L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


mercredi 9 octobre 2013

Nouvelle: "Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" (dernière et 3e partie)


Dernière partie de la Nouvelle:
"Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" d'Antoine Rameau.
 
 
 
Plusieurs mois s’étaient écoulés. Nous logions au sommet d’un building. Notre nouveau foyer prenait tout le dernier étage en superficie. Thomas réserva l’étage du dessous pour le siège de l’entreprise Anderson. L’étage professionnel servait aux meetings, aux réunions et comptait également les bureaux des hauts dirigeants de la société qui travaillaient pour les Anderson. Les étages d’en dessous étaient d’autres bureaux pour les cadres, puis les plus bas étaient des logements luxueux. Thomas avait une terrasse en guise de toit. Il avait le sentiment de pouvoir enfin respirer, voir la civilisation. Le bâtiment lui offrait une vue magnifique sur l’agglutinement de l’activité urbaine. Il pouvait voir le Parlement et Big Ben de sa position ainsi que le prolongement de la Tamise. Il m’était des plus étranges de devenir le majordome d’un foyer aussi moderne. En réalité l’entretient de l’appartement était une partie de plaisir contrairement au manoir. Je ne savais pas quoi penser, si vivre ici était une preuve que nous régressions ou que nous nous modernisions. Au fur et à mesure d’autres tâches de nouvelle nature faisaient leur apparition. Je faisais guise de chauffeur personnel, je permettais les visites de Thomas dans son appartement, j’installais les gens, leur servais le thé. J’accompagnais Thomas au théâtre, au Globe Theater. Nous avions un bateau qui nous était réservé et faisait office de restaurant pour un large public. Thomas était de plus en plus autonome, il travaillait encore coude à coude avec le subordonné de son père. Il ne lui restait plus qu’une année à accomplir pour faire ses preuves. Quant à moi, je consacrais mon temps à étudier Londres dans ses moindres recoins. Comme je le fis pour le manoir, j’étendais mes connaissances jusqu’aux frontières de la ville. Londres est une capitale immense, cela m’a demandé beaucoup de temps, mais je réussi à intégrer la vie urbaine avec succès. Je connaissais toutes les grandes rues, les grands carrefours, les places publiques, les grands magasins, les sites culturels, l’emplacement des autres entreprises, le réseau du transport souterrain. Dans cet immense labyrinthe, je me construisais les meilleurs raccourcis, je déterminais les zones les plus et les moins denses en population. Je côtoyais pendant un certain temps, les bars et les petits restaurants pour connaître les potins, et les magouilles de chaque quartier. J’étais loin d’avoir la carrure suffisante, pour être un véritable garde du corps, je n’étais d’ailleurs plus tout jeune, mais pas encore rouillé pour autant. Par mes capacités à anticiper, à mémoriser, puis à évaluer, j’étais devenu le londonien le plus fiable qu’il soit. Certains n’avaient pas assez d’une vie pour accomplir cette performance. Ceci me permettait à ma façon de protéger Thomas.

