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vendredi 30 mai 2014

Batman (1989) de Tim Burton - De la Clarté sur les Zones d'Ombres

 

Il n’était encore qu’un enfant, que le milliardaire Bruce Wayne vit ses parents assassinés. Dès lors il se jura de combattre le crime et l’injustice. De ce traumatisme naquît le chevalier noir Batman, personnification symbolique de la peur de Bruce Wayne, celle des chauves-souris, qu’il souhaite insuffler à ses ennemis. Alors que Batman n’en est qu’à ses balbutiements, le procureur Harvey Dent et le commissaire Gordon mènent une croisade contre la criminalité menée par Carl Grissom, le parrain de la pègre secondé par son bras droit Jack Napier et la corruption qui règne à Gotham. En parallèle, le reporter Alexander Knox et la photojournaliste Vicki Vale enquêtent sur les agissements de Batman, alors que celui-ci n’est pour le moment qu’une sorte de mythe urbain. Grissom envoie Jack Napier et ses hommes de main à l’usine chimique Axis Chemicals pour y récupérer des documents. Mais la police est alertée par Grissom qui a en réalité tout manigancé, celui-ci ayant découvert que Jack Napier entretenait une liaison avec son épouse. S’ensuit une altercation entre la police et les malfaiteurs durant laquelle Batman se retrouve confronté à Jack Napier. Ce dernier évite l’une de ces balles qui ricoche et le défigure. Par la suite tombe dans une cuve d’acide et sera laissé pour mort. De cette confrontation naîtra le Joker. Jack Napier devenu le Joker, physiquement et psychologiquement transformé, sombre dans la folie et décide de se venger de son ancien patron. Par la même occasion il prend les rênes de la criminalité de Gotham et s’ensuit alors un désir de reconnaissance criminelle et médiatique de sa part, dans une lutte effrénée du bien contre le mal entre deux monstres, le fantomatique homme chauve-souris face au clown psychopathe.
 

Voilà pour le résumé du film, maintenant place à une rapide (re)contextualisation des événements qui entourent Batman à travers les média.

Au milieu des années 80, Batman aura subit une véritable résurrection grâce à l’auteur de comics Frank Miller qui aura su replacer le chevalier noir dans un récit à l’esprit plus sombre et torturé. En effet à son lancement en 1939 dans les pages de Detective Comics puis DC Comics (maison d’édition à l’origine d’autres personnages mythiques comme Superman), les auteurs de Batman, Bob Kane et Bill Finger optèrent pour un récit résolument plus mature qu’à l’accoutumé. Mais au fil des années le ton du Comic finira par dévier dut à divers facteurs scénaristiques et de censures, puis s’ensuit une série télévisée populaire avec Adam West dans le rôle-titre, aux allures de comédie, de parodie, ne digèrent au final que trop mal la substance originelle de l’œuvre. Batman connu des hauts et des bas, la crédibilité du justicier masqué se remettra difficilement de l’image de la série. Du côté du cinéma, sortit en 1978 Superman, qui rencontra un tel succès commercial que le projet d’adapter Batman au cinéma fut lancé. Il fut à maintes reprises retardé, remanié, jusqu’à ce que la réalisation soit confiée au jeune réalisateur Tim Burton qui avait déjà su apposer son sens de l’esthétisme avec des longs métrages comme Pee-Wee’s Big Adventure et surtout Beetlejuice.
 

De plus le succès des comics The Dark Knight Returns, Year One de Frank Miller et The Killing Joke d’Alan Moore relanceront non seulement l’engouement autour du personnage à travers des récits plus adulte, à l’atmosphère glauque et ténébreuse, mais auront aussi un impact bénéfique dans la conception du Batman réalisé par Tim Burton. Un processus de réécriture va s’appliquer, passant d’un scénariste à un autre et une équipe technique, chargée de s’occuper des décors, costumes, maquillages et autres accessoires, sera soigneusement sélectionnée afin d’offrir une cohésion par rapport à la sensibilité artistique de Burton. Warner débuta la pré-production en 1988. Lorsque le choix de Michael Keaton fut dévoilé pour incarner Bruce Wayne/Batman, un vent de contestation souffla du côté des fans, ne voyant en cet acteur (ayant au passage interprété Beetlejuice) qu’un potentiel d’acteur comique, craignant que le ton du film ne soit le même que celui de la série des années 60. Burton vit en Keaton tout le potentiel nécessaire dans l’interprétation tourmenté et mystérieuse du personnage principal. Sa décision sera notamment motivée par la capacité de l’acteur à jouer un Bruce Wayne aux différentes facettes nuancées et cette faculté à capter l’attention au travers de son regard si particulier.


Afin d’asseoir une certaine crédibilité auprès du public, les studios imposèrent à Burton le choix d’une star de cinéma, notamment dû à des délais de production un peu court sans que cela n’altère la sève de l’œuvre, plusieurs acteurs seront approchés pour jouer le Joker jusqu’à ce que Jack Nicholson obtienne le rôle. S’ensuit le choix d’autres acteurs secondaires au casting dont Kim Basinger dans le rôle de Vicki Vale, qui sera « castée » au dernier moment, Sean Young dû renoncer au rôle à cause d’une chute à cheval alors qu’elle avait été choisi, Michael Gough dans le rôle de l’inébranlable majordome de Bruce Wayne, Alfred et Billy Dee Williams dans celui du procureur Harvey Dent, etc... . Chers amis, que nos esprits s’épanouissent. Alors qu’en est-il de ce Batman proposé par Burton ? Il marque incontestablement à travers chaque aspect, la griffe du réalisateur, avec son atmosphère gothique et déjantée, sombre et poétique, jouant l’excessivité avec une représentation comique et décalée de la mort. Le film use de différentes techniques convoitées par le réalisateur. L’équipe qui s’est attelée à matérialiser la vision de Burton a clairement du talent et de la créativité à revendre.

