L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


vendredi 30 mai 2014

American Horror Story Coven vs The Lords of Salem


AMERICAN HORROR STORY – L’évènement de Ryan Murphy et Brad Falchuk

« Est-ce que American Horror Story Coven Saison 3 sera à la hauteur des deux premières ? Les Sorcières de Salem en désenchantent certains ».
 

C’est en octobre prochain que sortira le coffret DVD de la troisième saison. Diffusée pour la première fois en 2011 avec AHS (American Horror Story) Murder House puis en 2012 avec AHS Asylum, les créateurs de Nip/Tuk ont réunis 5,5 millions de téléspectateurs américains avec le pilote du troisième volet.

Le public se sent moins conquit par la dernière saison qui ne semble pas autant effrayer et tenir en haleine que les deux précédentes. Ryan Murphy et Brad Falchuk se sont proposés comme les « pères castors » de l’histoire d’horreur. La série Creepshow fonctionnait déjà sur ce principe des petites histoires racontées par l’amusant squelette tenant son livre. Les épisodes Creepshow arrivaient à surprendre et n’étaient pas accessibles à un jeune public. AHS peut être perçue soit comme le plat réchauffé des récits connus qui constituent notre culture fantastique ou bien comme un hommage à l’ensemble de ces histoires, mis en scène à l’aide d’un fil rouge qui rassemble à chaque saison le même casting (ou presque) d’acteurs. L’idée d’AHS est très commercial car ils exploitent de grands classiques de la littérature ou du cinéma : Amityville, L’Exorciste, La Dalhia Noir, Poltergeist, Massacre à la tronçonneuse, A la rencontre du troisième type, Les Sorcières de Salem, Le Sixième Sens, Frankenstein et bien d’autres.

Cette série a pour avantage de se renouveler à chaque saison ce qui lui permet autant de durer, que de s’arrêter si elle ne marche plus. Autrement dit, un projet commercial sans trop de risques sur le long terme.

Puisqu’il faut changer d’histoires à chaque saison, il y a un risque que le téléspectateur soit moins sensible aux derniers choix. Murder House et Asylum mettaient en avant des personnages principaux qui sont devenus victimes de leur environnement. La famille qui emménage dans la maison du premier AHS ne s’attendait pas à toutes ces apparitions et les malades de la saison 2 n’imaginaient pas toutes les expériences qui se passaient au sein de l’asile. La saison 3 est vécu du côté des Sorcières, elles sont donc potentiellement les dangers. La surprise est moins grande. Sans la comparer à la série Charmed ou Buffy, les Sorcières de Salem et la magie vaudou sont des choix qui en valent bien d’autres.

N’oublions pas qu’avec Nip/Tuk les créateurs de la série se laissaient aller à une ambiance complètement déjantée entre humour, gore et sexe. Il faut regarder AHS comme quelque chose d’entièrement décalée, cuisinée à cette sauce qui leur plait tant.

Le plus gênant est d’appeler cette série « American » Horror Story, alors qu’ils s’inspirent également de légendes étrangères comme Le Minotaure. On abandonne cette fois la folie au profit de la magie. Les deux premiers univers étaient probablement plus oppressants, mais il y a tant à exploiter des films de Sorcières. Rosemary’s Baby de Roman Polanski ou Suspiria de Dario Argento sont des films efficaces autour de la sorcellerie. Plus récemment sorti en DVD en octobre 2013, pour ceux qui seraient friands des serviteurs de Satan, le dernier film de Rob Zombie The Lords of Salem un film horreur underground qui en vaut le détour.


Film sorti en DVD en octobre 2013 et réalisé par Rob Zombie.


Filmographie : La Maison des 1000 Morts (2003), The Devil’s Rejects (2005), Halloween (2007), Halloween 2 (2009), The Lords of Salem (2013)

Casting : Sheri Moon Zombie

Rob Zombie a formé le groupe de Metal Punk Psychédélique White Zombie dans les années 80, ils se sont séparés en 1996. Le chanteur musicien a continué de travailler pour la télévision et le cinéma. Son univers s’inspire des films d’horreurs, notamment du film White Zombie avec Béla Lugosi et des grands groupes de hard rock, Metal, trash. Le Satanisme est son sujet favori, qu’il pimente avec un genre porno/violent.