Il prenait de plus en plus ses marques. Au tout début il ne bougea pas beaucoup du bâtiment, certainement parce qu’il n’était pas habitué à tout cela. Sa célébrité, lui ouvrit des portes et diverses relations à droite et à gauche. Il rentrait de plus en plus tard le soir. Parfois il ne revenait qu’au levé du jour, d’une fête dont il ne m’avait pas fait part la veille. Je lui indiquais tout de même mon inquiétude de ne pas savoir où il se trouvait le soir. Il me répondit que tout allait bien et qu’il était assez grand. Bien sur cela va de soi. Un mardi soir je le vis entrer complètement saoul dans l’appartement avec une sorte de fille de joie. Sa chemise était ouverte. La cravate défaite, pendait autour de son coup. La fille enlevait son manteau de fourrure, puis posa son sac à main sur un canapé. Thomas souleva la putain, puis l’emmena dans la chambre. Il poussa la porte avec son pied et fit de même pour la refermer. Il ne prêtait même pas attention à ma présence. J’étais installé dans un fauteuil à lire le journal. Je pouvais entendre des cris d’animaux poussés par la jeune femme. Sa façon d’exprimer son plaisir était des plus vulgaires. J’entendis plusieurs coups, comme des claques suivis de cris courts et aigus. Puis vint ensuite des cris de plainte. Je me levais et me dirigeais vers la porte de la chambre. J’entendais la fille crier : « Arrêtes. Mais arrêtes bordel ! ». Je m’approchais jusqu’à la porte puis collais mon oreille. Un hurlement qui était celui de Thomas éclata. La fille criait : « Tu es complètement dingue pauvre con, je me casse ». La pute ouvra la porte soudainement, elle était en colère. Elle m’aperçut puis me lança : « Il faut l’interner votre psychopathe. Il a essayé de m’étrangler. Filez-moi mon fric ! » « Combien ? » « 300 livres ». J’allais chercher mon portefeuille et laissais tomber les billets par terre. Elle s’abaissa pour tout ramasser en me lançant des injures. Je lui demandais de partir sur le champ et de ne plus revenir. Pute : « C’était bien mon intention, vieux connard ». Elle prit l’ascenseur pour aller au rez-de-chaussée. Thomas sorti de la chambre les yeux gorgés de larmes, il était nu. Une énorme griffure partait du coin de son œil jusqu’en bas de sa joue. Thomas : « Regarde ce qu’elle a osée me faire Edward. Ta vu pour qui elle s’est prise cette putain ? Elle est bien trop chère pour juste servir de piquet sur des draps en soie. Salope ! Elle ne sait pas qui je suis ». Il alla dans la salle de bain, puis prit plusieurs compresses et de l’antiseptique dans la pharmacie. J’allais le prendre par le bras pour l’asseoir sur une chaise. Je passais les compresses sur sa griffure assez profonde. Heureusement qu’elle ne mit pas son ongle dans l’œil. J’expliquais à Thomas qu’il ne devait pas avoir affaire à ce genre de gens. Ils n’appartenaient pas à la même classe que nous et ne pouvaient comprendre la vie que l’on menait. Je lui demandais s’il avait rencontré par hasard une jolie jeune femme, bien instruite, pratiquant un métier honorable. Il me répondit : « Aucune d’entre elles n’égaliseront Suzanne ! ». Le prénom de Suzanne revint comme une blessure mal cicatrisée. Elle continuait de hanter Thomas. J’essayais de trouver la réponse adéquate pour calmer sa colère : « Londres regorge de femmes intéressantes et aussi sublimes que Suzanne, je suis sur qu’avec un peu de sociabilité tu parviendras à trouver quelqu’un qui t’aimera et te donnera ce que tu attends » « Tu penses qu’une telle femme existe à Londres ? » « Bien sur, fais comme moi, arpente les rues, visite les places publiques, va dans un café, rends service à une femme dans le besoin et peut être te tendra-t-elle la main » « Tout le monde ne peut pas autant s’adapter que toi à un nouvel environnement Edward. Personne ne sait aussi bien que toi rendre un endroit infect en un lieu respectable. Tu as de véritables pouvoirs, des dons n’appartenant à personne, je t’envie. Toi et ta ponctualité irréfutable ». Thomas me mit mal à l’aise. Il me faisait presque peur. Il réagissait comme un enfant en crise d’adolescence.  S’il avait pu m’enfoncer ses doigts dans la tête pour me dérober les capacités que j’ai développées par le fruit d’un travail acharné, il le ferait. Pourtant Thomas avait besoin de moi, plus que de quiconque. Il tira avantage du lien qui nous unissait, mais il tirait également avantage du fantôme de Suzanne qui planait au dessus de nous. Aussi invraisemblable qu’il soit, je voyais resurgir les mauvais côtés de James chez Thomas. Je sentais même que quelque chose de plus obscure grandissait en lui. Des ténèbres m’aveuglant et me rappelant que le cauchemar n’était pas fini. Notre vie gagna en modernité, et le mal était plus que jamais tapis dans les coins sombres de l’esprit de Thomas.