 
Pour représenter architecturalement Gotham City, le film s’inspire de divers mouvements arts déco et de l’expressionnisme allemand, notamment du film Metropolis de Fritz Lang, ce qui confère à la ville un certain gigantisme et une identité forte. L’idée fut de proposer un esthétisme rétro-moderne plongeant le film dans sa propre réalité, le rendant de ce fait presque intemporel où les trais y sont tirés pour apporter beaucoup d’expressivité. L’ambiance n’est pas sans rappeler les polars noirs des années 40, même les coups de feu rappellent les bruitages d’époque. Gotham est le berceau du crime et cela se ressent : c’est vaporeux, rouillé, grisonnant, ça suinte et les ruelles sont sinueuses. En parlant d’art, le Joker est défini dans le film comme un artiste fou, marginal qui cherche à imposer à son image sa vision du crime, de la folie et du chaos en apparaissant à chaque fois à travers une mise en scène théâtral. En allant jusqu’à défigurer un visage « fou furieux » à son image au sourire figé. Détruire l’aspect de certaines toiles dans une galerie d’art. Jack Nicholson n’interprète pas le Joker, Jack Nicholson joue Jack Nicholson, il est le Joker.

As-tu déjà dansé avec le diable au clair de Lune ?


Tim Burton apporte plus d’importance au Joker avec sa mise en scène et ses nombreuses apparitions à l’écran qu’il ne le fait avec Batman. Un point décrié par certains, qui s’explique non seulement par le fait que Burton a toujours été plus attiré par les monstres mais aussi parce que Batman n’existe qu’à travers ses ennemis. Il peut être perçu comme un simple faire-valoir mais l’approche de Burton de Batman est juste. Batman agit comme un justicier fantomatique qui n’apparaît que lorsque le mal, qui ronge la ville, l’appelle à répliquer. Le héros n’existerait pas sans criminalité et c’est cela qui motive Bruce Wayne à endosser le rôle du justicier masqué. Il ne se sert au final de ce statut que comme une sorte d’exutoire motivé par la mort de ses parents. Il en arrive à un point où il ne fait plus cela pour soulager son mal être, mais parce que c’est devenu l’intégralité de sa personnalité et de sa vision manichéenne.

-Qui es-tu ?
-Je suis Batman.

Le temps d’apparition de Batman est en ce sens bien dosé. Même si le choix de Michael Keaton s’avère judicieux, celui-ci jouant un « Batman/Bruce Wayne » à la force mentale contenue et mystérieuse, marquant ainsi la dualité de ses différentes facettes psychologiques, il apparaît la plupart du temps en un Bruce Wayne pensif et déconnecté. Il aurait été intéressent d’exploiter un peu plus le ressenti du personnage en extériorisant d’avantage son conflit intérieur. D’autres éléments décriés comme celui d’avoir lié les origines de Batman à celle du Joker (celui-ci ayant tué les parents de Bruce dans le film) me paraissent plutôt censés car à travers le comic, la relation entre les deux protagonistes est symboliquement caractérisée par le fait que l’un n’a pas lieu d’être sans l’autre. Chacun est à l’origine de l’autre, leur raison d’être en est que plus forte et leur confrontation marque chez Bruce Wayne un moyen de faire le deuil.
 

Autre reproche : Batman dans le film tue le Joker ce qui est à priori contradictoire et contestable par rapport à la ligne de conduite du personnage. Mais à l’origine, Batman était un justicier qui utilisait des armes et qui n’hésitait pas à tuer ses ennemis. Le personnage dans les comics a simplement, au fil du temps, été aseptisé afin de respecter une loi visant à moraliser les comics. Cela a permis aux scénaristes de faire réapparaître certains ennemis très appréciés des lecteurs. Du côté des personnages secondaires, la reporter Vicki Vale, qui cherche à en savoir plus sur l’énigme que représente l’homme chauve-souris, donne la touche romantique du film et aussi un point d’entrée à l’intrigue. Elle fait à son désavantage figure « d’élément racolée », cependant le contexte, « emblème métaphorique » de la lutte du bien contre le mal qui s’insinue à la fois dans Gotham et dans l’esprit de ses personnages, utilise des archétypes entendus et cohérents.
 

Le procureur Harvey Dent et le commissaire Gordon sont hélas trop peu exploités dans le film alors que dans le comic ils représentent avec Batman une trinité qui lutte contre la criminalité de Gotham. Ils apparaissent ici de façon anecdotique. Un dernier point concernant la musique composée par Danny Elfman, fidèle compositeur de Tim Burton : ses compositions rendent une véritable claque. Elles viennent illustrer l’aspect ténébreux, grotesque, décalé, parfois burlesque avec une telle excessivité et expressivité, que le thème principal donne déjà le ton avec cette sorte de marche funèbre et militaire dont les mélodies resteront dans l’inconscient collectif et redéfiniront ce que doit être un univers de super héros.

Au final le film réussi ce qu’il entreprend. On peut lui reprocher certains traitements de personnages ou autres facilitées es mais Batman ne manque pas de style. Ce n’est pas le film ultime de Burton, cependant il parvient à en faire un excellent film à l’expression visuelle marquée avec tout le bagage artistique et les thématiques chères au réalisateur. Il récidivera et viendra parachever sa vision du personnage 3 ans plus tard avec Batman Returns qui est une version encore plus personnelle et intense du chevalier noir.




Teddy Slamani





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