L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


dimanche 9 juin 2013

Analyse et anecdote du film Twixt de Francis Ford Coppola

Je ne voudrais rien affirmer. Je fais là une supposition par rapport à l'étrange titre de ce film. Twixt en mon sens, se rapprocherait du terme "Twist" employé dans l'écriture scénaristique. Je pense qu'on peut se permettre de faire le lien pour deux raisons: le dénouement du film, et parce que le personnage principal Hall Baltimore (Val Kilmer) est lui même écrivain.
 
Je prendrais la définition de l'ouvrage L'écriture de scénarios de Jean-Marie Roth, publié en 2006 aux éditions Chiron. Il s'agit de la page 56:
 
"Le twist est une information, révélée au spectateur, dont la teneur modifie profondément la lecture du film Un ou plusieurs personnages peuvent avoir la même révélation que le spectateur, mais ce n'est pas indispensable Ainsi, vous pouvez montrer votre héros se confier à son meilleur ami durant la moitié du film puis, surprise ! présenter cet ami comploter avec l'ennemi Cela ne changera strictement rien au déroulement de l'histoire, mais modifiera fortement l'avis du spectateur sur celui qu'il croyait être un soutien de votre protagoniste. Généralement, le twist est employé en toute fin de film. Le Sixième Sens, Les Autres ou Usual Suspects sont basés sur ce procédé. Le piège, dans lequel vous risquez fort de tomber, est de "trouver" un twist vers la fin de l'écriture de votre scénario. Croyez-moi, il ne fonctionnera pas. Lorsqu'un film est basé sur un twist final, toute sa construction est faite pour y mener. L'auteur part du twist pour fabriquer son récit."
 


Twixt, thriller horreur de 2011, réalisé par Coppola avec Val Kilmer et Elle Fanning.
 
Résumé: Hall Baltimore, écrivain ivrogne, célèbre par le passé, vient dans un village retiré faire la promo de son dernier livre qui ne rencontre pas un franc succès. Le shériff qui est l'un de ses plus grands fans, lui propose de rester quelques jours en ville afin qu'il retrouve l'inspiration. Pour l'aider à nourrir son imaginaire, le shériff lui parle du récent assassinat commis dans les environs. Le cadavre d'une jeune fille conservée à la morgue du coin, garde un pieu enfoncé dans le coeur. Hall abandonne les histoires de fantômes pour des histoires de vampires. En essayant d'élucider cette affaire des plus étranges et irréelles, l'écrivain renoue avec son douloureux passé.


Le réalisateur, auteur du film Dracula inspiré du roman de Bram Stoker, aborde une nouvelle fois, l'imaginaire des vampires. Ce film serait en partie autobiographique. L'histoire de Hall Baltimore serait proche de la vie du cinéaste. Nous apprenons à la fin du film que Hall a perdu sa fille dans un accident de bateau. Rongé par la culpabilité (père absent et alcoolique), l'écrivain fait de nombreux rapprochements entre la jeune victime et sa fille défunte. Le village fait planer un mystère qui semble exorciser les pensées noires du personnage. Hall résout cette affaire au sein de ses rêves, le plongeant dans un monde en noir et blanc, dont seul le rouge ressort. La principale intrigue du film est: qui se cache sous le drap blanc de la morgue ? Nous savons qu'il s'agit de la victime, mais à aucun moment le personnage principal ne retire le drap pour voir le visage. Le spectateur déjà intrigué par ce pieu qui "maintiendrait la morte dans son sommeil", avance aux dépends d'Hall Baltimore. Le village est marqué par les esprits des morts dont Edgar Allan Poe, puis les enfants tués par le curé du coin. Nous nous sentons vampirisés par l'affiche du film avec une Elle Fanning à la fois fantôme et vampire. Nous découvrons que le shériff en mal de rebondissements et d'actions, est lui même impliqué dans l'histoire. Vers la fin du film, Hall prend la décision de regarder qui se cache sous le drap (un sosie de sa fille ?). Il se passe alors ce que le spectateur attendait depuis le début. Jusqu'à ce que...
 
