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lundi 3 février 2014

Analyse et Critique : 12 Years A Slave - Dans les yeux de Steve McQueen


12 Years a Slave est le troisième long métrage du réalisateur après Hunger (2008) et Shame (2011). Nous nous souvenons d'un certain Django Unchained dans lequel Tarantino se permis la fantaisie de donner au personnage principal le droit d'accéder à sa vengeance. Steve McQueen revient vers la dure réalité des faits en montrant des personnages complètements privés de ces droits. Le film est une immense claque. Neuf nominations aux Oscars et il les vaut bien. En l'espace de trois œuvres, le réalisateur laisse des empruntes claires qui l'identifient comme un auteur à part entière. Nous retrouvons l'un de ses acteurs préféré, Michael Fassbender, ainsi que le surprenant Chiwetel Ejifor.
 

Douze ans d'esclavage est adapté d'après l'autobiographie de Solomon Northup (1853) l'un des rares survivants de cette période. L'Histoire commence en 1840. Solomon Northup, père de famille, petit bourgeois et musicien jouant du violon, est pris au piège par deux individus qui lui retirent son identité et détruisent en l'espace d'une nuit l'intégralité de ses droits. Solomon est séparé de sa famille qu'il ne retrouvera que 12 années plus tard. Alors qu'on lui propose un travail à la hauteur de ses qualités, Solomon est invité à dîner. Au cours du repas offert par les prétendus employeurs, ces derniers servent abondamment Solomon en vin. Les regards ne trompent plus. En une simple seconde les masques tombent, mettant la vie du personnage principal en danger. Solomon se réveille dans un cachot, pieds et mains liés. Le lieu est digne d'une scène de théâtre. Seul au milieu du néant, le projecteur fait plein feu sur lui. Solomon pense à une blague, une erreur, une terrible méprise, un cauchemar... . Deux hommes entrent et s'adressent à un homme à qui ils ont tout retiré. Traité bien plus mal qu'un animal, Solomon se transforme en un "bien" sur lequel les "propriétaires" exercent leur volonté, accordent la vie ou la mort. 

Steve McQueen fait évoluer ses personnages vers une perte de leur identité, un effacement du corps et l'aliénation. Pour leur survie, les esclaves doivent renier ce qu'ils ont été et ne peuvent plus qu'admettre ce qu'ils sont devenus. Solomon se fait appeler Plate, il doit appeler ceux pour qui il travail "maître", être plus obéissant qu'un chien et enterrer son éducation. Solomon tente de revendiquer sa situation tandis que les autres esclaves lui conseillent de se taire. Lorsqu'il est séparé de son compagnon de bateau, l'homme retourne auprès de son "maître" en marchant comme un animal. Solomon essaye de sauver ses qualités en proposant au premier propriétaire de faciliter le transport fluvial. D'autres blancs décident de la maltraiter pour qu'il se taise et qu'il garde sa science pour lui.

Une fois privé d'identité, Solomon voit son corps s'effacer. Il se retrouve pendu à un arbre en appui sur ses doigts de pieds, luttant toute une journée pour ne pas s'écrouler. Ce plan emblématique et propre à Steve McQueen est développé pour devenir une (moindre) torture pour le spectateur. Les minutes défilent. Tout le monde ignore le corps mis en danger. Maîtres et esclaves vaquent à leurs occupations. Le spectateur n'attend que de mettre la main sur un couteau pour couper lui-même la corde. Cette scène difficile à endurer nous force à regarder le mal dans les yeux. Dans ses précédents films, le réalisateur travaillait déjà sur la longueur des plans: des plans qui nous font honte, des scènes accentuant le "pathétisme" de la situation. Le corps pendu de Solomon ne renvoie pas à son sort, mais à ce qui l'entoure. Une journée ensoleillée, des enfants qui joue, des maîtres qui prennent le thé. Qui a oublié le corps suspendu de Solomon Northup ? Cette scène symbolise l'effacement de l'esclave, pas simplement au regard des tortionnaires, mais aussi à celui des autres victimes. Steve McQueen parvient à réveiller les nombreux soupirs qui survolent la salle de cinéma.

Ne sachant plus s'il existe réellement, Solomon regarde autour de lui (photo ci-dessus). Il est à la recherche de l'individu qui saura le renvoyer à lui. Shame, le deuxième film de l'artiste proposait le même schéma: le regard de l'acteur Michael Fassbender plein de honte, prisonnier d'un corps dans ses excès. Il regarde la caméra plongeant son regard dans le notre. Le mur invisible de la fiction est levé introduisant le spectateur dans l'action. Le regard caméra, connu comme étant un plan interdit, est utilisé lorsque le réalisateur décide de rendre un instant la fiction "réalité". Solomon nous regarde dans les yeux suggérant un: me voyez-vous, êtes-vous là ? Un regard d'appel à l'aide comme le personnage malade de Michael Fassbender dans Shame. Ce plan et ces scènes travaillées sur leur longueur posent la question: Y a-t-il quelqu'un pour arrêter cela ? Steve McQueen semble avoir pour emprunte et axe d'expression artistique "la prison" et plus particulièrement celle dont l'esprit est capable. Qu'il s'agisse d'Hunger, de Shame ou de 12 Years A Slave, le cinéaste construit avec succès un enfermement, là où les corps sont perdus dans la nature. Au milieu du champ de coton, les chants gospel sont les derniers refuges.

Hans Zimmer livre de magnifiques compositions qui viennent donner le ton à 12 Years A Slave. Parfois il se sert même des sons environnants et des musiques pour créer des monstres sonores. On peut penser à la scène du bateau et au bruit des moteurs. Hans Zimmer arrête la musique pour laisser les esclaves du champ de coton s'exprimer sur la tombe de leur "frère". L'un d'entre eux salut "l'oncle Abraham", probablement un clin d’œil à Lincoln à qui l'Amérique doit l'abolition de l'esclavage. Solomon dont l'esprit et l'âme s'étaient perdus, retrouve sa place parmi les Hommes lorsqu'il s'abandonne à un chant de solidarité. 

 

Rameau Antoine

 

Philip Seymour Hoffman - 2 Février 2014


A l'heure où je regarde au cinéma 12 Years a Slave de Steve Mc Queen. Un acteur du cinéma américain s'éteint.


 
Oscar du Meilleur Acteur et Golden Globe pour Truman Capote en 2006.
 
 
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