle s’est prise cette putain ? Elle est bien trop chère pour juste servir de piquet sur des draps en soie. Salope ! Elle ne sait pas qui je suis ». Il alla dans la salle de bain, puis prit plusieurs compresses et de l’antiseptique dans la pharmacie. J’allais le prendre par le bras pour l’asseoir sur une chaise. Je passais les compresses sur sa griffure assez profonde. Heureusement qu’elle ne mit pas son ongle dans l’œil. J’expliquais à Thomas qu’il ne devait pas avoir affaire à ce genre de gens. Ils n’appartenaient pas à la même classe que nous et ne pouvaient comprendre la vie que l’on menait. Je lui demandais s’il avait rencontré par hasard une jolie jeune femme, bien instruite, pratiquant un métier honorable. Il me répondit : « Aucune d’entre elles n’égaliseront Suzanne ! ». Le prénom de Suzanne revint comme une blessure mal cicatrisée. Elle continuait de hanter Thomas. J’essayais de trouver la réponse adéquate pour calmer sa colère : « Londres regorge de femmes intéressantes et aussi sublimes que Suzanne, je suis sur qu’avec un peu de sociabilité tu parviendras à trouver quelqu’un qui t’aimera et te donnera ce que tu attends » « Tu penses qu’une telle femme existe à Londres ? » « Bien sur, fais comme moi, arpente les rues, visite les places publiques, va dans un café, rends service à une femme dans le besoin et peut être te tendra-t-elle la main » « Tout le monde ne peut pas autant s’adapter que toi à un nouvel environnement Edward. Personne ne sait aussi bien que toi rendre un endroit infect en un lieu respectable. Tu as de véritables pouvoirs, des dons n’appartenant à personne, je t’envie. Toi et ta ponctualité irréfutable ». Thomas me mit mal à l’aise. Il me faisait presque peur. Il réagissait comme un enfant en crise d’adolescence.  S’il avait pu m’enfoncer ses doigts dans la tête pour me dérober les capacités que j’ai développées par le fruit d’un travail acharné, il le ferait. Pourtant Thomas avait besoin de moi, plus que de quiconque. Il tira avantage du lien qui nous unissait, mais il tirait également avantage du fantôme de Suzanne qui planait au dessus de nous. Aussi invraisemblable qu’il soit, je voyais resurgir les mauvais côtés de James chez Thomas. Je sentais même que quelque chose de plus obscure grandissait en lui. Des ténèbres m’aveuglant et me rappelant que le cauchemar n’était pas fini. Notre vie gagna en modernité, et le mal était plus que jamais tapis dans les coins sombres de l’esprit de Thomas.

Il m’appela un vendredi soir. J’étais en train de compléter définitivement les documents de droits de succession dans les affaires Anderson avec William Hartford, le bras droit de James. Nous étions dans le salon de sa résidence secondaire londonienne. Nous parlions de sa proche retraite ainsi que de la forte médiatisation de Thomas: Anderson fils reprend le flambeau ! On pouvait voir quelques photos de Thomas avec moi à ses côtés. C’est une chance d’avoir eu une personne de confiance telle que William durant ces dernières années. Le transfert allait aboutir. Tel un père, et fier, je voyais Thomas prendre la relève comme un homme. Je sentais venir à la fois la fin de nos incertitudes et un nouveau départ. Mais je me trompais. Thomas m’appela un vendredi soir de printemps sur mon téléphone portable, et me prononça ces mots : « J’ai recommencé. Encore une fois. Ma malédiction est revenue ». Je posais le téléphone sur mon genou, serré dans ma main. Mon regard fixait la table basse où nous étions installés. William me demanda ce que j’avais. Je lui répondais que tout allait bien. J’approchais le téléphone de mon oreille et je demandais une chose à Thomas : « Ou-es-tu ? Donnes-moi l’adresse, j’arrive tout de suite ».

