L'Art est sur l'Image Cinématographique

Un Blog sur l'analyse filmique et la critique


vendredi 30 août 2013

Critique de Jeune et Jolie de François Ozon (Spoil): Clin d'oeil à Charlotte Rampling





Résumé: Isabelle (Marine Vacth), jeune fille rayonnante, réalise sa première expérience sexuelle l'été de ses 17 ans. Dès l'automne elle semble mener une double vie. Sous un pseudonyme, elle réalise plusieurs passes auprès de clients avec qui elle a pris contact sur Internet, puis par téléphone. Elle créée sa page sur laquelle elle met des photos d'elle nue. Elle ment sur son âge et sur sa situation professionnelle. Progressivement Isabelle devient prisonnière d'un engrenage dont elle n'arrive (et ne compte) pas à sortir. Cette seconde vie brouille toutes les perspectives de sa personnalité, l'empêche de distinguer ses limites et les barrières à ne pas franchir. Cette position délicate atteint le seuil de la "normalité" dans l'esprit du personnage. Sans prétention et sans juger, François Ozon nous propose de porter un regard sur un sujet longtemps resté tabou: la prostitution exercée par des mineures. Isabelle entre en conflit avec des parents qui éprouvent difficilement cette réalité. Quelle doit-être la place de chacun ? Il s'agit sans doute de remettre en question les normes et les règles qui existent en société. Isabelle ne voit aucun mal dans ses choix. Tout son petit monde vient la marginaliser puis douter d'elle. Le réalisateur nous met dans l'impasse car la situation nous semble choquante, alors que le personnage principal est entièrement consentant.



 
C'est à chacun (le spectateur) de se faire une idée du thème. Jeune et Jolie est un film qui divise le public en deux: ceux qui acceptent difficilement le sujet et ceux qui décèlent de nombreuses subtilités. Le thème de la prostitution "estudiantine" apparaît également dans un film Franco-américain réalisé par Roger Avary en 1993, Killing Zoe. Zoe (Julie Delpy) est une jeune prostituée qui rencontre Zed (Eric Stoltz) lors d'une nuit à l'hôtel. Un homme capable de percer des coffres forts et qui sera conduit à réaliser un casse sur Paris le lendemain. Le thème du film est le hold up et non la prostitution, mais nous trouvons des similitudes avec Jeune et Jolie.
Je m'arrêterai plus particulièrement sur la  dernière rencontre d'Isabelle. Elle est confrontée à la femme de George. Ce personnage est joué par Charlotte Rampling dont on reconnaît le regard bleu et pénétrant. Le regard de Charlotte nous renvoi à celui de Marine Vacth. Si nous connaissons la carrière de Charlotte Rampling, nous devinons alors que cette rencontre va au delà de la narration. Ce n'est plus une confrontation de personnage à personnage, mais d'actrice à actrice.

 

L'un des rôles majeurs dans la carrière de Charlotte Rampling est celui de Lucia dans le film Portier de Nuit, réalisé par Liliana Cavani en 1974. L'histoire se passe en 1957 à Vienne. Lucia est une ancienne déportée juive qui a survécue aux camps de concentration car elle entretenait des rapports sexuels et sado masochistes avec Maximilian, un officier nazi. C'est en 1957 que Lucia loge dans un hôtel dans lequel Maximilien travail comme portier. Cet ancien officier a réussi à échapper aux différentes traques visant à juger les partisans du régime nazi. Ce retournement de situation confrontant les deux protagonistes réveil les douloureux souvenirs. Alors que l'on s'attend à une vengeance de la part de Lucia, la passion sado masochiste refait surface et enferme de nouveau les personnages dans un rapport macabre et sans issues. Dans une chambre de l'hôtel, ils s'abandonnent à leurs anciens jeux. Ils recréent l'univers du camp de concentration au sein d'une chambre dont ils ne veulent et n'osent plus sortir. Sujet extrêmement tabou et sensible, il fait scandale à sa sortie en salles. Le spectateur refuse ce retour consentant vers l'horreur. Ce rôle transforme considérablement l'actrice.
Jeune et Jolie, vécue comme sa toute première expérience d'actrice à l'écran, est un véritable défi pour Marine Vacth qui rêve de lancer sa carrière. Nous craignons généralement que des rôles aussi sensibles viennent étiqueter l'actrice elle même. On pense également au film Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci réalisé en 1972. La jeune actrice Maria Schneider dans le rôle de Jeanne, a été accablée de critiques et de rumeurs à cause de la célèbre scène où Marlon Brando effectue une sodomie en utilisant du beurre. Ce passage était perçu comme choquant et sans pudeur. L'actrice a mal vécue cette expérience et a mis fin à sa carrière.
 