Il m’appela un vendredi soir. J’étais en train de compléter définitivement les documents de droits de succession dans les affaires Anderson avec William Hartford, le bras droit de James. Nous étions dans le salon de sa résidence secondaire londonienne. Nous parlions de sa proche retraite ainsi que de la forte médiatisation de Thomas: Anderson fils reprend le flambeau ! On pouvait voir quelques photos de Thomas avec moi à ses côtés. C’est une chance d’avoir eu une personne de confiance telle que William durant ces dernières années. Le transfert allait aboutir. Tel un père, et fier, je voyais Thomas prendre la relève comme un homme. Je sentais venir à la fois la fin de nos incertitudes et un nouveau départ. Mais je me trompais. Thomas m’appela un vendredi soir de printemps sur mon téléphone portable, et me prononça ces mots : « J’ai recommencé. Encore une fois. Ma malédiction est revenue ». Je posais le téléphone sur mon genou, serré dans ma main. Mon regard fixait la table basse où nous étions installés. William me demanda ce que j’avais. Je lui répondais que tout allait bien. J’approchais le téléphone de mon oreille et je demandais une chose à Thomas : « Ou-es-tu ? Donnes-moi l’adresse, j’arrive tout de suite ».

J’arrivais dans un immeuble, je sonnais au numéro de la porte que m’indiqua Thomas. Il m’ouvrit la porte et la referma derrière moi. Il s’agissait de l’appartement d’une jeune femme qu’avait rencontré récemment Thomas. Il y avait des éclaboussures de sang un peu partout. Sur les murs, les rideaux de la fenêtre. Le centre du lit ressemblait à une marre de sang. Je constatais que le corps avait été traîné jusqu’à la salle de bain. On pouvait voir le sang former un sillage jusqu’à la baignoire. Le corps de la jeune fille était dedans, les vêtements entièrement rouges. Il avait fait de cette pauvre fille, un corps méconnaissable. Cette fois ci, Thomas avait atteint le point de non retour. L’état des pièces rendaient compte d’un véritable carnage. Il portait des gants en cuir. Une lame était sur la moquette, un rouleau de ruban adhésif trainait par ci, du fil de fer par la. Il ne pleurait plus, il se donna de bonnes raisons. Il se mit même à me faire chanter : « J’ai eu l’idée de porter des gants, cela évitera de s’inquiéter pour les empreintes. J’ai vraiment cru qu’elle serait à la hauteur, mais elle n’a fait que de me décevoir et me contrarier. Ne t’en fais pas Edward, je te promets, elle n’en valait pas la peine. J’en trouverais une autre. Maintenant c’est l’heure de faire appel à tes talents de magicien. Tu arriverais à tout faire disparaitre ? » « Tu ne peux pas agir de la sorte, sans avoir aucune conscience de tes actes Thomas ! On ne peut pas se débarrasser des gens comme cela ! Il n’y a rien d’humain à faire ce que bon te semble. Rendre cette pièce aussi neuve qu’avant demande du temps et des méthodes très complexes. On ne pourra pas s’en sortir comme cela à chaque fois. Il faut cesser ! » « J’ai tous les droits, dans peu de temps je serais intouchable. Qui soupçonnerait l’héritier Anderson ? Ils ont besoin que nos entreprises fonctionnent, et j’ai bien d’autres projets à proposer à notre marché. Il est temps de faire un pas en avant au lieu de stagner comme le fit mon père. La vie et le progrès sont possibles que si l’on prend des risques. Edward, depuis le temps que je te connais je sais parfaitement de quoi tu es capable. Je sais qu’en me fiant à toi, nous n’encourons aucun risque. Je t’ai mis le corps dans la baignoire pour qu’il se vide dedans. J’ai commencé le travail, il n’y a que toi qui puisse le finir » « Comment veux tu que nous emportions un corps sans nous faire prendre ? Il faudrait d’énormes valises, couper le corps » « Tu vois ? Tu arrives déjà à anticiper sur la question du corps. C’est pour cela que je crois en tes capacités de nettoyer une scène de crime. On n’a plus le choix. Si je me fais prendre, s’en est fini de nous. Nous faisons ensemble la une des journaux. Ma réputation est faite ainsi