J’arrivais dans un immeuble, je sonnais au numéro de la porte que m’indiqua Thomas. Il m’ouvrit la porte et la referma derrière moi. Il s’agissait de l’appartement d’une jeune femme qu’avait rencontré récemment Thomas. Il y avait des éclaboussures de sang un peu partout. Sur les murs, les rideaux de la fenêtre. Le centre du lit ressemblait à une marre de sang. Je constatais que le corps avait été traîné jusqu’à la salle de bain. On pouvait voir le sang former un sillage jusqu’à la baignoire. Le corps de la jeune fille était dedans, les vêtements entièrement rouges. Il avait fait de cette pauvre fille, un corps méconnaissable. Cette fois ci, Thomas avait atteint le point de non retour. L’état des pièces rendaient compte d’un véritable carnage. Il portait des gants en cuir. Une lame était sur la moquette, un rouleau de ruban adhésif trainait par ci, du fil de fer par la. Il ne pleurait plus, il se donna de bonnes raisons. Il se mit même à me faire chanter : « J’ai eu l’idée de porter des gants, cela évitera de s’inquiéter pour les empreintes. J’ai vraiment cru qu’elle serait à la hauteur, mais elle n’a fait que de me décevoir et me contrarier. Ne t’en fais pas Edward, je te promets, elle n’en valait pas la peine. J’en trouverais une autre. Maintenant c’est l’heure de faire appel à tes talents de magicien. Tu arriverais à tout faire disparaitre ? » « Tu ne peux pas agir de la sorte, sans avoir aucune conscience de tes actes Thomas ! On ne peut pas se débarrasser des gens comme cela ! Il n’y a rien d’humain à faire ce que bon te semble. Rendre cette pièce aussi neuve qu’avant demande du temps et des méthodes très complexes. On ne pourra pas s’en sortir comme cela à chaque fois. Il faut cesser ! » « J’ai tous les droits, dans peu de temps je serais intouchable. Qui soupçonnerait l’héritier Anderson ? Ils ont besoin que nos entreprises fonctionnent, et j’ai bien d’autres projets à proposer à notre marché. Il est temps de faire un pas en avant au lieu de stagner comme le fit mon père. La vie et le progrès sont possibles que si l’on prend des risques. Edward, depuis le temps que je te connais je sais parfaitement de quoi tu es capable. Je sais qu’en me fiant à toi, nous n’encourons aucun risque. Je t’ai mis le corps dans la baignoire pour qu’il se vide dedans. J’ai commencé le travail, il n’y a que toi qui puisse le finir » « Comment veux tu que nous emportions un corps sans nous faire prendre ? Il faudrait d’énormes valises, couper le corps » « Tu vois ? Tu arrives déjà à anticiper sur la question du corps. C’est pour cela que je crois en tes capacités de nettoyer une scène de crime. On n’a plus le choix. Si je me fais prendre, s’en est fini de nous. Nous faisons ensemble la une des journaux. Ma réputation est faite ainsi que la tienne. Si cette affaire éclate, nous plongerons l’un comme l’autre. Nous sommes liés depuis Suzanne, depuis ma naissance, tu as toujours travaillé pour notre famille. Nous t’avons permis cette nouvelle vie. Aide-moi à la préserver » « J’ai toujours été loyal envers les Anderson. Je t’ai tenu la main dans les moments les plus sombres de ton existence, comme un vrai père. Comme me l’a demandé James. Je resterais fidèle à mon maître jusqu’au bout, je n’ai qu’une parole. Mais j’ai besoin de savoir une chose Thomas. Compte tu en finir une bonne fois pour toute avec ces choses ? » « Je ne sais pas. Nous pouvons conclure un pacte, définir des règles. Peut être faut-il que je retrouve ces limites que je possédais avec Suzanne. Le jour où je sais que je perdrais le contrôle de mes pensées, je t’avertirais. Je m’arrangerais pour te fixer une heure et une adresse à laquelle tu pourras me rejoindre si ce genre d’incident ressurgissait » « Tu ne peux pas tuer continuellement. Il faut du temps. Ne pas attirer les soupçons. Trouver des alibis. Calmer les colères. Je ne pourrais jamais couvrir le meurtre de plus de deux personnes par an Thomas » « Je ferais de mon mieux » « Ce n’est pas un jeu ! Il ne s’agit pas de se limiter à un nombre de personnes comme si il s’agissait d’une cure meurtrière. Si tu peux te retenir, je t’implore de le faire. Il faut enfermer tes pulsions. Tes colères. Tes peurs. Je préfèrerais te savoir en meilleure santé et les idées en place. Le cas contraire, je me présenterais à l’heure que tu m’auras fixé, mais je te prie d’arrêter. Ce n’est pas un majordome qui te le demande. C’est un père ». Thomas les larmes aux yeux s’effondra, il tomba sur ses genoux puis s’agrippa au bas de ma veste. Il me disait qu’il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait le sentiment que son esprit s’égarait et que son corps agissait selon la volonté d’une force invisible. Il me supplia de l’aider, qu’il était malade. Je le savais bien. Thomas a toujours eu cette chose au fond de lui, qui rayait la paroi de son crâne. Comme le son strident d’un couvert sur une assiette ou un disque vinyle tordu tournant incessamment. Un enfant effrayé et en colère sommeillait en Thomas. Il n’a jamais eu une vie normale. Je ne pouvais pas tolérer ce qu’il avait fait à ces pauvres filles, mais je ne pouvais pas lui jeter la pierre. Je réfléchissais au plus vite, à la meilleure stratégie pour provoquer une disparition, plutôt que de laisser des preuves suggérant un meurtre. Le magicien est capable de couper le corps d’une femme en deux, à la condition de suivre les bons gestes et le protocole. Il était question à présent de faire disparaitre ce qui a été abominablement entamé. J’avais besoin de savoir si quelqu’un d’autre était au courant que la jeune fille voyait Thomas aujourd’hui. Où si quelqu’un était tout simplement au courant de leur relation. Il ne pu approcher cette fille sans avoir passé un peu de temps avec elle. Un parent ou une amie devait forcement connaître leur liaison. La jeune fille ne devait certainement pas cacher, qu’elle avait eu des rapports avec le jeune patron des entreprises Anderson. Je demandais à tout hasard à Thomas, si quelqu’un d’autre savait qu’ils se voyaient aujourd’hui. Il semblait avoir prit ses dispositions. Il savait qu’elle était là, puis il est venu à l’improviste. Il l’a connaissait depuis peu de temps et avait demandé à la jeune fille de faire la promesse de ne pas parler de leur relation dans l’immédiat. A priori personne, ni même les parents de la jeune fille ne pouvaient êtres sûrs de ce qu’elle faisait aujourd’hui. Je n’avais pas d’autres choix que de faire confiance à Thomas. Je lui ai demandé d’aller faire un tour autre part, de se montrer aux paparazzis sur des lieux publics afin de lui constituer un alibi. Juste le temps de me laisser trois heures pour faire de cet appartement un leurre parfait. Thomas devra revenir, sans être suivi, pour dix huit heure, afin qu’il valide l’état des lieux.

A 17h58 Thomas était dans le couloir de l’immeuble devant la porte. Il faisait les cents pas. Deux minutes après j’ouvris la porte et lui fis signe de venir voir. Il pouvait constater que la pièce était intacte. Plus aucun corps, plus aucune tâche de sang. Les tissus étaient propres et mis en place. Les outils utilisés par Thomas n’étaient plus là. La chambre semblait, inhabitée, propre et rangée. Qui pouvait imaginer qu’on obtienne un tel résultat ? Même la baignoire brillait. Thomas prononça ces mots, les yeux grands ouverts : « de l’Art ». Qu’est ce qui plaisait le plus à Thomas en fin de compte ? Décharger ses pulsions dans le meurtre ou être le témoin de mon travail ? Il semblait se délecter d’un travail en binôme. Il m’appela une nouvelle fois « le magicien ». Avait-il le sentiment qu’en voyant son crime effacé, que ses pêchés étaient lavés ? Mon travail avait un rôle rédempteur pour Thomas. Pour lui, l’impossible devenait possible. Cela lui donnait le sentiment de posséder un pouvoir divin. Il ne pouvait que se croire intouchable. Il venait même à penser que c’était lui qui permit ce miracle. Par  mesure de sécurité, je ne dévoilais jamais à Thomas comment je m’y prenais. Après tout, un magicien ne dévoile jamais ses secrets. En ne dévoilant rien à Thomas, cela m’assurait qu’il ne pouvait répéter mes techniques. Cela le contraignait à m’informer de ses actes, et cela l’arrangeait tout autant. Comme un vrai spectacle de magie, il ne voulait rien savoir des méthodes employées. Il voulait simplement s’extasier devant ce qu’il ne pouvait expliquer. Il restait l’enfant que j’impressionnais par le passé. Si par malheur Thomas venait à découvrir mes astuces pour faire disparaitre une scène de crime, il tenterait de tout reproduire lui-même, jusqu’à l’erreur fatal. Il accumulerait bien plus vite les cadavres. Par les limites du contrat que nous nous sommes juré de respecter, je devenais inévitablement l’associé de Thomas : Anderson et Co.