TWIST
 
L'ensemble du film, son mystère, son fantastique, son macabre, sort tout droit de l'imaginaire de l'écrivain qui était en train d'écrire son dernier roman. Le spectateur voit ses espoirs s'envoler, manipulé par le travail d'Hall Baltimore.
 
A sa sortie, la critique note mal le film. En reprenant la définition de Jean-Marie Roth, est ce que le twist est justifié ? Ou est-ce un très mauvais retournement de situation de la part de Coppola ? Facilité d'écriture ou interprétation logique par rapport au titre du film ?
 
Quoi qu'il en soit, l'intrigue est bonne et le mystère efficace. Coppola reste bon dans sa mise en place d'un faux-monde fabriqué en studio. Le style recherché peut sembler lourd ou séduisant, les avis sont partagés. En mon sens, son récit reste efficace et beau.



Rameau Antoine

jeudi 6 juin 2013

Analyse et critique d'Only God Forgives de Nicolas Winding Refn

 

 

"Ryan Gosling et la douleur fantôme"



Douleur, ou membre fantôme désigne cette sensation qu'un membre amputé ou manquant est toujours relié au corps et interagit avec les autres parties.



Résumé: Julien, son frère Billy et leur mère, tiennent un club de boxe clandestin à Bangkok qui leur sert de couverture à leur trafic d'héroïne. Un soir le frère de Julien se fait tuer pour avoir violé et assassiné une jeune prostituée de 14 ans. La mère de Julien, revenue des Etats-Unis pour assister à l'enterrement de son fils, demande à Julien de le venger. Ce dernier, victime des caprices de sa mère, est pris dans un cycle de vengeance dont la police semble tirer les épingles. Julien, sorte de "perdant" agit contre son gré. L'officier en chef du corps de la police fait respecter l'ordre en imposant son jugement et ses châtiments extrêmement violents. Julien qui donne raison à l'assassin de son frère, est rejeté par les siens, et est placé au plus haut degré de son impuissance.
 