que la tienne. Si cette affaire éclate, nous plongerons l’un comme l’autre. Nous sommes liés depuis Suzanne, depuis ma naissance, tu as toujours travaillé pour notre famille. Nous t’avons permis cette nouvelle vie. Aide-moi à la préserver » « J’ai toujours été loyal envers les Anderson. Je t’ai tenu la main dans les moments les plus sombres de ton existence, comme un vrai père. Comme me l’a demandé James. Je resterais fidèle à mon maître jusqu’au bout, je n’ai qu’une parole. Mais j’ai besoin de savoir une chose Thomas. Compte tu en finir une bonne fois pour toute avec ces choses ? » « Je ne sais pas. Nous pouvons conclure un pacte, définir des règles. Peut être faut-il que je retrouve ces limites que je possédais avec Suzanne. Le jour où je sais que je perdrais le contrôle de mes pensées, je t’avertirais. Je m’arrangerais pour te fixer une heure et une adresse à laquelle tu pourras me rejoindre si ce genre d’incident ressurgissait » « Tu ne peux pas tuer continuellement. Il faut du temps. Ne pas attirer les soupçons. Trouver des alibis. Calmer les colères. Je ne pourrais jamais couvrir le meurtre de plus de deux personnes par an Thomas » « Je ferais de mon mieux » « Ce n’est pas un jeu ! Il ne s’agit pas de se limiter à un nombre de personnes comme si il s’agissait d’une cure meurtrière. Si tu peux te retenir, je t’implore de le faire. Il faut enfermer tes pulsions. Tes colères. Tes peurs. Je préfèrerais te savoir en meilleure santé et les idées en place. Le cas contraire, je me présenterais à l’heure que tu m’auras fixé, mais je te prie d’arrêter. Ce n’est pas un majordome qui te le demande. C’est un père ». Thomas les larmes aux yeux s’effondra, il tomba sur ses genoux puis s’agrippa au bas de ma veste. Il me disait qu’il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait le sentiment que son esprit s’égarait et que son corps agissait selon la volonté d’une force invisible. Il me supplia de l’aider, qu’il était malade. Je le savais bien. Thomas a toujours eu cette chose au fond de lui, qui rayait la paroi de son crâne. Comme le son strident d’un couvert sur une assiette ou un disque vinyle tordu tournant incessamment. Un enfant effrayé et en colère sommeillait en Thomas. Il n’a jamais eu une vie normale. Je ne pouvais pas tolérer ce qu’il avait fait à ces pauvres filles, mais je ne pouvais pas lui jeter la pierre. Je réfléchissais au plus vite, à la meilleure stratégie pour provoquer une disparition, plutôt que de laisser des preuves suggérant un meurtre. Le magicien est capable de couper le corps d’une femme en deux, à la condition de suivre les bons gestes et le protocole. Il était question à présent de faire disparaitre ce qui a été abominablement entamé. J’avais besoin de savoir si quelqu’un d’autre était au courant que la jeune fille voyait Thomas aujourd’hui. Où si quelqu’un était tout simplement au courant de leur relation. Il ne pu approcher cette fille sans avoir passé un peu de temps avec elle. Un parent ou une amie devait forcement connaître leur liaison. La jeune fille ne devait certainement pas cacher, qu’elle avait eu des rapports avec le jeune patron des entreprises Anderson. Je demandais à tout hasard à Thomas, si quelqu’un d’autre savait qu’ils se voyaient aujourd’hui. Il semblait avoir prit ses dispositions. Il savait qu’elle était là, puis il est venu à l’improviste. Il l’a connaissait depuis peu de temps et avait demandé à la jeune fille de faire la promesse de ne pas parler de leur relation dans l’immédiat. A priori personne, ni même les parents de la jeune fille ne pouvaient êtres sûrs de ce qu’elle faisait aujourd’hui. Je n’avais pas d’autres choix que de faire confiance à Thomas. Je lui ai demandé d’aller faire un tour autre part, de se montrer aux paparazzis sur des lieux publics afin de lui constituer un alibi. Juste le temps de me laisser trois heures pour faire de cet appartement un leurre parfait. Thomas devra revenir, sans être suivi, pour dix huit heure, afin qu’il valide l’état des lieux.