Les années passèrent, et Thomas tua secrètement une autre femme tous les six mois, en me donnant à chaque fois les mêmes prétextes. Je me présentais toujours à l’heure qu’il avait fixée et qu’il respectait scrupuleusement. Je tapais toujours trois fois à des portes différentes, puis j’assistais toujours à des scènes de crime de plus en plus atroces et difficile à assumer. Heureusement que mes tours marchaient à chaque fois. Thomas prenait de l’aisance. Je frappais à la porte et il me disait d’entrer. Parfois je le retrouvais assis dans un fauteuil, le sourire aux lèvres. Il prenait le geste professionnel de me serrer la main pour valider l’échange, du tueur au nettoyeur. Jusqu’à ses 30 ans et moi à mes 60 ans, l’entreprise Anderson progressa comme l’avait imaginé Thomas. Malgré ses faiblesses et ses pulsions, il était profondément un homme intelligent qui devenait toujours de plus en plus sur de lui, mais il prenait également trop d’assurance. De la même manière que James, Thomas pensait qu’il pouvait exercer un pouvoir infini sur les populations.  Il est vrai qu’il avait le pouvoir sur un grand nombre d’employés. Il contrôlait d’autres marchés importants, et était un argument de poids capable de plier ses partenaires commerciaux à ses exigences. Il finança d’importants partis politiques et d’autres campagnes. Il avait de très bonnes relations, des gens hauts placés dans la poche. Des juges de son côté, les meilleurs avocats à son service. Quand il commettait de petites infractions, les pots de vin suffisaient. Je craignais que ce succès qu’il rencontra très tôt, lui fasse croire qu’il serait en mesure de tuer qui il veut, aux yeux de tous. Mais ses démons agissaient toujours dans l’ombre. Il était extrêmement malin. Voici que j’ai trente années de plus que lui et je commençais à me fatiguer de plus en plus. Comment fera Thomas si un jour je venais moi-même à disparaitre ? Voici huit meurtres que j’effaçais depuis Suzanne. Plus les femmes s’intéressaient à Thomas et lui tournaient autour, plus j’avais peur. Quelles étaient les limites de cette folie ? Je m’épuisais, et portais le poids de plusieurs morts. Les esprits de Thomas, semblaient cependant libres et déchargés. Je portais l’entière responsabilité de ses actes. Jusqu’à un hiver où tout bascula.

Il neigeait dehors. Les routes et les maisons étaient blanches. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas neigé ainsi. Thomas sortait d’une importante rencontre où il signa pour d’importants partenariats. Il décida de faire un tour dans la ville. Il descendit de son building, vêtu d’un manteau chaud, de gants et d’une écharpe. En sortant il ne vit pas les deux jeunes femmes qui l’attendaient près de l’entrée. Il partait vers la gauche, alors que les deux filles étaient sur la droite. L’une était blonde, la deuxième brune. Elles étaient magnifiques et très sensuelles dans leur allure. Elles semblaient sûres d’elles,  sûres du charme qu’elles pouvaient avoir sur un homme. Elles réagirent vite quand elles virent Thomas partir dans l’autre direction. Elles bondirent et se mirent à le suivre. Thomas était assez couvert pour cacher le bas de son visage dans son col de manteau, mais ces deux filles qui l’attendaient de pied ferme, savaient qu’il ne pouvait s’agir que de lui. Elles le rattrapèrent progressivement, puis chacune pris un bras à Thomas pour le suivre et avancer à ses côtés. Thomas fut surpris de voir ces deux femmes s’agripper à lui, et ne plus le lâcher. Elles marchaient avec lui et lui firent des propositions. Elles lui demandèrent plusieurs choses : « Tu nous ferais visiter le haut de ta tour en revenant ? ». Puis elles lui firent des allusions beaucoup plus connotées et sexuelles : « Tu voudrais qu’on visite le haut de ta deuxième tour ? Tu es plus blonde ou brune ? Comment tu nous trouve ? Tu préfère venir chez l’une d’entre nous ? Un plan à trois tu as déjà connu ? ». Tout s’embrasait dans la tête de Thomas. Il souriait fièrement. Il entrait dans leur petit jeu et prenait le rôle du petit garçon innocent qui ne connaissait rien à la vie, mais qui aimerait bien qu’elles lui montrent leur version des prochaines heures. Thomas serrait des dents. Ces deux femmes ne faisaient pas que de réveiller sa libido, elles réveillaient une bête affamée. Il imaginait déjà comment il allait laisser son imagination déborder. Comment prendre plaisir de l’instant qui s’offrait à lui ? Un homme au loin était caché et les prenaient en photo. Ces filles travaillaient pour ce photographe, qui lui-même travaillait pour quelqu’un de haut placé. Ces filles avaient étés payées grassement pour êtres les objets d’un futur chantage ou autre complot souterrain. Si les pulsions de Thomas sommeillaient dans la plus grande noirceur de son âme, le monde tournait dans l’ombre d’incalculables intérêts personnels. Il se fit entraîner comme une proie dans un logement discret des rues de Londres, dans un coin peu fréquenté. L’homme mitraillait avec son appareil. Quand Thomas entra dans la maison, l’homme se posta aux fenêtres et changea de position en fonction des déplacements de Thomas. Après quelques minutes, Thomas se mit à son aise, il alla fermer les rideaux des fenêtres. Le photographe ne s’attendait pas à ce que Thomas ferme chaque rideau et chaque store. Sa séance photo tombait à l’eau, il ne pouvait obtenir les clichés les plus prometteurs. Surtout, il ne comprenait pas pourquoi Thomas avait besoin de tout fermer de cette façon. Il tourna bêtement autour de la maison, mais toutes les issues qu’il s’était assuré de laisser ouvertes, ont été refermées. Il tentait d’écouter à travers les portes et les fenêtres, tout en s’assurant de ne pas se faire voir par les passants dans la rue. Il tenta d’ouvrir le plus discrètement possible, la poignée de la porte d’entrée. Rien. Il avait tout fermé. Il se demandait comment les choses évoluaient avec les filles. Il alla plus loin dans la rue, s’installa sur un banc et attendait de voir du mouvement.

Pendant que le photographe effectuait le tour de la maison, Thomas avait commencé son œuvre. Il avait fait croire aux jeunes femmes qu’il s’agissait d’un jeu. Elles, pensaient que Thomas voulait simplement réaliser ses fantasmes. Elles se laissèrent ligoter à différents endroits. La brune fut attachée sur le lit par son amie, ensuite Thomas ligota la jeune blonde dans la salle à manger sur une chaise. Des réactions, commencèrent à inquiéter les jeunes femmes sur la nature des actions de Thomas. Elles remarquèrent qu’il ferma toutes les issues ainsi que les rideaux. Mais la popularité de Thomas leur empêchait de prévoir le pire. Elles ne pouvaient imaginer qu’il se permette d’horribles fantasmes. Il sortit du ruban adhésif de sa poche puis se retourna pour l’appliquer soudainement sur la bouche de la jeune fille blonde. Celle ci poussa un cri bien trop étouffé pour que son ami ne l’entende de la chambre. Thomas alla dans la chambre puis enroula la bouche de la deuxième fille avec le ruban. Il su s’y prendre assez rapidement, pour éviter tous hurlements audibles dans la rue. Elles se mirent à pousser une succession de cris. Elles comptaient sur le photographe, à l’extérieur, pour réagir suffisamment tôt. Mais ce dernier n’intervint pas, il attendait sur l’un des bancs de la rue. Thomas décrocha son téléphone, puis indiqua l’adresse et 15h à Edward.