Résumé : En 1692, lors de la chasse aux sorcières de Salem, un groupe de femmes au service de Satan sont capturées et brûlées vives par les Seigneurs de la ville. Avant de mourir elles lancent une malédiction qui touchera les descendants des persécuteurs. Heidi, (la) personnage principal des temps modernes, anime la station de radio WIQZ de Salem. Elle reçoit un jour une boîte mystérieuse contenant un vinyle d’un groupe appelé « The Lords ». En l’écoutant et en la diffusant, la musique agit sur les esprits et provoque de terribles évènements.

Rob Zombie marque le film d’horreur d’un style nouveau qui tourne autour du diable, du rock et d’une image Pop Art. Il use de néons, de costumes et maquillages de scènes, de décors factices qui alimentent l’imaginaire. Cette magie créée à partir de rien et du montage filmique nous renvoie à la chambre d’Heidi, décorée de la célèbre lune de George Méliès et de différents meubles lumineux. Il réutilise également de célèbres plans de films d’horreurs qui placent le réalisateur avant tout comme un fan. Un monde dans la consommation des « masses culturelles », comme Quentin Tarantino s’approprie à sa façon un univers rétro, post moderne.





Rameau Antoine


Batman (1989) de Tim Burton - De la Clarté sur les Zones d'Ombres

 

Il n’était encore qu’un enfant, que le milliardaire Bruce Wayne vit ses parents assassinés. Dès lors il se jura de combattre le crime et l’injustice. De ce traumatisme naquît le chevalier noir Batman, personnification symbolique de la peur de Bruce Wayne, celle des chauves-souris, qu’il souhaite insuffler à ses ennemis. Alors que Batman n’en est qu’à ses balbutiements, le procureur Harvey Dent et le commissaire Gordon mènent une croisade contre la criminalité menée par Carl Grissom, le parrain de la pègre secondé par son bras droit Jack Napier et la corruption qui règne à Gotham. En parallèle, le reporter Alexander Knox et la photojournaliste Vicki Vale enquêtent sur les agissements de Batman, alors que celui-ci n’est pour le moment qu’une sorte de mythe urbain. Grissom envoie Jack Napier et ses hommes de main à l’usine chimique Axis Chemicals pour y récupérer des documents. Mais la police est alertée par Grissom qui a en réalité tout manigancé, celui-ci ayant découvert que Jack Napier entretenait une liaison avec son épouse. S’ensuit une altercation entre la police et les malfaiteurs durant laquelle Batman se retrouve confronté à Jack Napier. Ce dernier évite l’une de ces balles qui ricoche et le défigure. Par la suite tombe dans une cuve d’acide et sera laissé pour mort. De cette confrontation naîtra le Joker. Jack Napier devenu le Joker, physiquement et psychologiquement transformé, sombre dans la folie et décide de se venger de son ancien patron. Par la même occasion il prend les rênes de la criminalité de Gotham et s’ensuit alors un désir de reconnaissance criminelle et médiatique de sa part, dans une lutte effrénée du bien contre le mal entre deux monstres, le fantomatique homme chauve-souris face au clown psychopathe.
 

Voilà pour le résumé du film, maintenant place à une rapide (re)contextualisation des événements qui entourent Batman à travers les média.

Au milieu des années 80, Batman aura subit une véritable résurrection grâce à l’auteur de comics Frank Miller qui aura su replacer le chevalier noir dans un récit à l’esprit plus sombre et torturé. En effet à son lancement en 1939 dans les pages de Detective Comics puis DC Comics (maison d’édition à l’origine d’autres personnages mythiques comme Superman), les auteurs de Batman, Bob Kane et Bill Finger optèrent pour un récit résolument plus mature qu’à l’accoutumé. Mais au fil des années le ton du Comic finira par dévier dut à divers facteurs scénaristiques et de censures, puis s’ensuit une série télévisée populaire avec Adam West dans le rôle-titre, aux allures de comédie, de parodie, ne digèrent au final que trop mal la substance originelle de l’œuvre. Batman connu des hauts et des bas, la crédibilité du justicier masqué se remettra difficilement de l’image de la série. Du côté du cinéma, sortit en 1978 Superman, qui rencontra un tel succès commercial que le projet d’adapter Batman au cinéma fut lancé. Il fut à maintes reprises retardé, remanié, jusqu’à ce que la réalisation soit confiée au jeune réalisateur Tim Burton qui avait déjà su apposer son sens de l’esthétisme avec des longs métrages comme Pee-Wee’s Big Adventure et surtout Beetlejuice.
 