A 17h58 Thomas était dans le couloir de l’immeuble devant la porte. Il faisait les cents pas. Deux minutes après j’ouvris la porte et lui fis signe de venir voir. Il pouvait constater que la pièce était intacte. Plus aucun corps, plus aucune tâche de sang. Les tissus étaient propres et mis en place. Les outils utilisés par Thomas n’étaient plus là. La chambre semblait, inhabitée, propre et rangée. Qui pouvait imaginer qu’on obtienne un tel résultat ? Même la baignoire brillait. Thomas prononça ces mots, les yeux grands ouverts : « de l’Art ». Qu’est ce qui plaisait le plus à Thomas en fin de compte ? Décharger ses pulsions dans le meurtre ou être le témoin de mon travail ? Il semblait se délecter d’un travail en binôme. Il m’appela une nouvelle fois « le magicien ». Avait-il le sentiment qu’en voyant son crime effacé, que ses pêchés étaient lavés ? Mon travail avait un rôle rédempteur pour Thomas. Pour lui, l’impossible devenait possible. Cela lui donnait le sentiment de posséder un pouvoir divin. Il ne pouvait que se croire intouchable. Il venait même à penser que c’était lui qui permit ce miracle. Par  mesure de sécurité, je ne dévoilais jamais à Thomas comment je m’y prenais. Après tout, un magicien ne dévoile jamais ses secrets. En ne dévoilant rien à Thomas, cela m’assurait qu’il ne pouvait répéter mes techniques. Cela le contraignait à m’informer de ses actes, et cela l’arrangeait tout autant. Comme un vrai spectacle de magie, il ne voulait rien savoir des méthodes employées. Il voulait simplement s’extasier devant ce qu’il ne pouvait expliquer. Il restait l’enfant que j’impressionnais par le passé. Si par malheur Thomas venait à découvrir mes astuces pour faire disparaitre une scène de crime, il tenterait de tout reproduire lui-même, jusqu’à l’erreur fatal. Il accumulerait bien plus vite les cadavres. Par les limites du contrat que nous nous sommes juré de respecter, je devenais inévitablement l’associé de Thomas : Anderson et Co.

Les années passèrent, et Thomas tua secrètement une autre femme tous les six mois, en me donnant à chaque fois les mêmes prétextes. Je me présentais toujours à l’heure qu’il avait fixée et qu’il respectait scrupuleusement. Je tapais toujours trois fois à des portes différentes, puis j’assistais toujours à des scènes de crime de plus en plus atroces et difficile à assumer. Heureusement que mes tours marchaient à chaque fois. Thomas prenait de l’aisance. Je frappais à la porte et il me disait d’entrer. Parfois je le retrouvais assis dans un fauteuil, le sourire aux lèvres. Il prenait le geste professionnel de me serrer la main pour valider l’échange, du tueur au nettoyeur. Jusqu’à ses 30 ans et moi à mes 60 ans, l’entreprise Anderson progressa comme l’avait imaginé Thomas. Malgré ses faiblesses et ses pulsions, il était profondément un homme intelligent qui devenait toujours de plus en plus sur de lui, mais il prenait également trop d’assurance. De la même manière que James, Thomas pensait qu’il pouvait exercer un pouvoir infini sur les populations.  Il est vrai qu’il avait le pouvoir sur un grand nombre d’employés. Il contrôlait d’autres marchés importants, et était un argument de poids capable de plier ses partenaires commerciaux à ses exigences. Il finança d’importants partis politiques et d’autres campagnes. Il avait de très bonnes relations, des gens hauts placés dans la poche. Des juges de son côté, les meilleurs avocats à son service. Quand il commettait de petites infractions, les pots de vin suffisaient. Je craignais que ce succès qu’il rencontra très tôt, lui fasse croire qu’il serait en mesure de tuer qui il veut, aux yeux de tous. Mais ses démons agissaient toujours dans l’ombre. Il était extrêmement malin. Voici que j’ai trente années de plus que lui et je commençais à me fatiguer de plus en plus. Comment fera Thomas si un jour je venais moi-même à disparaitre ? Voici huit meurtres que j’effaçais depuis Suzanne. Plus les femmes s’intéressaient à Thomas et lui tournaient autour, plus j’avais peur. Quelles étaient les limites de cette folie ? Je m’épuisais, et portais le poids de plusieurs morts. Les esprits de Thomas, semblaient cependant libres et déchargés. Je portais l’entière responsabilité de ses actes. Jusqu’à un hiver où tout bascula.