Il termina son œuvre vers 14h30. Il avait accompli là, une étape supplémentaire. Il déchargea sa colère sur deux femmes qu’il jugeait trop provocantes. Il prit un sac poubelle dans lequel il mit les affaires tâchées de sang. Il savait qu’Edward allait en apporter d’autres. Il se permit d’utiliser la douche pour se laver intégralement. Maintenant il attendait l’arrivée d’Edward avec impatience. Dans la plupart des contes et légendes, quand un être vient à une heure précise, frapper à votre porte, cela ne présageait jamais rien de bon. Il était souvent question de « la mort », venant chercher l’âme de l’être maudit. Est-ce que Thomas attendait au plus profond de ses tourments que la mort ne l’emporte ? Attendait-il le père Noël, comme un enfant au pied de la cheminée ? C’est seulement maintenant qu’il éprouvait la plus grande excitation possible. Il suivait les longues minutes sur sa montre. Il ne restait plus que treize minutes. Thomas voulait voir le tour de magie, il attendait que le spectacle commence. Son impatience traduisait un plaisir intense. Pour occuper ses dernières minutes, il posa une serpillère sous la chaise où était attaché le corps de la jeune blonde. Il espérait rendre la tâche plus facile à Edward en évitant au sang de se propager. Il s’installa dans un fauteuil puis ne décrocha pas son regard de sa montre. Est-ce que Edward allait prouver une nouvelle fois sa ponctualité ? Allait-il relever le défi de faire disparaître deux corps ? Afin de faire hommage au travail d’Edward, il cacha l’un des sous vêtement des deux jeunes filles, dans l’une de ses manches, afin d’épater son majordome. Il restait une minute. Il suivit du regard les soixante dernières secondes. Il arrivait déjà à entendre les trois coups sur la porte d’entrée. Les trois coups qui certifiaient de code. Trois seconde restante, il leva la tête vers la porte. Rien. Personne ne frappa à la porte. Thomas resta figé, la bouche semi-ouverte. Il s’était dit que sa montre avait une minute d’avance, pourtant il régla sa montre en même temps que celle d’Edward. Trois minutes après, toujours rien. Thomas sentait la panique l’envahir. Il se leva et fit les cents pas dans la maison. Il essuyait sans cesse la sueur qui coulait de son front. Il se mit à injurier tout haut : « c’est pas vrai ! C’est impossible ! Cela ne ressemble pas à Edward ! Ou es t’il bordel ? ». Il respira de plus en plus vite et de plus en plus fort. Il commençait seulement à ressentir cette sensation de panique pour la première fois. D’habitude Edward était toujours présent au bon moment. Pour la première fois, le petit monde parfait de Thomas Anderson s’écroulait. Il attendait les trois coups de « la mort » à la porte. Mais rien ne vint le chercher. Il cassa quelques objets posés sur les tables et les plans de travail. Une poussée de colère monta en lui. Il sentit à nouveau cette impression de délaissement, comme quand il fut enfant. Il se dit : « Edward, toi aussi m’as-tu abandonné ? As-tu cessé d’être loyal ? ». Il essayait de retrouver sa respiration, il suffoquait et tremblait. Il sentit le poids des huit derniers meurtres lui rire au nez. Il entendait la voix de Suzanne dans sa tête : « Je t’avais bien dit de ne pas dépasser certaines limites Thomas ! Tu es livré à ton propre sort ! ». Son portable a été tâché de sang et cassé dans l’action. Il ne pouvait même pas appeler Edward. Il se sentit trahi, délaissé. Thomas pensait qu’Edward avait fini par se dégonfler, par le laisser tomber. Il se mit à maudire son majordome : « tu es finalement comme mon père ! ». Il courut prendre un seau, et épongea maladroitement le sang avec la serpillère. Il déversa beaucoup de sang dans les toilettes, mais il l’éparpillait également. Le sang est visqueux, collant et très tâchant. En tentant de réparer son œuvre, il se rendait compte du travail que c’était de maquiller un meurtre. Hors, il s’agissait de deux meurtres. Il détacha les corps et balança la ficelle et le ruban adhésif dans le sac poubelle. Il tira le corps de la brune jusque sur le carrelage de la cuisine, puis il posa le deuxième corps sur elle, pour regrouper les deux cadavres. Il prit les tissus qu’il pouvait retirer, les rideaux, les draps, le tapis. Heureux de voir un tapis, il se souvint de ce qu’ils firent avec Suzanne. Mais il comprit très vite que le tapis de la maison était beaucoup plus petit et que là, il s’agissait de deux corps. Il posa maladroitement les deux corps sur le tapis et tenta de les enrouler. Il jeta d’autres objets souillés dans le tapis, puis il regroupa tout le textile dans la baignoire. Il voyait que la plupart des tissus étaient des produits Anderson. Il sourit puis remercia les deux cadavres de leur fidélité : « c’est grâce à des gens comme vous que les entreprises Anderson ont pu êtres prospères. Merci de votre loyauté et de votre confiance ! ». Il resta immobile, se voyant parler à des cadavres. Ce n’était pas des remerciements qui allaient changer grand-chose à la crise que traversait Thomas. Il brûla les tissus dans la baignoire en déversant du White Spirit dessus. Quand il vu toute la fumée, il jeta le contenu du seau sur les draps. Puis il lança à nouveau un seau rempli d’eau. Il regardait sa montre, il allait bientôt être 16h. Il resta planté au milieu de la pièce faisant face à ce qu’il avait commis : « Edward je te déteste ! ». A 16h, trois coups ressemblant au code, retentirent contre la porte. Il ne pouvait s’agir que d’Edward. Thomas prit un couteau dans la cuisine. Il m’entendait dire de l’autre côté de la porte : « C’est moi Thomas ! Ouvres moi. ». Il ouvra la porte en gardant son autre main et la lame dans le dos. Il resta derrière la porte puis referma la porte. Devant ce que je vis, je ressentais une profonde peur. Je lui fis ces quelques remarques : « Je savais que tu ne pourrais te contenter d’une seule personne. Mais pourquoi avoir commencé à nettoyer ? Tu as aggravé la situation ! ». Il brandit de colère et m’enfonça le couteau dans le dos. Je hurlais de douleur. Il retira la lame, et enchaîna une succession de coups. Je sentais de moins en moins la douleur, mais je pu ressentir Thomas s’acharner sur moi. Il retenait mon dos contre son torse en passant un bras devant moi, puis avec l’autre, il répétait les attaques. Il me demandait pourquoi je l’avais trahi, tout en pleurant. Mon regard se posait sur sa montre affichant 16h03. Je mourrais, cependant soulagé. De la douleur, je n’étais devenu qu’un esprit dans un corps sans force et sans vie. Je reconnu là l’une des mauvaises habitudes du manoir, d’oublier de passer les horloges à l’heure d’hiver. J’étais bel et bien à l’heure car j’avais pensé à reculer les aiguilles d’une heure sur ma montre. Thomas n’avait même pas remarqué que les horloges de la maison indiquaient également 15h. Je me disais que c’était mieux ainsi. Thomas allait comprendre son erreur tôt ou tard. Je m’écroulais au sol et eu pour dernier geste de lui pointer du doigt l’horloge de la maison. Il fixa l’horloge tandis que j’avais rendu mon dernier souffle.