De plus le succès des comics The Dark Knight Returns, Year One de Frank Miller et The Killing Joke d’Alan Moore relanceront non seulement l’engouement autour du personnage à travers des récits plus adulte, à l’atmosphère glauque et ténébreuse, mais auront aussi un impact bénéfique dans la conception du Batman réalisé par Tim Burton. Un processus de réécriture va s’appliquer, passant d’un scénariste à un autre et une équipe technique, chargée de s’occuper des décors, costumes, maquillages et autres accessoires, sera soigneusement sélectionnée afin d’offrir une cohésion par rapport à la sensibilité artistique de Burton. Warner débuta la pré-production en 1988. Lorsque le choix de Michael Keaton fut dévoilé pour incarner Bruce Wayne/Batman, un vent de contestation souffla du côté des fans, ne voyant en cet acteur (ayant au passage interprété Beetlejuice) qu’un potentiel d’acteur comique, craignant que le ton du film ne soit le même que celui de la série des années 60. Burton vit en Keaton tout le potentiel nécessaire dans l’interprétation tourmenté et mystérieuse du personnage principal. Sa décision sera notamment motivée par la capacité de l’acteur à jouer un Bruce Wayne aux différentes facettes nuancées et cette faculté à capter l’attention au travers de son regard si particulier.


Afin d’asseoir une certaine crédibilité auprès du public, les studios imposèrent à Burton le choix d’une star de cinéma, notamment dû à des délais de production un peu court sans que cela n’altère la sève de l’œuvre, plusieurs acteurs seront approchés pour jouer le Joker jusqu’à ce que Jack Nicholson obtienne le rôle. S’ensuit le choix d’autres acteurs secondaires au casting dont Kim Basinger dans le rôle de Vicki Vale, qui sera « castée » au dernier moment, Sean Young dû renoncer au rôle à cause d’une chute à cheval alors qu’elle avait été choisi, Michael Gough dans le rôle de l’inébranlable majordome de Bruce Wayne, Alfred et Billy Dee Williams dans celui du procureur Harvey Dent, etc... . Chers amis, que nos esprits s’épanouissent. Alors qu’en est-il de ce Batman proposé par Burton ? Il marque incontestablement à travers chaque aspect, la griffe du réalisateur, avec son atmosphère gothique et déjantée, sombre et poétique, jouant l’excessivité avec une représentation comique et décalée de la mort. Le film use de différentes techniques convoitées par le réalisateur. L’équipe qui s’est attelée à matérialiser la vision de Burton a clairement du talent et de la créativité à revendre.

 
Pour représenter architecturalement Gotham City, le film s’inspire de divers mouvements arts déco et de l’expressionnisme allemand, notamment du film Metropolis de Fritz Lang, ce qui confère à la ville un certain gigantisme et une identité forte. L’idée fut de proposer un esthétisme rétro-moderne plongeant le film dans sa propre réalité, le rendant de ce fait presque intemporel où les trais y sont tirés pour apporter beaucoup d’expressivité. L’ambiance n’est pas sans rappeler les polars noirs des années 40, même les coups de feu rappellent les bruitages d’époque. Gotham est le berceau du crime et cela se ressent : c’est vaporeux, rouillé, grisonnant, ça suinte et les ruelles sont sinueuses. En parlant d’art, le Joker est défini dans le film comme un artiste fou, marginal qui cherche à imposer à son image sa vision du crime, de la folie et du chaos en apparaissant à chaque fois à travers une mise en scène théâtral. En allant jusqu’à défigurer un visage « fou furieux » à son image au sourire figé. Détruire l’aspect de certaines toiles dans une galerie d’art. Jack Nicholson n’interprète pas le Joker, Jack Nicholson joue Jack Nicholson, il est le Joker.

