L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


vendredi 20 décembre 2013

Analyse de Fight Club - La fourmilière de Tyler Durden



Je m'étais promis un jour d'y venir. Parler du film de David Fincher (1999) tiré du roman de l'ancien journaliste américain Chuck Palaniuk.

 
Pourquoi ne pas visiter quelques points qui se dégagent de cette oeuvre devenue culte ? Pourquoi ne pas défier les paradoxes ? 
Est-elle suffisamment bien interprétée ? Magnifique satire de notre monde contemporain, des modes de consommation, de la solitude et du capitalisme malade. Bienvenue sur la route de la déshumanisation.





Une Fourmilière
"En tous points de vues, Dieu te déteste"

La place de l'humain est remise en question. Quelle échelle lui accorder ? L'être humain incapable de différencier une fourmi d'une autre n'aura aucun remord à piétiner une fourmilière ou écraser quelques fourmis. Il distingue une communauté infiniment trop petite pour y prêter quelconque attention ou le moindre sentiment. Tuer un être humain est différent. On s'attaque à un semblable, une personne que l'on pourrait identifier. A l'échelle d'un Dieu, l'homme est peut être comparable à cette petite fourmi. Tous identiques, bien trop petits pour y prêter attention. Celui qui prétend être au-dessus de ses semblables pense pouvoir les exploiter ou les éliminer sans état d'âme. Selon Tyler, Dieu est qui il est sans doute parce qu'il est le seul à pouvoir distinguer une fourmi d'une autre. Dieu pourrait nous détester car l'Homme aurait oublié sa capacité de fonder une communauté soudée. Le personnage se fait tout petit, son groupe agit en sous-sol entre les piliers de béton. Il peuple sa fourmilière, crée ses petits soldats, prêts à sortir accomplir leur mission. Ils deviennent tous véritablement égaux et perdent leur identité. Comme les fourmis nous n’arrivons plus à les distinguer. Elles sont solidaires, discrètes, agissent dans l'ombre. Elles sont partout mais l'homme ordinaire ne les remarque pas. Lors du projet chaos ils s'habillent tous en noir et affirment leur appartenance à un seul groupe. La communauté devient organisée, la maison délabrée semblable à cette fourmilière s'organise, se divise en groupes qui ont chacun leur particularité. Par leur nombre ils veulent recréer ce monde qui leur appartient de droit. Il faut détruire les fondations, ébranler les plus hauts buildings d'une finance qui ne fonctionne plus. Les fourgons remplis de nitroglycérine s'attaquent aux fondations de ces buildings, faisant descendre au niveau zéro les individus qui se sont crus supérieurs à leurs semblables. La fin du film n'a pas tant besoin d'être expliquée, elle est juste symbolique. Mais qui est la reine de ce petit monde ? Tyler ou Marla ?



Un film qui fabrique du Culte

Tant sont les spectateurs qui retiennent les phrases du film. Les mots de Tyler ressemblent à des slogans publicitaires ou politiques. Il se présente comme un prophète qui vend de la "devise" à ses petites progénitures. Film qui se dit, ou fait dire aux spectateurs, être anti monde de consommation crée par son "cultissisme" de la référence à consommer. Le fan de Fight Club regardera une dizaine de fois le film, rendant le produit un objet purement contradictoire. Fight Club devient le bijou à obtenir absolument dans sa vidéothèque. De beaux discours qui cependant continuent d'exploiter le consommateur en recherche de violence, de révolutions et d'actes cool. Un film à ne voir qu'une fois ? Il cache bien des mystères comme de retrouver les images pornographiques qui ont été parsemées. Il faut abandonner le système tel que nous le connaissons. Le film joue consciemment sur ces contradictions, mais sont-elles toujours comprises ? Tyler est lui-même victime d'un univers qu'il finit par copier. Il se place à la tête de la fourmilière, il prive ses soldats de leur personnalité. Tous identiques, ils deviennent eux-mêmes des produits du travail à la chaîne. Comme une série de voitures qui se font assembler à l'intérieur d'une usine. "Vous n'êtes pas votre treillis, ni votre portefeuille, la merde de ce monde prêt à tout" - "Vous n'êtes pas un flocon de neige unique"... Tyler répète inlassablement ses discours et ses messages de propagande. Le système ne fonctionne plus. Le capitalisme est montré comme un système malade, dans lequel la population n'arrive plus à s'en sortir. Certains qualifient Tyler de psychopathe communiste... .