Alors que j’allais quitter mon banc, abandonnant tout espoir, j’aperçu un homme frapper trois fois à la porte. Je gardais toutefois mes distances. La porte se ferma derrière l’homme âgé. Quelques minutes après, Thomas Anderson sorti de la maison en courant. Il laissa la porte ouverte et je m’approchais, reprenant en main mon appareil photo. Quand je franchis le seuil de la porte, les circonstances prirent une tournure des plus horribles et inattendues. Si le sexe est ce qui permet à l’Homme de parvenir à ses fins, le meurtre est sans aucun doute ce qui permet de le renvoyer vers ses origines. Mes employeurs pouvaient enfin trinquer à la fin du progrès Anderson.

 
FIN.

Nouvelle: "Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" (2eme partie)


Deuxième extrait de la Nouvelle:
"Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" d'Antoine Rameau
 
 
Je demandais à Thomas d’enlever ses vêtements. Je remontais mes manches puis je posais le corps de Suzanne au bout du tapis. Thomas se déshabillait intégralement, puis je les posais sur le cadavre. Je me débarrassais ensuite des différents objets et documents tâchés en les mettant également avec le corps. J’enroulais Suzanne avec toute la longueur du tapis afin de contenir le sang. Je conseillais à Thomas de se changer au plus vite. Il sortit de la pièce en vitesse. Je tirais le tapis enroulé un peu plus loin dans la pièce. J’allais ensuite chercher de quoi nettoyer. Seau, serpillères, produits détachants puis de grands sacs poubelles pour jeter les derniers objets tâchés. Je frottais de toutes mes forces, je faisais plusieurs allers-retours avec les toilettes pour vider l’eau du seau devenue rouge. Je nettoyais intégralement le parquet du bureau. Je lavais tout le bureau à l’aide de chiffons que je jetais dans les poubelles. Thomas revint habillé élégamment, comme si il ne prenait pas conscience de la tournure de la situation. Il semblait se préparer à un rendez-vous d’affaires. Il me répondit : « Je dois être présentable pour faire un dernier adieu à notre Suzanne ». Je ne préférais pas déstabiliser Thomas par une remarque. J’avais besoin de lui quelques minutes. Nous portions le tapis à deux, puis nous allions dans le terrain du manoir en sortant par les portes arrière. Dans le jardin nous avions construits une fosse pour y mettre le composte et le brûler. J’enlevais tout le composte de la fosse, puis nous déposions le corps au fond. J’allais chercher un bidon d’essence dans le garage pendant que Thomas faisait une prière près du trou. J’arrosais tout le tapis d’essence. Thomas repoussait le composte dans le trou, je l’arrêtais : « Le corps doit brûler à l’air libre si nous voulons être sûr d’obtenir des cendres et ne pas nous retrouver avec le squelette. Nous mettrons le composte au fur et à mesure pour alimenter le feu, puis nous boucherons le trou avec de la terre et du composte ». Je pris des allumettes dans ma poche puis les jetais dedans. Le feu pris rapidement et violement. Thomas s’éloigna du trou puis vomit trois pas derrière moi. La nuit tombait, je venais de finir le travail. Je suis allé dans le bureau, puis j’ai passé le chiffon sur toutes les surfaces possibles. Thomas entra à la fin dans la pièce. Il examina scrupuleusement chaque détail et chaque recoin. Son visage était ébahit comme celui d’un enfant. Il me regarda puis dit : « tu es vraiment un magicien Edward ». Le problème semblait résolu pour Thomas, moi je savais qu’il ne s’agissait que du début.

Les jours suivants, Thomas prenait ses cours avec l’intervenant commercial, comme si rien ne s’était passé. Ce n’était pas le professeur qui remarqua quoi que ce soit, cependant il nota une différence : « votre jeune servante n’est pas là aujourd’hui ? ». Je m’attendais à ces questions. Il fallait d’ailleurs que je trouve une solution, pour écarter tout soupçon. Comment allais-je amener la disparition auprès de la famille de Suzanne qui vit en France ? Elle leur écrivait régulièrement. J’imaginais la meilleure solution, tout en gardant à l’esprit que des parents connaissent suffisamment leur enfant pour savoir ce qui semblait habituel ou non dans son comportement. Je pris en considération le fait que Suzanne était venue en Angleterre dans l’espoir de s’éloigner des conflits familiaux. Quand elle vivait avec eux, la vie était invivable. Elle était la plus grande sœur de cinq enfants. Elle s’occupait de tout, de la maison, des parents, puis des frères et sœurs. Quand la deuxième sœur fut assez grande pour gérer également les corvées ménagères, elle incita sa sœur à quitter le foyer pour aller faire sa vie. Elle rencontra en France, un homme d’origine britannique beaucoup plus âgé, qui l’emmena vivre avec lui. Il buvait beaucoup et était violent. Suzanne coupa toute communication avec ses parents qui désapprouvaient sa nouvelle vie. Il arriva à Suzanne de ne plus leur répondre. Les parents demandèrent aux autorités de retrouver leur fille. Bien qu’elle était tout juste majeure et en droit de ne plus revenir chez ses parents, elle n’avait cependant toujours pas la nationalité anglaise. Elle revint en France, en emportant une annonce sur laquelle il était écrit qu’une famille recherchait une jeune servante, prête à travailler jour et nuit chez un riche chef d’entreprise. Elle trouva une nouvelle occasion pour partir de chez elle définitivement. Ce travail lui donnait le droit de séjourner en Angleterre, tant qu’elle travaillait pour les Anderson. Après deux années, grâce à l’influence des Anderson, elle obtenue la nationalité anglaise, elle avait alors 21 ans. Suzanne était très jeune, elle arriva vers ses 19 ans, et Thomas avait 7 ans. Connaître la vie des gens peut être un atout pour s’en servir contre eux. Suzanne dévoilait assez facilement ses petits secrets. Je pouvais m’attendre à voir venir la police tôt ou tard. L’important était d’enlever toute trace de la présence de Suzanne. Faire croire qu’elle était partie spontanément. Après tout, la nationalité permettait enfin à Suzanne de circuler librement dans le pays, de retrouver son amant passé par exemple. Se servir de la mort de Monsieur Anderson et la possibilité qu’elle pouvait être en proie aux concurrents de l’entreprise Anderson. Mieux même, qu’elle ait décidée de donner des informations privées à notre sujet afin de basculer les choses en son avantage. Comment demeurer en toute crédibilité ? La meilleure issue était certainement de ne pas comprendre pourquoi elle était soudainement partie. Le manoir était retiré au fond des landes A-t-elle appelée un taxi ? Quelqu’un est-il venu la chercher ? Je rassemblais toutes les affaires de Suzanne. Si j’hésitais, en me demandant s’il s’agissait d’un bien à nous ou à Suzanne, je prenais le risque de m’en débarrasser. Je demandais à Thomas, des endroits éventuels où Suzanne aurait rangée des affaires à elle. Il m’amena quelques sous vêtements qui étaient encore parsemés dans la maison. Je pouvais compter sur Thomas pour ce genre de chose. James Anderson, ne nous facilitait pas la tâche. Il avait du offrir une véritable collection de lingerie à Suzanne, pour satisfaire ses fantasmes. Il avait répendu ces saletés comme le petit Poucet. Heureusement que Thomas épiait suffisamment ce genre de détails.  Nous avions rempli deux grosses valises. Un après midi j’allais seul au lac le plus proche. Les valises étaient enroulées dans du plastique noir et ficelées avec des poids pour leur permettre de couler. Je poussais les affaires de la barque. Les valises sombraient au beau milieu de l’immense étendue d’eau. Le temps était brumeux et froid. Personne ne serait venu et je connaissais bien l’endroit. De retour au manoir Thomas me demanda si j’allais engager une nouvelle servante. Je pris peur au fond de moi, d’une répétition du drame. Je lui proposais : « Si vous me le permettez monsieur, je me porterais bien mieux à m’occuper intégralement de la maison. Nous ne sommes plus que deux. En vu des circonstances, il serait risqué d’intégrer une nouvelle personne dans notre quotidien » « Tu as certainement raison Edward, tu as toujours tout pris en main sans l’aide de personne. Cela me convient. »