As-tu déjà dansé avec le diable au clair de Lune ?


Tim Burton apporte plus d’importance au Joker avec sa mise en scène et ses nombreuses apparitions à l’écran qu’il ne le fait avec Batman. Un point décrié par certains, qui s’explique non seulement par le fait que Burton a toujours été plus attiré par les monstres mais aussi parce que Batman n’existe qu’à travers ses ennemis. Il peut être perçu comme un simple faire-valoir mais l’approche de Burton de Batman est juste. Batman agit comme un justicier fantomatique qui n’apparaît que lorsque le mal, qui ronge la ville, l’appelle à répliquer. Le héros n’existerait pas sans criminalité et c’est cela qui motive Bruce Wayne à endosser le rôle du justicier masqué. Il ne se sert au final de ce statut que comme une sorte d’exutoire motivé par la mort de ses parents. Il en arrive à un point où il ne fait plus cela pour soulager son mal être, mais parce que c’est devenu l’intégralité de sa personnalité et de sa vision manichéenne.

-Qui es-tu ?
-Je suis Batman.

Le temps d’apparition de Batman est en ce sens bien dosé. Même si le choix de Michael Keaton s’avère judicieux, celui-ci jouant un « Batman/Bruce Wayne » à la force mentale contenue et mystérieuse, marquant ainsi la dualité de ses différentes facettes psychologiques, il apparaît la plupart du temps en un Bruce Wayne pensif et déconnecté. Il aurait été intéressent d’exploiter un peu plus le ressenti du personnage en extériorisant d’avantage son conflit intérieur. D’autres éléments décriés comme celui d’avoir lié les origines de Batman à celle du Joker (celui-ci ayant tué les parents de Bruce dans le film) me paraissent plutôt censés car à travers le comic, la relation entre les deux protagonistes est symboliquement caractérisée par le fait que l’un n’a pas lieu d’être sans l’autre. Chacun est à l’origine de l’autre, leur raison d’être en est que plus forte et leur confrontation marque chez Bruce Wayne un moyen de faire le deuil.
 

Autre reproche : Batman dans le film tue le Joker ce qui est à priori contradictoire et contestable par rapport à la ligne de conduite du personnage. Mais à l’origine, Batman était un justicier qui utilisait des armes et qui n’hésitait pas à tuer ses ennemis. Le personnage dans les comics a simplement, au fil du temps, été aseptisé afin de respecter une loi visant à moraliser les comics. Cela a permis aux scénaristes de faire réapparaître certains ennemis très appréciés des lecteurs. Du côté des personnages secondaires, la reporter Vicki Vale, qui cherche à en savoir plus sur l’énigme que représente l’homme chauve-souris, donne la touche romantique du film et aussi un point d’entrée à l’intrigue. Elle fait à son désavantage figure « d’élément racolée », cependant le contexte, « emblème métaphorique » de la lutte du bien contre le mal qui s’insinue à la fois dans Gotham et dans l’esprit de ses personnages, utilise des archétypes entendus et cohérents.
 

Le procureur Harvey Dent et le commissaire Gordon sont hélas trop peu exploités dans le film alors que dans le comic ils représentent avec Batman une trinité qui lutte contre la criminalité de Gotham. Ils apparaissent ici de façon anecdotique. Un dernier point concernant la musique composée par Danny Elfman, fidèle compositeur de Tim Burton : ses compositions rendent une véritable claque. Elles viennent illustrer l’aspect ténébreux, grotesque, décalé, parfois burlesque avec une telle excessivité et expressivité, que le thème principal donne déjà le ton avec cette sorte de marche funèbre et militaire dont les mélodies resteront dans l’inconscient collectif et redéfiniront ce que doit être un univers de super héros.