 

 
Charlotte Rampling apparaît comme une mère ou un maître venant féliciter (encourager) Marine Vacth pour le dur rôle qu'elle a acceptée d'endosser. La dernière scène est extrêmement touchante et apaise le rapport que peut entretenir le personnage avec le spectateur. Ce n'est plus une première expérience sexuelle, mais une virginité ôtée par le cinéma. A son réveil, comme si Charlotte Rampling n'était rien de plus qu'un fantôme, Marine Vacht se sent soulagée comme si elle venait d'accomplir ce que peu de personnes auraient été capables de réaliser. En acceptant ce rôle, l'actrice pousse de nouvelles frontières et marque sa place dans le cinéma français. François Ozon, soucieux et conscient de l'impact d'un tel rôle, soigne les maux de la jeune actrice en lui offrant la sagesse et l'expérience de Charlotte Rampling.



Rameau Antoine

jeudi 29 août 2013

Analyse du Zombie au cinéma: La Nuit des morts Vivants (1968) à World War Z (2013)


The Night of the Living Dead, connu sous le nom de La Nuit des Morts Vivants est le tout premier film d'horreur réalisé sur l'attaque en masse du zombie. George A(ndrew) Romero est le célèbre cinéaste qui mettra en scène les nombreux films de zombies au cinéma dont The Night of the Living Dead, The Crazies (1973), Zombie (1978), Le jour des morts vivants (1985), Le territoire des morts (2005), Le vestige des morts vivants (2009) et pleins d'autres que je n'ai pas cité.


Le film sur le Vaudou et la Magie Noire est précurseur au film sur le Zombie à part le film White Zombie de Victor Halperin sorti en 1932 avec Bela Lugosi, la première oeuvre mettant en scène des morts-vivants. Nous avons notamment I walked with a Zombie (1943) de Jacques Tourneur, Zombies on Broadway (1945) de Gordon Douglas ou encore The King of Zombies (1941). Les corps sont contrôlés par des sorciers noirs Africains qui utilisent la magie noire ou l'hypnose. Ils lancent plusieurs malédictions contre les colonisateurs blancs qui viennent commercer sur le continent. Il s'agirait d'une vengeance répondant aux nombreuses déportations des peuples noirs d'Afrique. Le Zombie est alors un être qui ne connaît pas le repos. Il a pour rôle de pourchasser et persécuter ses victimes sans que rien ne puisse l'arrêter. L'être humain ressemble à un pantin, un automate qui accompli sa mission jusqu'au bout et ne peut disparaître tant qu'il n'a pas réussi.
 
C'est en 1968 que le premier film de Zombies, tels que nous les connaissons, apparaît. Les corps en putréfactions et décompositions sont ramenés à la vie. Les cadavres sortent de terre, ils déambulent sans buts et n'ont que pour seul instinct de manger les survivants. Le plus souvent, la zombification résulte du contact entre un vivant et une arme biochimique (développée secrètement, de quoi rendre le gouvernement encore plus coupable) qui s'est accidentellement répandue. L'armée est souvent tenue pour responsable de la catastrophe et décide arbitrairement de garder les derniers survivants en quarantaine. Le gouvernement est souvent entaché et tenu pour responsable de l'accident. Il est celui qui impose la loi et le pouvoir par la force lorsque la société est ébranlée ou n'existe plus.
 
 
Pour soutenir l'idée de cet article sur le zombie, j'ai choisi l'ouvrage:
Des revenants, corps, lieux, images, d'Olivier SCHEFER, 2009, éditions Bayard, p101.
 