 
Plutôt déçus, ceux qui attendaient une suite digne du film Drive. Only God Forgives ne vient pas de la même planète, mais je propose cependant d'y planter notre drapeau de cinéphile.
D'une manière générale, on peut trouver ça lourd cette recherche du mutisme chez Ryan Gosling. Nous pouvons penser: le spectateur a apprécié cet aspect dans Drive, je le lui vends triple dose. Le film peut nous laisser ce sentiment d'excès d'esthétisme et de recyclage. Pourtant le mutisme de l'acteur demeure un jeu logique dans ce dernier film de Nicolas Winding Refn.
Le réalisateur balance entre le mystérieux et le violent. Il nous offre une image à la fois barbare et divine de Bangkok. L'univers impitoyable de Bangkok provient de cette violence parsemée par la pègre, les dealers et la prostitution. Le meurtre et le crime organisé sont confrontés à une police tout aussi violente et malhonnête. Le film balance Bangkok entre ses plans au filtre rouge (pour son exotisme, sa chaleur, sa sueur et son atmosphère ensanglantée) puis ses plans au filtre bleu (pour renforcer cette impression d'une mort qui plane).
Le film est marqué par ses longueurs et ses déroulements parfois extravagants (chorégraphie au sabre). Le réalisateur veut rester proche d'un cinéma asiatique qui puise sa force dans les représentations de la nature et du divin. Il peint Bangkok, comme une jungle urbaine sans règles et limites, pourtant structurée et contrôlée par la force policière.
Nous ne montrons pas la descente aux enfers de Ryan Gosling. Bangkok ressemble déjà aux enfers pour le personnage. Prenons pour exemple ses cauchemars, lorsque son corps est placé entre les murs d'un bordel. Les motifs représentés sur les murs sont récurrents. Ils expriment à la fois cet aspect nature et jungle sauvage, mais avec du recule ressembleraient à des flammes.
Ma théorie concernant le film est: l'âme de Ryan Gosling est déjà condamnée.
Lui, ainsi que l'inspecteur sont comme des fantômes qui errent dans la ville. Julien (Ryan Gosling) n'a pas de réels buts. Son esprit est comme coincé sur Terre, et son corps ressemble plus à un corps d'emprunt. Régulièrement nous avons ces plans où l'acteur regarde ses mains qui se referment. Le cadre de la caméra coupe le reste du corps, ne montrant que les bras. Julien regarde son corps comme s'il était lui même pilote d'une enveloppe charnelle ne lui appartenant plus. Ses bras sont comme coupés, tantôt il ressent une douleur émotionnelle gardée en lui, tantôt le personnage montre l'absence d'émotions. Je n'ai pas fait référence à la douleur fantôme par hasard. En gros: Julien semblerait souffrir d'un corps qui n'est déjà plus le sien. Plutôt bizarre dans l'immédiat.
Nous ne pouvons nier que l'acteur a un rapport assez étrange avec ses mains et son corps. Dans le plan où il se met en garde, avec en arrière plan la statue divine du club de boxe, Julien est dans la répétition du souvenir et du passé. Il est présenté dans le film comme un "perdant" incapable de se venger, ni même de se battre. Probablement parce qu'il n'a plus la même maîtrise, le même contrôle de son corps qu'auparavant. Il ressemblerait plus à une âme maudite, dont la souffrance s'exprimerait à travers ses gestes et son mutisme.
L'inspecteur lui, ressemble à un autre type de fantôme. Il serait l'âme vengeresse de Bangkok. Celui qui coupe les mains de ceux qui tuent, celui qui coupe la langue de ceux qui mentent, celui qui coupe les yeux de ceux qui sont trop curieux. Le titre Only God Forgives fait écho à cet inspecteur qui n'a pas le rôle de celui qui pardonne, mais le rôle de celui qui juge. Il ne faut pas interpréter son rôle comme étant celui d'un truand, il faut le voir comme un "ange de la mort" qui possède une autre fonction que celle de dieu. Ses habits noirs affirment son rôle. Il apparaît comme le bras vengeur de dieu, un bras armé d'un sabre. Parfois il sort son sabre de nulle part, lorsqu'il le saisit derrière son dos. Il semble la faire apparaître comme par magie. Son droit d'exécuter "le châtiment" s'organise et s'exprime comme un rôle divin à travers ses chorégraphies au sabre. Nous pouvons affirmer que ce personnage est un fantôme, lorsqu'il disparaît au moment où Julien le suit dans les rues, ou lorsqu'il a la prémonition, d'une proche fusillade.
La première rencontre entre Julien et l'inspecteur est très particulière. L'inspecteur dit: "ce n'est pas lui". Par un simple regard, il reconnaît les coupables. Cela renforce le pouvoir divin de l'inspecteur. Cependant on peut l'interpréter autrement. Julien serait mort depuis qu'il a tué son père de ses propres mains, et il serait un fantôme dans un corps d'emprunt. L'inspecteur verrait en lui un fantôme, condamné et incapable de tuer à nouveau. L'inspecteur sait que Julien est un fantôme et ne voit pas en lui une menace. La critique compare le plus souvent Julien à un "perdant". Selon moi, l'impuissance, si souvent exprimée dans le film (rapport avec la mère et le frère, rapport avec la jolie prostituée), est logique car Julien n'a plus la possibilité de lever la main. Probablement était-il autrefois un tigre violent et imprévisible, il n'est désormais plus qu'une âme condamnée.
Je terminerais sur le dénouement du film qui peut sembler étrange. Julien se fait trancher (volontairement) les bras par l'inspecteur dans un décor brumeux et naturel (étrange...). Non, il ne s'agirait pas d'une punition, mais bien d'une délivrance. L'inspecteur coupe les liens que possède Julien avec son corps d'emprunt, et libère son âme afin qu'il repose en paix. Il n'est pas question d'un châtiment mais complètement l'inverse: une rédemption.

 
 

Rameau Antoine