L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


jeudi 11 septembre 2014

BOYHOOD - 12 years a boy




Film de 2H46, sorti en 2014 avec  Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke, Lorelei Linklater… .

Boyhood est un film de Richard Linklater auquel il faut accorder du temps. Le réalisateur a entreprit ce projet sur une durée de douze années pendant lesquelles il a collaboré avec les mêmes acteurs, qu’il voit grandir et mûrir à travers ses protagonistes.  Ce film peut être appelé « expérimental » car les conditions de tournage ont été des plus exceptionnelles et démontrent que la barrière fictionnelle peut avoir une place ambiguë. Jean Rouch, un réalisateur et ethnologue français, s’est fait connaître pour ses nouvelles méthodes cinématographiques notamment la docufiction qui introduisit une part de fiction au sein d’un travail à but anthropologique. Dans le cas de Richard Linklater il s’agirait plutôt du contraire. Il trouve le moyen de donner un frappant réalisme à sa fiction. En suivant l’évolution de l’acteur principal Ellar Coltrane, sa vie privée est remise en question et nous pousse à nous demander ce qui est fictif ou réel. Qui est-il de l’acteur ou du futur jeune photographe ? C’est ce qui donne toute la profondeur au film et accentue la poésie de cette génération regardée à la manière d’un road movie et qui se pose la question : quel rôle doit-on jouer ? Cette interrogation est cruciale pour une œuvre qui mêle acting et vie individuelle. Il n’y a pas de réponse, on filme c’est tout. Le réalisateur aurait pu en filmer d’avantage. L’intérêt était de capter le monde sous l’angle d’un regard et de constater ce qu’a été la jeunesse du garçon. Richard Linklater par le biais de la caméra, se positionne comme un troisième parent aux côtés de la mère jouée par Patricia Arquette tout en gardant sa principale proximité avec Mason (Ellar Coltrane). Nous suivons Mason dans son cocon familial jusqu’au jour où il quitte le nid. Le film s’arrête peu de temps après le départ de Mason pour la fac. La réaction de sa mère est intéressante car cette émotion est probablement partagée avec le réalisateur qui va devoir achever son projet. L’attachement aux acteurs s’est concrétisé. La mère répond : je me suis mariée, j’ai divorcée, j’ai changée de maison, élevée mes enfants, je paye mes factures et tout ça pour ça. Comme un troisième parent, Richard Linklater doit laisser Ellar continuer sa route et doit « couper » le lien qui l’uni à ses personnages. Il ne faut pas oublier que la propre fille de Richard Linklater, Lorelei Linklater joue le rôle de la sœur de Mason, ce qui lie encore plus le réalisateur aux souvenirs qu’il a construits. A la recherche de « comment arrêter le temps » l’entourage de Mason le voit aller vers son indépendance. Le garçon finit sur ces phrases : « c’est le moment qui nous saisit ». Son travail de photographe lui permet de mettre un arrêt sur un moment tandis que le film se déroule de lui-même. Boyhood est un film non seulement à voir, mais à vivre car il est une explosion d’humanité.




Rameau Antoine

lundi 1 septembre 2014

Analyse et Critique - Enemy de Denis Villeneuve (2014)


En réponse à l'analyse de Wolvy 128 sur le blog Cinérama 

http://cinerama7art.com/2014/05/30/enemy-explication-et-decryptage/#comment-9608

 