Il neigeait dehors. Les routes et les maisons étaient blanches. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas neigé ainsi. Thomas sortait d’une importante rencontre où il signa pour d’importants partenariats. Il décida de faire un tour dans la ville. Il descendit de son building, vêtu d’un manteau chaud, de gants et d’une écharpe. En sortant il ne vit pas les deux jeunes femmes qui l’attendaient près de l’entrée. Il partait vers la gauche, alors que les deux filles étaient sur la droite. L’une était blonde, la deuxième brune. Elles étaient magnifiques et très sensuelles dans leur allure. Elles semblaient sûres d’elles,  sûres du charme qu’elles pouvaient avoir sur un homme. Elles réagirent vite quand elles virent Thomas partir dans l’autre direction. Elles bondirent et se mirent à le suivre. Thomas était assez couvert pour cacher le bas de son visage dans son col de manteau, mais ces deux filles qui l’attendaient de pied ferme, savaient qu’il ne pouvait s’agir que de lui. Elles le rattrapèrent progressivement, puis chacune pris un bras à Thomas pour le suivre et avancer à ses côtés. Thomas fut surpris de voir ces deux femmes s’agripper à lui, et ne plus le lâcher. Elles marchaient avec lui et lui firent des propositions. Elles lui demandèrent plusieurs choses : « Tu nous ferais visiter le haut de ta tour en revenant ? ». Puis elles lui firent des allusions beaucoup plus connotées et sexuelles : « Tu voudrais qu’on visite le haut de ta deuxième tour ? Tu es plus blonde ou brune ? Comment tu nous trouve ? Tu préfère venir chez l’une d’entre nous ? Un plan à trois tu as déjà connu ? ». Tout s’embrasait dans la tête de Thomas. Il souriait fièrement. Il entrait dans leur petit jeu et prenait le rôle du petit garçon innocent qui ne connaissait rien à la vie, mais qui aimerait bien qu’elles lui montrent leur version des prochaines heures. Thomas serrait des dents. Ces deux femmes ne faisaient pas que de réveiller sa libido, elles réveillaient une bête affamée. Il imaginait déjà comment il allait laisser son imagination déborder. Comment prendre plaisir de l’instant qui s’offrait à lui ? Un homme au loin était caché et les prenaient en photo. Ces filles travaillaient pour ce photographe, qui lui-même travaillait pour quelqu’un de haut placé. Ces filles avaient étés payées grassement pour êtres les objets d’un futur chantage ou autre complot souterrain. Si les pulsions de Thomas sommeillaient dans la plus grande noirceur de son âme, le monde tournait dans l’ombre d’incalculables intérêts personnels. Il se fit entraîner comme une proie dans un logement discret des rues de Londres, dans un coin peu fréquenté. L’homme mitraillait avec son appareil. Quand Thomas entra dans la maison, l’homme se posta aux fenêtres et changea de position en fonction des déplacements de Thomas. Après quelques minutes, Thomas se mit à son aise, il alla fermer les rideaux des fenêtres. Le photographe ne s’attendait pas à ce que Thomas ferme chaque rideau et chaque store. Sa séance photo tombait à l’eau, il ne pouvait obtenir les clichés les plus prometteurs. Surtout, il ne comprenait pas pourquoi Thomas avait besoin de tout fermer de cette façon. Il tourna bêtement autour de la maison, mais toutes les issues qu’il s’était assuré de laisser ouvertes, ont été refermées. Il tentait d’écouter à travers les portes et les fenêtres, tout en s’assurant de ne pas se faire voir par les passants dans la rue. Il tenta d’ouvrir le plus discrètement possible, la poignée de la porte d’entrée. Rien. Il avait tout fermé. Il se demandait comment les choses évoluaient avec les filles. Il alla plus loin dans la rue, s’installa sur un banc et attendait de voir du mouvement.

Pendant que le photographe effectuait le tour de la maison, Thomas avait commencé son œuvre. Il avait fait croire aux jeunes femmes qu’il s’agissait d’un jeu. Elles, pensaient que Thomas voulait simplement réaliser ses fantasmes. Elles se laissèrent ligoter à différents endroits. La brune fut attachée sur le lit par son amie, ensuite Thomas ligota la jeune blonde dans la salle à manger sur une chaise. Des réactions, commencèrent à inquiéter les jeunes femmes sur la nature des actions de Thomas. Elles remarquèrent qu’il ferma toutes les issues ainsi que les rideaux. Mais la popularité de Thomas leur empêchait de prévoir le pire. Elles ne pouvaient imaginer qu’il se permette d’horribles fantasmes. Il sortit du ruban adhésif de sa poche puis se retourna pour l’appliquer soudainement sur la bouche de la jeune fille blonde. Celle ci poussa un cri bien trop étouffé pour que son ami ne l’entende de la chambre. Thomas alla dans la chambre puis enroula la bouche de la deuxième fille avec le ruban. Il su s’y prendre assez rapidement, pour éviter tous hurlements audibles dans la rue. Elles se mirent à pousser une succession de cris. Elles comptaient sur le photographe, à l’extérieur, pour réagir suffisamment tôt. Mais ce dernier n’intervint pas, il attendait sur l’un des bancs de la rue. Thomas décrocha son téléphone, puis indiqua l’adresse et 15h à Edward.