Au final le film réussi ce qu’il entreprend. On peut lui reprocher certains traitements de personnages ou autres facilitées es mais Batman ne manque pas de style. Ce n’est pas le film ultime de Burton, cependant il parvient à en faire un excellent film à l’expression visuelle marquée avec tout le bagage artistique et les thématiques chères au réalisateur. Il récidivera et viendra parachever sa vision du personnage 3 ans plus tard avec Batman Returns qui est une version encore plus personnelle et intense du chevalier noir.




Teddy Slamani





mercredi 28 mai 2014

Analyse et Critique - Maps To The Stars de David Cronenberg


MAPS TO THE STARS – le drame de l’expérience échouée


« Après Cosmopolis, le réalisateur canadien David Cronenberg réitère ses expériences cinématographiques en mettant de nouveaux cobayes dans sa cage. Un savant fou qui façonne ses acteurs en parfaites créatures. Robert Pattinson devient pour David ce que Johnny Depp a souvent été pour Tim Burton, le sujet idéal pour subir toutes les mutations ».


 
Film sorti en salles le 21 mai 2014 et réalisé par David Cronenberg.


Drame – 1h51 (-12 ans). Julianne Moore a remporté le Prix d’Interprétation Féminine au 67e Festival de Cannes.

Filmographie : Stereo (1969), Crimes of the Future (1970), Frissons (1975), Rage (1977), Fast Company (1979), Chromosome 3 (1979), Scanners (1981), Vidéodrome (1981), Dead Zone (1983), La Mouche (1986), Faux-Semblants (1988), Le Festin Nu (1991), M. Butterfly (1993), Crash (1996), eXistenZ (1999), Spider (2002), A History of Violence (2005), Les Promesses de l’Ombre (2007), A Dangerous Method (2011), Cosmopolis (2012), Maps to the Stars (2014)

Casting : Julianne Moore, Mia Wasikowska, Evan Bird, John Cusack, Robert Pattinson.

Résumé : Les membres de la famille Weiss sont célèbres et vivent à Los Angeles dans les sphères Hollywoodiennes. Après de nombreuses années, ils vont être réunis pour la première fois et réveiller de vieux secrets. Stafford Weiss est un psychothérapeute connu, son fils Benjie est une star du cinéma sorti d’une cure de désintoxication et Agatha leur fille réapparaît, libérée de l’hôpital psychiatrique. En parallèle, Havana Segrand une actrice connue et oubliée des écrans, veut jouer dans la nouvelle version du film dans lequel sa mère tenait le rôle principal avant de mourir dans un incendie. 



Ce film s’adresse à ceux qui sont adeptes des cercles vicieux dans lesquels nous découvrons progressivement que les personnages sont liés. Nous suivons tout d’abord des protagonistes qui semblent suivre des chemins différents avant que l’on ne comprenne leur étroite relation. Plus le spectateur en apprend sur eux, plus ce monde de la célébrité vire au cauchemar. Maps to the Stars pourrait être traduit par « Les chemins vers la célébrité » ou « Les chemins vers l’au-delà ». Comme dans Cosmopolis, le réalisateur nous égare dans un monde hors de notre portée, voire même incompréhensible. Un quotidien tellement différent et jonché de rituels inhabituels que l’on se sent perdu dans une dimension complètement déconnectée de la réalité. Cette métaphore, même exagérée, se maintient. Dans son précédent film Cosmopolis, on suit la journée du riche Eric Packer cloitré à bord de sa limousine partant chez son coiffeur pendant que son empire économique s’écroule et que sa vie est menacée. La limousine ressemble à un cercueil prolongeant sa route jusqu’au Purgatoire. Lors de la dernière séquence, Eric Packer est jugé par l’homme dont il a détruit la vie.