Le capitalisme malade ?

Il s'agit du système tel que nous le connaissons aujourd'hui. Ce n'est pas en soit le système qui est malade mais la population qui ne peut plus suivre son fonctionnement. Ce système est caractérisé par le développement rapide de son mode de consommation. Il est à la mode de consommer certains services, d'être au top de la Culture ou des diverses tendances. Tyler dit une chose: "ce que l'on possède fini par nous posséder". C'est sans doute sa définition du capitalisme malade. Cette période de crise économique qui n'a cessée de croître depuis des années, est une période où la technologie a continuée d'exploser. Le vintage ou le rétro deviennent des consommations du passé. Il faut être à la page, utiliser Internet, posséder un I phone et ses nombreuses applications, découvrir les derniers clips ou vidéos. Le capitalisme malade est caractérisé par ces populations qui ne peuvent plus financièrement suivre ces mouvances. Le sentiment de "marginalisation", de perdition, disons d'effacement de l'individu prend de l'ampleur. Tyler met en avant que le produit "aujourd'hui" est parvenu à effacer l'individu. C'est pourquoi il refuse coûte que coûte de posséder "l'éventail IKEA". Lorsque l'on vit dans un système dans lequel nous n'arrivons plus à suivre les tendances, on se sent comme "déconnectés" du système et en proie à une forme d'anomie (perte des repères). Fight Club (Palahnuik) annonçait d'une certaine façon ce vers quoi nous avancions. 



La Schizophrénie Durden

Comment peut-elle s'expliquer ? Elle n'est pas là pour constituer l'univers "cool" de Fight Club. Tyler qui était en proie à l'effacement et donc à l'exclusion, s'est enfermé dans une forme de solitude. Tyler a créé son double afin de combattre sa solitude. Homme vivant seul dans son appartement, travaillant dans l'étude des accidents de voitures, collectant tout le mobilier possible, est fondamentalement seul. Un quotidien qui perd de son sens, Tyler vit comme un zombie et ne dort plus. De retour parmi les "exclus" de la société (les différents groupes de rencontre) Tyler va imaginer pouvoir renouer des liens. Les "marginaux" se rassemblent et créent leur nouvelle communauté. Le Tyler Durden qui apparaît, est celui qui va prendre la tête d'une révolution devenue nécessaire. Fight Club n'est pas à prendre comme un encouragement à la destruction ou à la rébellion ("l'anarchie ne conduit pas au bonheur") mais traduit simplement un mal être qui devient de plus en plus évident.



Marla, l'allégorie du cancer

Le personnage le plus ambigu, est probablement Marla. Toujours en train de souffrir, Marla est décrite comme une "maladie" (la plaie qui ne cicatrise pas). Sans cesse à la recherche de ses défauts, elle veut démontrer qu'elle pourrit de l'intérieur. Concrètement Marla n'a de maladif que son apparence et recherche simplement à vaincre la solitude comme les autres personnages. Rejetée et juste utilisée comme objet sexuel, elle est déshumanisée par Tyler (Brad Pitt). Tyler Durden déshumanise les gens et fini par oublier l'importance de l'authenticité. Nous vivons dans Fight Club un combat entre individualisme et déshumanisation. "Edward Norton" résout ce compromis en se débarrassant de "Brad Pitt". Il se sauve d'une complète déshumanisation et décide de s'unir à Marla afin de combattre le vrai mal être.




Rameau Antoine

dimanche 8 décembre 2013

Analyse du film Cartel de Ridley Scott

 

Trois oeuvres de Cormac Mc Carthy

No Country for Old Man (2007 - les frères Coen) La Route (2009 - John Hilcoat) Cartel (2013 - Ridley Scott)

 



Cormac McCarthy est un écrivain américain né le 20 juillet 1933. Il a écrit The Orchard Keeper en 1965, Outer Dark en 1968 et Suttree en 1979. L'auteur a vécu des deux côtés de la frontière Mexique/Etats Unis, à El Paso au Texas à partir de 1976 et aujourd'hui à Santa Fe au Nouveau Mexique. Cette position est ce qui lui a sans doute permis de concevoir le scénario de Cartel : les trafiques, les immigrations clandestines, l’ambiguïté des lois entre les deux pays. Il obtient le prix Pulitzer en 2007 et le prix des libraires du Québec avec La Route.