Les fêtes de Noël approchaient. Afin de redonner un peu de gaieté au manoir, j’avais décoré toutes les grandes pièces de boules et de guirlandes de Noël. J’ai même installé un immense sapin dans le hall de l’entrée. La demeure devenait chaleureuse et accueillante. Je piquais d’anciennes chaussettes à Thomas que j’accrochais au dessus de la cheminée. Nous regardions devant le feu de cheminée, les photos de son enfance. Nous restions devant la photo de la naissance de Thomas. Il y avait au centre James tenant son fils dans ses bras, assis dans un fauteuil. Je me tenais debout aux côtés de James. Lydia était assise sur une chaise à la droite de James. J’avais une trentaine d’années. La photo a été prise le 13 octobre 1968. Thomas me demanda si je possédais des souvenirs de ma jeunesse. Je lui expliquais mon passé : « J’ai perdu mes parents lors de la guerre, je les ais à peine connus. J’étais placé en famille d’accueil jusqu’à mes 18 ans. J’ai suivi différents apprentissages quand j’étais adolescent, mais je voulais me reconvertir majordome. Sans doute était-ce là, une manière d’appartenir à une famille. Je débutais en travaillant pour ton grand père, Paul Anderson. J’avais trois années de plus que ton père, nous étions comme des amis. Malgré tout, je me devais de garder une certaine distance. Lydia était déjà là, elle avait 38 ans je crois. Elle me confia des travaux, m’informa sur les Anderson. Elle me prit sous son aile, jusqu’à ce que je fusse capable de prendre en charge les affaires les plus importantes de la famille. Quand tu es venu au monde j’avais 30 ans et ton père 27 ans. Je n’ai pas réellement d’histoire. Votre famille, vos problèmes, ont toujours été les miens. Ma vie prit un nouveau sens à ta naissance. On me chargea de m’occuper de toi comme d’un père. Seulement, je n’ai jamais connu de relations avec des parents. J’ai grandis avec d’autres enfants de mon âge. Je me reconnais beaucoup en toi Thomas, et c’est probablement pour cela que j’ai pris ton éducation en main le plus sérieusement possible. Mon seul regret, est de te voir dans ce manoir, coupé du monde. Je ne suis pas sur que cela t’ai aidé à t’épanouir ». « Tu as tant fait pour moi Edward. Je ne serais jamais suffisamment reconnaissant. Ce manoir me rend de plus en plus malade. Nous devrions revendre cet endroit et partir vivre en ville, près de la civilisation. Cela ne pourra que m’aider à surmonter mes démons ». Je restais silencieux un moment avant de répondre : « Nous le ferons Thomas, mais je sens venir une succession d’évènements. Partir maintenant comme ça, éveillerait de nombreux soupçons. Donnons-nous le temps, puis déménageons ». « Moi je te suivrais Edward ».

Un jour, quelqu’un sonna à la porte. Je fus extrêmement surpris de voir Lydia se tenir derrière la porte, toujours en aussi bonne santé malgré son âge. Elle me disait qu’elle eut l’idée de passer souhaiter de bonnes fêtes de Noël. Je la laissais entrer, puis j’accrochais ses vêtements au porte manteau. Je lui demandais comment elle était venue. Elle s’arrangea avec un taxi. Elle paya le chauffeur pour un forfait à la journée. Le chauffeur attendait dans la voiture. Je passais la tête par la porte d’entrée et fit signe au chauffeur d’entrer. Il entra et me salua chaleureusement. J’installais Lydia et le chauffeur sur la petite table de la cuisine puis leur servais un bon café noir. Lydia me demanda si Thomas était là. Je lui proposais d’aller le voir dans son bureau après le café. Elle remarqua ensuite une chose, Suzanne ne s’était pas manifestée depuis son arrivée. Elle me questionna : « Et Suzanne, elle est là ? Je m’attendais à ce qu’elle vienne pour voir de qui il s’agit ». Des frissons me traversèrent, je restais immobile, cherchant ma réponse. Une première idée simple me vint : « Après tout ces changements, elle considéra que c’était le moment idéal pour quitter le manoir. Elle me disait qu’elle comptait travailler dans le sud du pays afin de se rapprocher en même temps de la France pour voir sa famille. Je me souviens de notre discussion, elle avait l’espoir de voler de ses propres ailes, de devenir une vedette. Bref, elle emporta tout avec elle, ses affaires et ses rêves ». « C’est étrange, ça nous arrivait de nous envoyer des lettres. Elle a toujours été très attentionnée avec moi. On se racontait nos vies et nos envies comme deux petites commères. A aucun moment elle me confia qu’elle voulait quitter le manoir. Elle s’y plaisait beaucoup ». Les sueurs froides me montaient à la tête : « Depuis quelques années, tout semble dégringoler dans ce monde tu sais. Je ne comprends plus grand-chose. Les gens changent littéralement. Les crises et les drames ne cessent de s’enchaîner. Je ne m’étonne plus de ce genre de réaction. La jeunesse est très changeante au fil du temps. Ils sont confrontés à de nouveaux choix, que nous n’avons jamais connus ». « Tu sais le choix aujourd’hui… tant qu’il y a du travail à prendre il ne faut plus hésiter à le saisir. J’espère qu’elle sait ce qu’elle fait ». Je me sentais énormément soulagé quand elle prononça cette dernière phrase. Elle écarta Suzanne de la conversation, comprenant qu’il n’y avait plus grand-chose à en dire. Lydia constata avec humour : « J’ai remarquée que tu avais oublié de passer certaines horloges à l’heure d’hivers Edward. Heureusement que la vieille Lydia vient voir si tout est en ordre ». « C’est vrai tu as raison, mais ma montre à moi est toujours à l’heure. Et c’est le principal. Je n’ai jamais manqué un rendez-vous. La ponctualité est l’une de mes plus grandes qualités. La maison est entre de bonnes mains ». « J’en suis sure Ed… Allons déranger un peu Thomas ».