Il termina son œuvre vers 14h30. Il avait accompli là, une étape supplémentaire. Il déchargea sa colère sur deux femmes qu’il jugeait trop provocantes. Il prit un sac poubelle dans lequel il mit les affaires tâchées de sang. Il savait qu’Edward allait en apporter d’autres. Il se permit d’utiliser la douche pour se laver intégralement. Maintenant il attendait l’arrivée d’Edward avec impatience. Dans la plupart des contes et légendes, quand un être vient à une heure précise, frapper à votre porte, cela ne présageait jamais rien de bon. Il était souvent question de « la mort », venant chercher l’âme de l’être maudit. Est-ce que Thomas attendait au plus profond de ses tourments que la mort ne l’emporte ? Attendait-il le père Noël, comme un enfant au pied de la cheminée ? C’est seulement maintenant qu’il éprouvait la plus grande excitation possible. Il suivait les longues minutes sur sa montre. Il ne restait plus que treize minutes. Thomas voulait voir le tour de magie, il attendait que le spectacle commence. Son impatience traduisait un plaisir intense. Pour occuper ses dernières minutes, il posa une serpillère sous la chaise où était attaché le corps de la jeune blonde. Il espérait rendre la tâche plus facile à Edward en évitant au sang de se propager. Il s’installa dans un fauteuil puis ne décrocha pas son regard de sa montre. Est-ce que Edward allait prouver une nouvelle fois sa ponctualité ? Allait-il relever le défi de faire disparaître deux corps ? Afin de faire hommage au travail d’Edward, il cacha l’un des sous vêtement des deux jeunes filles, dans l’une de ses manches, afin d’épater son majordome. Il restait une minute. Il suivit du regard les soixante dernières secondes. Il arrivait déjà à entendre les trois coups sur la porte d’entrée. Les trois coups qui certifiaient de code. Trois seconde restante, il leva la tête vers la porte. Rien. Personne ne frappa à la porte. Thomas resta figé, la bouche semi-ouverte. Il s’était dit que sa montre avait une minute d’avance, pourtant il régla sa montre en même temps que celle d’Edward. Trois minutes après, toujours rien. Thomas sentait la panique l’envahir. Il se leva et fit les cents pas dans la maison. Il essuyait sans cesse la sueur qui coulait de son front. Il se mit à injurier tout haut : « c’est pas vrai ! C’est impossible ! Cela ne ressemble pas à Edward ! Ou es t’il bordel ? ». Il respira de plus en plus vite et de plus en plus fort. Il commençait seulement à ressentir cette sensation de panique pour la première fois. D’habitude Edward était toujours présent au bon moment. Pour la première fois, le petit monde parfait de Thomas Anderson s’écroulait. Il attendait les trois coups de « la mort » à la porte. Mais rien ne vint le chercher. Il cassa quelques objets posés sur les tables et les plans de travail. Une poussée de colère monta en lui. Il sentit à nouveau cette impression de délaissement, comme quand il fut enfant. Il se dit : « Edward, toi aussi m’as-tu abandonné ? As-tu cessé d’être loyal ? ». Il essayait de retrouver sa respiration, il suffoquait et tremblait. Il sentit le poids des huit derniers meurtres lui rire au nez. Il entendait la voix de Suzanne dans sa tête : « Je t’avais bien dit de ne pas dépasser certaines limites Thomas ! Tu es livré à ton propre sort ! ». Son portable a été tâché de sang et cassé dans l’action. Il ne pouvait même pas appeler Edward. Il se sentit trahi, délaissé. Thomas pensait qu’Edward avait fini par se dégonfler, par le laisser tomber. Il se mit à maudire son majordome : « tu es finalement comme mon père ! ». Il courut prendre un seau, et épongea maladroitement le sang avec la serpillère. Il déversa beaucoup de sang dans les toilettes, mais il l’éparpillait également. Le sang est visqueux, collant et très tâchant. En tentant de réparer son œuvre, il se rendait compte du travail que c’était de maquiller un meurtre. Hors, il