Les mises en scènes de Maps to the Stars sont presque mythologiques. Le schéma du cercle qui enferme les personnages au sein d’un drame est assez fréquent au cinéma. David Cronenberg est un artiste qui confine ses personnages au sein d’une expérimentation. Il joue avec les modifications biologiques, organiques et matérielles. Il touche à l’ADN, fusionne le vivant et le non vivant, fait accoupler deux espèces d’une race différente afin d’en soutirer toute la monstruosité. En allant plus loin, on s’aperçoit que le réalisateur mélange consciemment ce qui n’est pas compatible pour analyser la destruction de ses propres univers. Son cinéma d’auteur est l’emprunte d’un cinéma « psycho-horreur » qui lui correspond et qui est identifiable. Ses films s’appuient sur des trucages composés d’une vraie matière, capable de rendre les organismes palpables, suintants, en décomposition ou en putréfaction. Agatha Weiss est brûlée, Benjie souffre de sa désintoxication, Stafford Weiss se sert du spiritualisme pour soigner les gens, Havana entre la dépression et ses passages « scato », désagrège l’image qu’inspire la célébrité faisant d’elle un personnage « pathétique ».

Maps to the Stars est une œuvre que l’on peut rapprocher de Mulholland Drive de David Lynch car ils explorent tous les deux l’envers du décor. Ils déforment à leur façon le rêve « illusoire » créé par Hollywood comme s’il s’agissait d’une allégorie ou d’un Dieu. Sans diaboliser Hollywood, ils donnent la possibilité qu’il s’agisse d’un lieu cauchemardesque. Il y a une sorte de dualité entre rêve et peur qui est mis en scène à travers la schizophrénie des personnages. David Lynch exploite d’avantage le monde des esprits en se servant des lumières tandis que David Cronenberg matérialise la monstruosité.

[SPOIL : On apprend que Stafford et sa femme sont en réalité frère et sœur. Leurs deux enfants qu’ils font passer pour fou, sont nés d’une consanguinité et dans ce cas d’un accouplement « hors normes ». De ce secret est apparu l’instabilité d’Agatha et les évènements tragiques du film. L’intolérance de Stafford change le sens du film. Les enfants ne sont plus les monstres, ils sont nés d’une monstruosité et leur seule présence renvoie au mensonge du père.]

L’érotisme qui occupe une immense place dans la composition des œuvres du cinéaste provoque une forme de dégoût mais aussi une fascination dérangeante. Lorsque Stafford soigne Havana, il prend des positions à connotations sexuelles. Le corps, élément central chez l’artiste, est inévitablement exhibé, mis en action, distillé de sa sueur et de ses phéromones. Dans Crash, les personnages confondent leur peau avec la carrosserie des voitures. Si le réalisateur sait travailler la chair, il sait également rendre chair ce qui est juste matériel.

Il est difficile de donner un verdict définitif à Maps to the Stars. Connaître le parcours de David Cronenberg est un atout dans l’approche du film. En sortant de la salle, impossible de dire « c’était mauvais », « c’était bien ». On dirait plutôt : « qu’est-ce que je viens de regarder ? ». Ce cinéma d’auteur ne risque-t-il pas de devenir excessif au point d’en perdre son public ? Loin d’être sa meilleure œuvre, les fans du réalisateur peuvent courir le voir. Quant aux autres, la nuit porte conseil et la narration mérite d’être décantée.





Rameau Antoine


mardi 27 mai 2014

Les Prix et Nominations du 67e Festival de Cannes


Le 67e Festival de Cannes


Du 14 au 25 mai 2014
 

En compétition pour la Palme d’Or :

Adieu au Langage de Jean-Luc GODARD
Captives d’Atom EGOYAN
Deux Jours, Une Nuit de Jean-Pierre DARDENNE et Luc DARDENNE
Foxcatcher de Bennett MILLER
Futatsume No Mado de Naomi KAWASE
Jimmy’s Hall de Ken LOACH
Le Meraviglie d’Alice ROHRWACHER
Leviathan d’Andrey ZVYAGINTSEV
Maps to the Stars de David CRONENBERG
Mommy de Xavier DOLAN
Mr.Turner de Mike LEIGH
Relatos Salvajes de Damian SZFIRON
Saint Laurent de Bertrand BONELLO
Sils Maria d’Olivier ASSAYAS
The Homesman de Tommy Lee JONES
The Search de Michel HAZANAVICIUS
Timbuktu d’Abderrahmane SISSAKO
Winter Sleep de Nuri Bilge CEYLAN


En compétition pour le prix Un Certain Regard :