Je frappais à la porte du bureau, Thomas me demandait d’entrer. J’ouvrais la porte et laissais Lydia entrer. Il ferma aussitôt un tiroir. Comme un enfant heureux de voir le retour du père Noël, Thomas se précipita serrer Lydia, pour l’embrasser sur la joue. Lydia le reprit : « Monsieur, tout de même, contrôlez vous un peu. Moi aussi je suis ravie de vous revoir. Comment vous portez vous ? ». « Comme un charme ma chère Lydia et vous ? ». « Ma vieille carcasse tient le coup Monsieur ». « Vous êtes une battante, c’est bien connu ». « Avez-vous repris les affaires Monsieur ? Je n’ai pas eu de nouvelles ces derniers temps ». « Je suis encore en formation, mais cela ne devrait plus trop tarder, dans un an je pense ». Lydia jette un regard dans la pièce, puis regarde Thomas d’un air sérieux : « Depuis qu’il n’y a plus que deux hommes dans le manoir, il y a du laissé aller je trouve ». Thomas surpris : « Comment cela Lydia ? ». « Je connais chaque recoin et chaque détail de cette maison. Je peux affirmer qu’il se fait un vide dans cette pièce ». Thomas dirige son regard vers moi. Je me mets à craindre sa réaction. Thomas : « je ne vois pas ce qui cloche Lydia. Eclairez-moi ». « Le tapis monsieur, le tapis, cela change toute l’harmonie qui régnait dans cette pièce ». Je vis Thomas, s’immobiliser. Je devais prendre les devants pour le calmer : « J’apportais un plateau repas à monsieur, avec une bouteille de vin, mais je me pris les pieds dans le tapis, et renversa le liquide dessus. Je l’ai retiré pour le lavé et monsieur Anderson trouvait qu’il était dangereux de le laisser, par peur de nous prendre dedans. Mais vous avez raison, cela brise une certaine harmonie dans la pièce ». Lydia : « Vous commencez à vous faire vieux vous aussi Edward. C’est dommage, il s’accordait parfaitement à la pièce ». Edward : « Et si nous allions dans le grand salon, nous y serions mieux pour discuter ». Lydia quitta le manoir vers 18h. Le chauffeur nous remercia de l’hospitalité et emmena Lydia jusque chez elle. Je fis rapidement le tour des grilles et des portes, pour tout fermer à clef. Mon cœur battait vite, comme si je pressentais une catastrophe très prochaine. 

Au mois de février 1993, nous recevions la première lettre envoyée par les parents de Suzanne. Ils décrivirent leur inquiétude de ne plus recevoir de nouvelles de leur fille. Je dus leur répondre à peu près la même chose qu’à Lydia. Je détaillais les problèmes que nous rencontrions depuis la mort de James Anderson. Puis je mentionnais l’envie de Suzanne, de partir à l’autre bout du pays dans l’espoir d’entreprendre la vie qu’elle ne pu mener quand elle vint en Angleterre pour la première fois. Ses parents menèrent de nouveau une enquête. Ils recherchèrent l’homme qui l’emmena pour la première fois dans le pays. Celui-ci était marié, avait deux enfants et vivait en Irlande. Ce suspect fut écarté très vite de la liste. Je reçu d’autres lettres, me demandant si j’étais sur de n’avoir rien oublié, rien trouvé concernant le départ de Suzanne. Je ne pouvais qu’affirmer. Un autre jour, comme je l’attendais, deux inspecteurs arrivèrent au manoir. Je ressentais à nouveau cette peur que j’éprouvais quand Lydia nous rendit visite. Je saluais courtoisement les deux hommes. Ils me posèrent une série de question. Je devinais assez rapidement que ce déplacement, était pour eux une des routines les plus pénibles et qu’ils ne demandaient qu’à trouver un petit prétexte pour repartir de plus belle. D’autant plus, qu’il s’agissait d’une affaire externe et que les petits soucis de la France leur importait guère. Puisque le protocole leur imposait de fouiller dans l’ancienne chambre de Suzanne, puis de regarder la composition de chaque pièce afin de déterminer les raisons de la disparition de Suzanne, je les fis entrer le plus naturellement possible. Je ne m’inquiétais pas pour l’histoire du tapis, puisqu’ils n’avaient jamais connus la composition du mobilier. Ils regardèrent dans la salle de bain, dans sa chambre, dans les grandes salles, rapidement dans le jardin. Pendant ce temps je les suivais et j’essayais de les induire en erreur en leur demandant si il y avait peut être un lien entre la mort de James Anderson et la disparition de Suzanne. Ils écoutèrent d’une oreille, mais ne firent que de hocher des épaules. Mes inquiétudes ne les troublaient pas. Je me sentais sorti d’affaires. Thomas qui avait constaté la présence des policiers, changea constamment de pièce pour ne pas les croiser. Ils entrèrent dans le bureau, firent le tour du mobilier sans ne rien toucher. L’un d’entre eux resta planté au milieu de la pièce, puis affichait des expressions d’étonnement. Inspecteur : « C’est moi, où il manque quelque chose dans cette pièce ? ». Je fus figé en un instant. Thomas qui entendait tout, entra dans la pièce puis salua les inspecteurs. Thomas : « Qu’y a-t-il messieurs ? Il s’agit de mon lieu de travail ». Thomas se dirigeait jusqu’au bureau puis s’appuyait dessus. Inspecteur : « Oui, quelque chose qui casse la régularité du décor ». L’homme s’accroupit puis caressa le parquet. Je voyais la main de Thomas se diriger vers un couteau à ouvrir les enveloppes. Je le regardais, et lui fit signe du regard de ne pas tenter quoi que ce soit. Il me regardait également mais saisi tout de même la lame. Il resta appuyée contre le bureau. Je devais faire quelque chose au plus vite. L’homme se leva, très fier et satisfait, comme si il venait de découvrir la vérité : « Ah ah ! Je me disais bien qu’il manquait quelque chose. Vous voyez messieurs, c’est bien là, l’une des raisons pour lesquelles j’adore mon métier. J’ai le sens de l’observation, même quand je ne connais rien des lieux. Puis-je vous emprunter un crayon de bois ? ». Thomas : « Oui dans l’un des tiroirs, servez vous ». L’inspecteur alla derrière le bureau, et ouvrit le dernier tiroir. Il s’arrêta devant le bas vert émeraude en dentelles qui était au fond du tiroir. Il s’agissait de celui qu’avait donné Suzanne en échange des autres. Il fit mine de rien puis referma le tiroir. Il ouvrit celui du dessus puis prit un crayon de bois. Thomas avait totalement oublié qu’il avait gardé une dernière trace de Suzanne dans ses affaires privées. Il ne remarqua pas la réaction de l’inspecteur. Celui-ci revint au centre de la pièce, puis traça légèrement une très grande forme rectangulaire au sol. Inspecteur : « Vous voyez, je ne pense pas qu’il ait s’agit d’un meuble, car cela aurait empêché toute circulation dans la pièce. Cependant il y avait bien quelque chose. Un tapis par exemple ». Thomas serrant fort la lame cachée derrière lui : « À quoi voyez-vous cela ? ». « C’est très simple, regardez l’usure du parquet. Un tapis protège une certaine zone. Nous pouvons voir autour différentes traces. Probablement des meubles déplacés ou des traces tout simplement provoqué par le passage de plusieurs personnes. Ici au milieu, tout est net et en bon état. Je pense pouvoir dire que vous aviez ici même un tapis ». Thomas : « Vous êtes très fort inspecteur. En effet, nous avions un tapis mais il a été tâché par du vin, et de toute manière, les gens se prenaient les pieds dedans. Imaginez quelqu’un qui chute et viendrait se cogner malencontreusement la tête sur le bord du bureau ». Je constatais avec surprise, que Thomas réutilisait la même version que je sortis à Lydia. L’inspecteur prétentieusement : « C’est pour cela qu’il est inutile de nous cacher la vérité. Nous avons suffisamment l’œil pour percevoir ces petits détails.  S’il y avait eu le moindre indice prouvant quelque chose sur la disparition de votre servante, nous l’aurions immédiatement remarqué. Mais je dois dire, qu’en effet, elle n’a rien laissée derrière elle. C’est assez inhabituel ». Thomas : « Impressionnant Inspecteur ! ». Thomas s’amusait à caresser l’inspecteur dans le sens du poil. Thomas : « Si vous en avez fini, je charge mon majordome de vous reconduire jusqu’à votre voiture. J’espère sincèrement que vous retrouverez notre servante ». « Vous savez, le nombre de disparitions, où la personne a décidée de s’éclipser pour des raisons personnelles, nous n’en manquons pas. La relation de la disparue avec ses parents était assez conflictuelle. Non, je pense qu’elle s’est fait la malle ». L’inspecteur rend le crayon à Thomas, qui repose silencieusement la lame sur le bureau. Je raccompagnais les hommes et lança un dernier regard vers Thomas avant de quitter la pièce. Thomas souffla profondément, puis regarda son crayon en se demandant, dans quel tiroir il était rangé. Il ouvra le dernier tiroir et vit le sous vêtement de Suzanne. Son sang se glaça, sa peau devenait rouge. Il venait de se rappeler qu’il avait laissé l’inspecteur ouvrir les tiroirs. Il couru vers la fenêtre du couloir pour jeter un œil vers la voiture garée des policiers. Il me vit serrer les hommes de la main. Je me dirigeais vers l’entrée du manoir puis je vis l’un des inspecteurs chuchoter quelque chose à l’oreille de son coéquipier. La voiture s’en alla, et Thomas vint me rejoindre. Il me tendit un sous vêtement en dentelles, puis me dit avec inquiétude : « Ils ont ouverts les tiroirs. Je compte sur toi pour le faire disparaitre Edward ! ».