Le cinéma de George A Romero, comme le Vaudou, est une culture qui lutte contre la maîtrise. Le Zombie devient le monstre crée par une société industrialisée qui repousse dans les marges des corps improductifs. Le film de Zombies permet aussi de réfléchir sur la violence qui persiste au sein d'un système. Cette violence du capitalisme, ne produit non seulement des monstres et des survivants marginaux, mais elle les nomme, gère les flux, organise les marges, règle les cadres, elle surveille ses propres monstres.
 
Adorno et Horkheimer: "La violence de la société industrielle, constataient-ils, s'est installée dans l'esprit des hommes". Il ne faudrait pas seulement dire que le plaisir consiste à consommer quelque chose, à s'approprier tel objet, aux dépens d'une approche plus intériorisée, méditative ou contemplative de l'objet. La nature même du plaisir est conditionnée et déterminée par cette logique de l'appropriation. L'objet est répétitif et le plaisir est plaisir de répétition. "Le seul moyen de se soustraire à ce qui se passe à l'usine et au bureau est de s'y adapter durant des heures de loisir".
 
Les Zombies renvoient cette image déformante de cette mécanique d'appropriation. Violents et dociles à la fois, maîtres et esclaves, victimes et agresseurs, les zombies sont devenus des victimes idéales, d'authentiques cibles de fêtes foraines sur lesquelles le mâle occidental peut se soulager en vidant un chargeur et en libérant son âme de toute responsabilité. Les Zombies sont des révoltés et les derniers affranchis rejettent toute loi et organisation. Les Zombies transforment les vivants en une société de corps anonymes. En dévorant leurs contemporains, ils mangent sans se rassasier, non seulement parce qu'ils appartiennent à un monde de la consommation frénétique, mais surtout parce qu'en zombifiant les autres vivants, ils réduisent l'autre à du même et bouclent ainsi toutes les issues.
 
Dans l'Anti-Oedipe, Deleuze et Guattari estiment que le propre du capitalisme est d'avoir intériorisé la mort, en l'espèce d'une antiproduction mêlée partout à de la production. "Le seul mythe moderne c'est celui des zombies - schizos mortifiés, bons pour le travail, ramenés à la raison. En ce sens, le sauvage et le barbare, avec leurs manières de coder la mort, sont des enfants par rapport à l'homme moderne et son axiomatique".
 

Depuis le début des années 2000, la figure du Zombie évolue en ce que j'appellerai la figure de l'Infecté. Nous avons le film 28 jours plus tard de Danny Boyle sorti en 2002. Ces Zombies évoluent avec le temps et il devient de plus en plus difficile de les nommer. Ils semblent évoluer de la même façon que la technologie avance. Ils s'améliorent, deviennent plus dangereux, rapides, agiles, voire intelligents. On fera donc la distinction entre Zombie et Infecté. Le Zombie semblait être le résultat d'une catastrophe où il était encore possible de lui faire face à cause de sa lenteur. A présent cela devient un phénomène trop complexe à endiguer. Il semblerait donc que cette figure soit le miroir du capitalisme dans nos sociétés. En période de crise, l'individu demeure prisonnier de ce monde de consommation qui ne cesse de proliférer. Il s'agit d'une situation qu'on ne contrôle plus. Entre diverses avancées et modes de productions, malgré la situation de crise, la société pousse à consommation au delà du possible. L'Infecté, forme de Zombie évolué, surpasse l'Homme qui n'a plus que comme solution la fuite et non le combat. Nous parlons de maladie comme la rage ou la peste, capable de se propager rapidement et à grande échelle. 28 jours plus tard montre le pays des Royaume-Unis submergé par cette vague en l'espace de quelques jours. Dans le film de Zombies, le personnage principal constate lui même cette propagation et l'état chaotique de la société. Dans ces films "nouvelle génération", le héros se réveil au sein du chaos (souvent dans un hôpital après un long coma - 28 jours plus tard et The Walking Dead) et comprend difficilement la situation.
Les moyens de riposter deviennent démesurés, des fois presques absurdes. Les héros sont excentriques ou fous. Les survivants qui intègrent la violence et ses extrêmes semblent êtres dans la mesure de faire face au désastre. On peut mentionner le film Planet Terror de Robert Rodriguez où les personnages du films font appels à toutes les armes inimaginables pour répondre à la propagation des Infectés.
 