Ces trois œuvres fonctionnent autour d'une frontière à franchir (ou pas). Les personnages, un peu vagabonds, sont plutôt en déroute qu'autre chose. Ils s'imprègnent de la mort, de l'irréparable, du chemin de non retour comme d'une malédiction. Une vie uniquement constituée de choix. Peut être un peu manichéens, ces films mettent en avant des personnages qui doivent faire un choix entre une bonne et une mauvaise voie. Ils sont aventureux, se sentent en position de force, parfois prétentieux et vaniteux ils s'abandonnent aux travers de l'homme, ses pêchés, l'argent, la drogue, le meurtre... . La mort devient un compagnon de route qui use ces personnages. Parfois même ils sont confrontés à perdre tout ce qu'ils possèdent et préféreraient mourir. La mort est pour Michael Fassbender dans Cartel un luxe qu'il ne peut même plus s'offrir. Le personnage principal est comme maudit et il apporte le malheur à ses proches. La Route est un film dans lequel il n'y a plus de notions de frontières et de règles. Le personnage décide d'aller dans le sud des Etats Unis dans l'espoir de survivre à l'hiver. En levant toutes limites, la mort est alors omniprésente. Le personnage de Viggo Mortensen contrairement dans les autres films adaptés de Cormac, n'est pas confronté à dépasser les limites puisqu'elles n'existent plus.

Dans No Country For Old Men, le personnage de Josh Brolin (Llewelyn Moss) s'empare d'un paquet d'argent qui ne lui appartient pas. Un magot vers lequel tout converge: la tentation, les criminels, les mafias, les gens ordinaires, la police. Llewelyn est sans cesse dans la fuite et l'épuisement. Alors qu'il réussi désespérément à se sauver du tueur Anton Chigurh, il est balayé en un clin d’œil par ceux qui ont perdus leur argent lors de la sanguinolente transaction (probablement le Cartel). La femme de Llewelyn, Carla Jean devient malgré elle la victime d'Anton. Pénélope Cruz subit dans Cartel le même schéma. L'avocat joue avec le feu et finit par être confronté à l’incontrôlable situation. Ne sachant plus quoi faire il fuit, abandonné en lâche. Sa compagne est victime du sort que  décrit le personnage de Brad Pitt. Il est inutile de montrer la cruauté des tueurs là où le désespoir de l'avocat suffit pour confirmer nos craintes. M. Fassbender se retrouve seul avec ses regrets. Chacun de ces films arrivent à traduire la force oppressante des oeuvres de l'écrivain. Le sort des personnages est alors confié aux "Dieux". Leurs actes sont jugés selon leur véritable nature. L'avocat se voit refuser le droit de mourir. La tragédie (dite de façon simple) est une histoire qui nous présente les souffrances du personnage jusqu'à sa mort. La mort du héros qui a souffert devient un acte de beauté et d'immortalité. Malgré ses souffrances, l'avocat dans Cartel ne peut accéder à ce statut de héros tragique car il est épargné. Llewelyn meurt dans No Country For Old Men, ce qui nous permet de conserver nos attaches avec le personnage. Le barman mexicain dit une chose à Michael Fassbender que nous pouvons expliquer de cette façon: depuis que j'ai perdu ma femme, ma vie est une tragédie sans fin. 

Cartel n'est pas un excellent, mais un bon film. Il laisse sans doute une partie des spectateurs sur leur fin tout simplement parce qu'il n'y a pas de fin pour le personnage principal. Les rôles sont biens joués et les interprétations sont globalement réussies. Cartel est un film qui ne manque pas de challenge et qui est moins simple à faire adhérer au spectateur qu'un No Country For Old Men (par rapport aux codes que nous venons de décrire). Il demeure un film de divertissement qui a tendance parfois à trop caricaturer ses personnages. Le casting est conséquent et peut être trop décalé. On aurait pu remplacer certaines personnalités par des acteurs moins connus. Fassbender est l'un des personnages les plus aboutis. Cet ensemble préserve le "kitchissisme" d'un Ridley Scott dont on reconnaît le style.



Rameau Antoine