Amour Fou de Jessica HAUSNER
Bird People de Pascale FERRAN
Charlie’s Country de Rolf DE HEER
Dohee-Ya de July JUNG
Fantasia de Wang CHAO
Feher Isten de Kornél MUNDRUCZO
Hermosa Juventud de Jaime ROSALES
Incompresa d’Asia ARGENTO
Jauja de Lisandro ALONSO
La Chambre Bleue de Mathieu AMALRIC
Loin de mon Père de Keren YEDAYA
Lost River de Ryan GOSLING
Party Girl de Marie AMACHOUKELI, Claire BURGER, Samuel THEIS
Run de Philippe LACÔTE
Snow in Paradise d’Andrew HULME
The Disappearance of Eleanor Rigby de Ned BENSON
The Salt of The Earth de Wim WENDERS, Juliano RIBEIRO SALGADO
Titli de Kanu BEHL
Turist de Ruben OSTLUND
Xenia de Panos H. KOUTRAS




SECTION LONG MÉTRAGE



La Palme d’Or pour :
Winter Sleep de Nuri Bilge CEYLAN


Le Prix du Jury pour :
Mommy de Xavier DOLAN
Ex-aequo avec Adieu au Langage de Jean-Luc GODARD


Le Grand Prix pour :
Le Meraviglie d’Alice ROHRWACHER


Le Prix de la Mise en Scène pour :
Foxcatcher de Bennett MILLER


Le Prix du Scénario pour :
Leviathan d’Andrey ZVYAGINTSEV et Oleg NEGIN


Le Prix d’Interprétation Masculine pour :
Timothy Spall dans Mr.Turner de Mike LEIGH


Le Prix d’Interprétation Féminine pour :
Julianne Moore dans Maps to the Stars de David CRONENBERG




SECTION COURT MÉTRAGE



La Palme d’Or pour :
Leidi de Simon MESA SOTO


Le Grand Prix pour :
Aïssa de Clément TREHIN-LALANNE
Ex-aequo avec Ja Vi Elsker d’Hallvar WITZO





SECTION UN CERTAIN REGARD



Le Prix Un Certain Regard pour :
Feher Isten de Kornél MUNDRUCZO


Le Prix du Jury pour :
Turist de Ruben ÖSTLUND


Le Prix Spécial pour :
The Salt of The Earth de Wim WENDERS et Juliano RIBEIRO SALGADO


Le Prix d’Ensemble pour :
Party Girl de Marie AMACHOUKELI, Claire BURGER, Samuel THEIS


Le Prix du Meilleur Acteur pour :
David Gulpilil dans Charlie’s Country de Rolf DE HEER


La Caméra d’Or pour :
Party Girl de Marie AMACHOUKELI, Claire BURGER, Samuel THEIS





SECTION CINEFONDATION



Le Premier Prix pour :
Skunk d’Annie SILVERSTEIN


Le Deuxième Prix pour :
Oh Lucy ! d’Atsuko HIRAYANAGI


Le Troisième Prix pour :
Lievito Madre de Fulvio RISULEO
Ex-aequo avec The Bigger Picture de Daisy JACOBS





SECTION PRIX VULCAIN




L’artiste Technicien Dick POPE, directeur de la photographie, mise en lumières des œuvres de Turner dans Mr.Turner de Mike Leigh




mardi 20 mai 2014

Analyse et Critique - Grace de Monaco d'Olivier Dahan


GRACE DE MONACO – Comme un effet « People-itique »


Quand on touche aux affaires politiques, qui plus est celle d’une souveraineté, le cinéma ouvre le champ aux contestations. Pourtant le film d’Olivier Dahan a une place « logique » au sein du Festival de Cannes. 
 

Le film est sorti le 14 mai 2014 pour l’Ouverture du 67e Festival de Cannes. Il a été écrit par Arash Amel et réalisé par Olivier Dahan.