Pendant le mois de Février, les cartons de déménagement s’empilaient un peu partout. En brûlant la dernière trace de Suzanne, je brisais toute connexion avec la disparition de Suzanne. Par moment Thomas s’enfermait dans le bureau pour pleurer. Je l’entendais marmonner quelques phrases comme: « J’ai dépassé les limites, je suis maudit ». Je me demandais si son état s’arrangerait une fois que nous aurons déménagés à Londres. Thomas comptait monter son siège dans la capitale. James Anderson détestait Londres, il voyait la ville comme une décharge putréfiant de corps empilés et en décomposition. Les rues de Londres lui semblaient misérables et dangereuses. Il préférait de loin sentir la terre de son enfance. Thomas étouffait dans le manoir. La capitale était sans doute selon lui un remède dans son malheur. Les policiers revinrent une dernière fois au manoir pour une dernière inspection. Une fois le nouveau propriétaire installé, les forces de l’ordre seraient dans l’impossibilité d’enquêter à nouveau sur les lieux, à condition bien évidemment de trouver une preuve irréfutable du meurtre de Suzanne. J’accompagnais encore une fois ces messieurs à travers toutes les pièces. Quand nous retournâmes dans le bureau, je constatais plusieurs lacérations produites à l’espace du tapis. Thomas a dut faire plusieurs entailles dans le sol suite aux observations de l’inspecteur. Celui-ci beaucoup moins patient que la dernière fois, analysa chaque recoin avec encore plus de rigueur. Il réagissait comme quelqu’un qui avait le sentiment d’être pris pour un imbécile. Il constata sans mal, la différence d’état du sol entre aujourd’hui et la dernière fois. Il me fit la remarque et je lui répondais que mon maître avait absolument besoin d’uniformité dans la pièce. On me regarda comme un fou. Il ne put s’empêcher de faire le tour du bureau, puis d’ouvrir discrètement le dernier tiroir. Je lui en fis la remarque : « Je pensais qu’il était interdit de fouiller la vie privée de Monsieur Anderson, surtout quand il s’agit de ses affaires ». Il grommela puis sorti de la pièce. Il murmura quelque chose dans l’oreille de son coéquipier, puis lui fit signe de le suivre. Cette fois ci ils allèrent jusqu’au fond du jardin sans remarquer l’ancienne fosse que je m’étais assuré de boucher intégralement et d’y faire pousser du gazon. L’inspecteur arrêta de réfléchir puis s’en alla jusqu’à sa voiture avec son coéquipier. Je mis en place une petite stratégie des plus astucieuses. Avant de voir l’inspecteur s’en aller je m’assurais de lui enlever certains doutes par un tour de passe-passe. Je m’adressais une dernière fois à lui avant qu’il ne monte dans sa voiture de fonction : « Aimez-vous la magie Inspecteur ? » « Je ne m’intéresse pas à ces choses là » « C’est dommage, parce qu’il serait gênant que vous perdiez vos dessous aux yeux de vos collègues » « Que me racontez-vous ? Vous vous fichez de moi ? » « Non pas du tout, regardez ». Je lui tirais de ses poches plusieurs tissus de couleurs ficelés entre eux. Je lui tirais de chacune de ses manches d’autres mouchoirs colorés. Je m’abaissais pour lui sortir un autre de sa chaussette. Puis pour conclure, dépassant de derrière sa ceinture, je lui tirais un sous vêtement féminin en dentelles. Son coéquipier restait ébahit. Je lançais une plaisanterie à l’inspecteur : « Je ne connaissais pas les goûts de la police pour de telles choses ». Son coéquipier me demanda : « Comment avez-vous fait pour sortir une culotte en dentelles du pantalon de mon collègue ? » « Secret maison messieurs, mon maître adore me voir jouer ce petit tour des plus complexes, à nos nouveaux visiteurs. Puisque qu’il fut impressionné par votre observation de la dernière fois, au sujet du tapis, il voulait que je vous montre l’un de nos tours. Il aime lui aussi être surpris par ce tour de temps à autre. Je m’occupe de lui depuis tout petit et la magie l’a toujours intéressé ». L’inspecteur mal à l’aise regardait son collègue et lui adressa un regard significateur. Je compris qu’ils faisaient la connexion avec ce qu’ils avaient peut être vu dans le tiroir du bureau. Ils leur seraient impossible de se souvenir si celui du tiroir était usagé et celui de Suzanne. Par l’excentricité de cette idée, j’étais à peu près sur d’avoir brouillé les pistes.
 
(à suivre)