J’ai interprété la scène du club autrement, ainsi que le titre du film car l’ennemi n’est peut être pas le double mais bien sa femme. Dans le club, on n’arrive pas à se situer entre "accouchement" ou "accouplement", les cris sont particuliers. L’araignée est un symbole de la femme, du piège par la toile, souvent utilisée pour exprimer des peurs et des phobies (Dracula) notamment la venue de l’enfant et la folie. Mais l’araignée "mâle" existe aussi et pour certaines espèces, la femelle mange le mâle après l’accouplement. Le talon qui s’apprête à écraser l’araignée, est le talon d’une femme et pas celui d’un homme qui voudrait se débarrasser de cette créature. Anthony (ou peu importe son nom, je ne pense pas qu’un nom domine l’autre) est clairement en proie et cherche à fuir. L’araignée est apportée sur un plateau, comme s’il s’agissait du repas mais correspond peut être aussi à la tête de saint jean baptiste offert à Salomée figure d’une tentatrice. La femme enceinte est une icône, sa position sur le lit, nue, la montre comme une divinité. La nuit au club a des connotations religieuses. Les hommes sont à la fois les prétendants, les "rois mages", et Anthony a le souci d’être l’élu. Ils attendent la venue de l’enfant comme s’il s’agissait d’un dieu.
Je pense que nous ne sommes pas simplement dans le souci de la "schizophrénie" qui est une question en première ligne, mais dans le souci de l’authenticité. Je me suis même demandé pendant le film s’il ne s’agissait pas des fantasmes sordides de la femme. Peut être qu’elle imagine tout cela même si c’est difficile à concevoir. Elle est dans la crainte de le perdre et chercherait un Adam Bell, présent, capable de remplacer le mauvais Anthony. Anthony meurt aux côtés de Mélanie Laurent, autre sorte de prédatrice. Un plan dans le bus, montre ses chaussures en peau de reptile. Le serpent est le prédateur de l’araignée. On la voit régulièrement remonter la fermeture de sa robe proche d’une seconde peau. D’ailleurs quand Anthony porte son cuir noir, il ressemble métaphoriquement à une araignée. Mélanie Laurent est clairement une rivale, un serpent prêt à dévorer l’araignée. Elle participe peut être au délire de la femme d’Anthony. Elle constate la marque de la bague, comme si l’anneau a été retiré du doigt d’Anthony pour être mis à Adam.
La chambre est véritablement le lieu de la permutation et je crois comprendre que tu es admiratif du travail Lynchien, plus particulièrement Mulholland Drive. Enemy ressemble de près à Mulholland Drive. Une clé mystérieuse qui est la réponse, une boîte bleue (ici la pièce secrète du club), la vie contraire et bouleversée de Naomi Watts. Le film est dit drame psychologique mais aussi fantastique et je pense qu’il ne faut pas écarter la veine fantastique. En tout cas il y a le Adam Bell qui rêve d’être Anthony, bon au lit, mais à côté c’est aussi un perdant, un pauvre figurant de cinéma.
Je te recommande au passage un film d’animation japonais dont le titre est Perfect Blue, qui permet aussi de voir Enemy différemment .
J’ai interprété autrement la cicatrice, peut être une blessure provoquée par l’araignée à la fin du film dans cette ambiguïté de la peur et d’une attaque probable. Il s’agit ensuite d’une marque que la femme enceinte aurait pu laisser à Anthony. Je le trouve étrangement fier lorsqu’il présente sa cicatrice. En tout cas je n’ai pas retenu l’accident de voiture, c’est peut être le cas. Au contact de la clé longtemps restée dans l’enveloppe, Adam voit sa femme sous son vrai jour. En gigantesque araignée. Dans Mulholland Drive l’ouverture de la boîte bleue perturbe le déroulement du film. J’ai aimé ton propos sur la farce qui arrive en second temps. Le problème comme toutes les boucles, rien ne nous garantit qu’il s’agisse de la deuxième répétition. Sa réaction à la fois amusée et effrayée, est un soupir exaspéré qui démontre sa compréhension de la situation.
Selon moi, Adam est autant un danger pour Anthony, qu’Anthony l’est pour Adam. Le titre Enemy est au singulier car c’est sans doute la façon dont il perçoit sa femme, et qu’il n’arrive pas à assumer sa tâche.
Entièrement d’accord sur la structure de film en forme de boucle. On dirait un serpent qui se mord la queue. La femme sur la photo déchirée, personnellement je ne la reconnais pas. On pourrait tout à fait imaginer qu’il y a toujours une femme différente sur l’autre moitié et que la femme enceinte trouve un moyen de s’en débarrasser. Si Mélanie Laurent est un serpent, elle mue, change d’apparence à chaque fois.

J’ai malheureusement développé trop d’hypothèses et de doutes pour cerner le vrai du faux. Je préfère en rester sur ta vision qui est certainement la bonne et celle donnée par les critiques. Peut être que le film manque parfois de clarté. Il faudrait lire le livre. Très photographique, la teinte jaune est souvent prêtée au film fantastique (Nosferatu), au film de conte (les films de jeunet) ou au souvenir (David Fincher, par exemple Millénium). Peut être que la teinte est une façon de regarder à travers la vision d’une araignée. Le film divisera obligatoirement le public en deux. Ceux qui aiment l’ambiguïté et tout simplement parce que le film est très esthétique, fort en symbolisme, puis permet de nous laisser libre interprétation. D’autres seront du parti de dire "ce qui se conçoit bien s’énonce clairement".

Rameau Antoine