 
Jusqu'ici ces catastrophes se passaient dans une ville, une région ou bien un pays tout entier. Avec World War Z sorti récemment en salle et réalisé par Marc Forster, l'Infection devient une affaire mondiale. L'image du Zombie a évolué et pas forcement dans le bon sens. Si le mythe du Zombie est un mythe moderne qui reflète le capitalisme et le monde de la consommation, on s'aperçoit que même derrière un film de divertissement, le sujet nous renvoi à l'image de notre société actuelle. Sans tomber dans le négativisme nous sommes forcés d'admettre que le Zombie n'a cessé de nous dépasser et de symboliser non seulement la violence de la société industrielle mais aussi la mort d'un système dysfonctionnel.
 


 
 
 
 
 
Rameau Antoine
 

dimanche 11 août 2013

Critique de Lone Ranger et American Nightmare

J'ai eu l'occasion de voir deux films très récemment. Ce ne sont pas des films sur lesquels je vais m'étendre.

Le premier, Lone Ranger: très bon divertissement de 2h30 sur l'Ouest sauvage Américain. Cela mêle humour, fantastique et aventure. Attendez vous à un Pirate des Caraïbes version western. Le film reste très agréable à voir. Johnny Depp dans toute sa splendeur dans la peau d'un indien.  Par certains aspects nous pouvons penser à Wild wild west avec Will Smith. Attendons nous sans aucun doute à des suites.

Le deuxième, American Nightmare: bon divertissement pour ceux qui aiment l'action, le frisson, l'horreur et la violence. Nous retrouvons Ethan Hawke... mais pas seulement. Un nombre important de clichés américains. Résumé du film: afin de retrouver une économie stable et de réguler la violence qui règne aux Etats Unis, la loi autorise une fois par an pendant douze heures, tous les crimes possibles. Meurtres, coups, vols... cette nuit de folie est censé provoquer l'autorégulation du pays et calmer la colère des populations, gardée depuis 365 jours. Comme un Thanksgiving endiablé, les américains attendent avec impatience cette fameuse soirée où tout le monde pourra se mettre sur la t******. Ils acclament tous les bienfaits de cette "Purge", jusqu'au jour où cela leur tombe dessus. L'histoire se passe en 2022... c'est à dire bientôt. Je ne pense pas que les Etats Unis décideront de cela aussi vite, mais il s'agit bien sur d'une critique bien enrobée de la violence en Amérique. Critique du marché d'armes, dérive du genre Humain, folie engendrée par la crise... bref, c'est vrai qu'il y a une belle morale. L'idée était intéressante et aurait peut être mérité d'être mieux construite. L'intrigue est clair et le frisson est bien présent. Je n'assassinerai pas le film (même si il m'autorise une quelconque Purge), mais si vous n'aimez pas le cliché un peu lourd... ce film n'est pas pour vous.
 


Rameau Antoine

dimanche 9 juin 2013

Analyse et anecdote du film Twixt de Francis Ford Coppola

Je ne voudrais rien affirmer. Je fais là une supposition par rapport à l'étrange titre de ce film. Twixt en mon sens, se rapprocherait du terme "Twist" employé dans l'écriture scénaristique. Je pense qu'on peut se permettre de faire le lien pour deux raisons: le dénouement du film, et parce que le personnage principal Hall Baltimore (Val Kilmer) est lui même écrivain.
 
Je prendrais la définition de l'ouvrage L'écriture de scénarios de Jean-Marie Roth, publié en 2006 aux éditions Chiron. Il s'agit de la page 56:
 
"Le twist est une information, révélée au spectateur, dont la teneur modifie profondément la lecture du film Un ou plusieurs personnages peuvent avoir la même révélation que le spectateur, mais ce n'est pas indispensable Ainsi, vous pouvez montrer votre héros se confier à son meilleur ami durant la moitié du film puis, surprise ! présenter cet ami comploter avec l'ennemi Cela ne changera strictement rien au déroulement de l'histoire, mais modifiera fortement l'avis du spectateur sur celui qu'il croyait être un soutien de votre protagoniste. Généralement, le twist est employé en toute fin de film. Le Sixième Sens, Les Autres ou Usual Suspects sont basés sur ce procédé. Le piège, dans lequel vous risquez fort de tomber, est de "trouver" un twist vers la fin de l'écriture de votre scénario. Croyez-moi, il ne fonctionnera pas. Lorsqu'un film est basé sur un twist final, toute sa construction est faite pour y mener. L'auteur part du twist pour fabriquer son récit."
 