s’agissait de deux meurtres. Il détacha les corps et balança la ficelle et le ruban adhésif dans le sac poubelle. Il tira le corps de la brune jusque sur le carrelage de la cuisine, puis il posa le deuxième corps sur elle, pour regrouper les deux cadavres. Il prit les tissus qu’il pouvait retirer, les rideaux, les draps, le tapis. Heureux de voir un tapis, il se souvint de ce qu’ils firent avec Suzanne. Mais il comprit très vite que le tapis de la maison était beaucoup plus petit et que là, il s’agissait de deux corps. Il posa maladroitement les deux corps sur le tapis et tenta de les enrouler. Il jeta d’autres objets souillés dans le tapis, puis il regroupa tout le textile dans la baignoire. Il voyait que la plupart des tissus étaient des produits Anderson. Il sourit puis remercia les deux cadavres de leur fidélité : « c’est grâce à des gens comme vous que les entreprises Anderson ont pu êtres prospères. Merci de votre loyauté et de votre confiance ! ». Il resta immobile, se voyant parler à des cadavres. Ce n’était pas des remerciements qui allaient changer grand-chose à la crise que traversait Thomas. Il brûla les tissus dans la baignoire en déversant du White Spirit dessus. Quand il vu toute la fumée, il jeta le contenu du seau sur les draps. Puis il lança à nouveau un seau rempli d’eau. Il regardait sa montre, il allait bientôt être 16h. Il resta planté au milieu de la pièce faisant face à ce qu’il avait commis : « Edward je te déteste ! ». A 16h, trois coups ressemblant au code, retentirent contre la porte. Il ne pouvait s’agir que d’Edward. Thomas prit un couteau dans la cuisine. Il m’entendait dire de l’autre côté de la porte : « C’est moi Thomas ! Ouvres moi. ». Il ouvra la porte en gardant son autre main et la lame dans le dos. Il resta derrière la porte puis referma la porte. Devant ce que je vis, je ressentais une profonde peur. Je lui fis ces quelques remarques : « Je savais que tu ne pourrais te contenter d’une seule personne. Mais pourquoi avoir commencé à nettoyer ? Tu as aggravé la situation ! ». Il brandit de colère et m’enfonça le couteau dans le dos. Je hurlais de douleur. Il retira la lame, et enchaîna une succession de coups. Je sentais de moins en moins la douleur, mais je pu ressentir Thomas s’acharner sur moi. Il retenait mon dos contre son torse en passant un bras devant moi, puis avec l’autre, il répétait les attaques. Il me demandait pourquoi je l’avais trahi, tout en pleurant. Mon regard se posait sur sa montre affichant 16h03. Je mourrais, cependant soulagé. De la douleur, je n’étais devenu qu’un esprit dans un corps sans force et sans vie. Je reconnu là l’une des mauvaises habitudes du manoir, d’oublier de passer les horloges à l’heure d’hiver. J’étais bel et bien à l’heure car j’avais pensé à reculer les aiguilles d’une heure sur ma montre. Thomas n’avait même pas remarqué que les horloges de la maison indiquaient également 15h. Je me disais que c’était mieux ainsi. Thomas allait comprendre son erreur tôt ou tard. Je m’écroulais au sol et eu pour dernier geste de lui pointer du doigt l’horloge de la maison. Il fixa l’horloge tandis que j’avais rendu mon dernier souffle.

Alors que j’allais quitter mon banc, abandonnant tout espoir, j’aperçu un homme frapper trois fois à la porte. Je gardais toutefois mes distances. La porte se ferma derrière l’homme âgé. Quelques minutes après, Thomas Anderson sorti de la maison en courant. Il laissa la porte ouverte et je m’approchais, reprenant en main mon appareil photo. Quand je franchis le seuil de la porte, les circonstances prirent une tournure des plus horribles et inattendues. Si le sexe est ce qui permet à l’Homme de parvenir à ses fins, le meurtre est sans aucun doute ce qui permet de le renvoyer vers ses origines. Mes employeurs pouvaient enfin trinquer à la fin du progrès Anderson.

 
FIN.

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