Filmographie : Frères (1994), Déjà Mort (1998), Le Petit Poucet (2001), La Vie Promise (2002), Les Rivières Pourpres 2 (2004), La Môme (2007), My Own Love Song (2010), Les Seigneurs (2012), Grace de Monaco (2014)



Il est délicat de réaliser une fiction inspirée de faits réels. Elle impose un point de vue et prend un parti. Il devient difficile de faire preuve de neutralité. Le film « s’inspire » donc ne prétend pas à l’entière exactitude des faits. Ce long métrage peut devenir aux yeux du spectateur, qui ignore tout de l’Histoire de Monaco, la première vérité reçue. Le scénario peut sembler contrariant pour les Monégasques. Le film donne l’impression que Monaco est « hostile » car nous sommes confrontés à l’éprouvante intégration de Grace Kelly.

La polémique dont on parle depuis quelques jours concernerait les affaires d’espionnage et le « coup d’Etat » prémédité par Antoinette, la sœur du prince Rainier III. Grace de Monaco ressemble à une Croisade avec des producteurs américains, un réalisateur français et l’histoire de la famille Grimaldi. Grace se marie avec le prince en 1956, la narration se déroule de 1961 jusqu’en 1963 une période marquée par des tensions entre Monaco et la France. Le Général De Gaulle voulait imposer des taxes et annexer le rocher au reste du pays, tandis que le prince Rainier III s’opposait en revendiquant leur indépendance économique. Dans l’intention de faire abdiquer le prince, le Général De Gaulle a mis en place un blocus devant faire pression sur Monaco.

            Ce Biopic (sans l’être réellement) prend pour personnage principal Grace Kelly, partagée entre son amour pour le cinéma puis son devoir de mère. L’actrice américaine n’est à priori pas au centre de l’action puisque l’on s’attarde sur le conflit franco-monégasque. Nicole Kidman est longuement snobée par le film avant de devenir un vecteur de réconciliation. On nous montre une femme désarmée, qui n’est pas reconnue en tant que princesse, avec ce côté naïf et « blanche-neige » qui a tendance à rendre l’ensemble « gnian gnan ».

Elle va gagner sa place en jouant de sa notoriété et en touchant le cœur des Monégasques. Comme Grace, on se sent en proie à un monde que l’on ignore et qui a pour conséquence de rendre Monaco « hostile ». Nous partageons son exclusion, ses peurs et ses colères, ce qui crée intelligemment cette atmosphère tendue. Elle finit par renverser la situation en se servant d’une arme : le « people », pour contrebalancer avec son manque d’expérience en politique. Résignée à être simplement perçue comme une « icône », elle se sert de son image et de sa « bienveillance » afin de séduire l’opinion publique et mettre le Général De Gaulle le dos au mur. La caméra, par ses longs mouvements de flottement, ses gros plans sur les yeux et la bouche de l’actrice, appuient le charisme du personnage. Aux yeux du monde elle doit incarner le rêve et le succès américain. Elle arrive à conquérir le prince en témoignant de sa persévérance mais en incarnant tout à la fois l’espoir et la réussite. Ce rôle est difficile à interpréter car il se construit à travers le regard des autres protagonistes qui ont la mauvaise manie de la faire passer pour une « potiche » et constitue un obstacle pour démontrer sa profondeur. En accentuant que sur la pureté de Grace (beauté, humaine, naïve), le film ne lui permettait plus d’être touchante mais seulement un moteur esthétique et sensuel. Il s’agit d’une stratégie à double tranchant qui prend le risque de ne plus convaincre le public.

            Grace de Monaco a une raison d’avoir sa place à l’ouverture du 67e Festival de Cannes. Le premier Festival a commencé dans les années 50. Avant d’épouser Grace Kelly, le prince Rainier était déjà proche de Marilyn Monroe. Elles sont pionnières de « ce conte de fée » produit par l’industrie cinématographique. Ces mariages permettaient d’entretenir ce monde d’apparence et devenaient une sorte de « mode ». Grace Kelly a été choisie avant tout pour son image. A Cannes, le film fait écho aux débuts du Festival. Il incarne le succès, un monde étoilé et magique, l’idéal que l’on retient des acteurs de cinéma. Le visage de Nicole Kidman s’illumine au centre des couleurs chaudes. Lors du discours elle joue son propre rôle, déroule une série d’émotions et se sert du cinéma pour faire sa déclaration d’amour.



Rameau Antoine