Twixt, thriller horreur de 2011, réalisé par Coppola avec Val Kilmer et Elle Fanning.
 
Résumé: Hall Baltimore, écrivain ivrogne, célèbre par le passé, vient dans un village retiré faire la promo de son dernier livre qui ne rencontre pas un franc succès. Le shériff qui est l'un de ses plus grands fans, lui propose de rester quelques jours en ville afin qu'il retrouve l'inspiration. Pour l'aider à nourrir son imaginaire, le shériff lui parle du récent assassinat commis dans les environs. Le cadavre d'une jeune fille conservée à la morgue du coin, garde un pieu enfoncé dans le coeur. Hall abandonne les histoires de fantômes pour des histoires de vampires. En essayant d'élucider cette affaire des plus étranges et irréelles, l'écrivain renoue avec son douloureux passé.


Le réalisateur, auteur du film Dracula inspiré du roman de Bram Stoker, aborde une nouvelle fois, l'imaginaire des vampires. Ce film serait en partie autobiographique. L'histoire de Hall Baltimore serait proche de la vie du cinéaste. Nous apprenons à la fin du film que Hall a perdu sa fille dans un accident de bateau. Rongé par la culpabilité (père absent et alcoolique), l'écrivain fait de nombreux rapprochements entre la jeune victime et sa fille défunte. Le village fait planer un mystère qui semble exorciser les pensées noires du personnage. Hall résout cette affaire au sein de ses rêves, le plongeant dans un monde en noir et blanc, dont seul le rouge ressort. La principale intrigue du film est: qui se cache sous le drap blanc de la morgue ? Nous savons qu'il s'agit de la victime, mais à aucun moment le personnage principal ne retire le drap pour voir le visage. Le spectateur déjà intrigué par ce pieu qui "maintiendrait la morte dans son sommeil", avance aux dépends d'Hall Baltimore. Le village est marqué par les esprits des morts dont Edgar Allan Poe, puis les enfants tués par le curé du coin. Nous nous sentons vampirisés par l'affiche du film avec une Elle Fanning à la fois fantôme et vampire. Nous découvrons que le shériff en mal de rebondissements et d'actions, est lui même impliqué dans l'histoire. Vers la fin du film, Hall prend la décision de regarder qui se cache sous le drap (un sosie de sa fille ?). Il se passe alors ce que le spectateur attendait depuis le début. Jusqu'à ce que...
 
TWIST
 
L'ensemble du film, son mystère, son fantastique, son macabre, sort tout droit de l'imaginaire de l'écrivain qui était en train d'écrire son dernier roman. Le spectateur voit ses espoirs s'envoler, manipulé par le travail d'Hall Baltimore.
 
A sa sortie, la critique note mal le film. En reprenant la définition de Jean-Marie Roth, est ce que le twist est justifié ? Ou est-ce un très mauvais retournement de situation de la part de Coppola ? Facilité d'écriture ou interprétation logique par rapport au titre du film ?
 
Quoi qu'il en soit, l'intrigue est bonne et le mystère efficace. Coppola reste bon dans sa mise en place d'un faux-monde fabriqué en studio. Le style recherché peut sembler lourd ou séduisant, les avis sont partagés. En mon sens, son récit reste efficace et beau.



Rameau Antoine

jeudi 6 juin 2013

Analyse et critique d'Only God Forgives de Nicolas Winding Refn

 

 

"Ryan Gosling et la douleur fantôme"



Douleur, ou membre fantôme désigne cette sensation qu'un membre amputé ou manquant est toujours relié au corps et interagit avec les autres parties.



Résumé: Julien, son frère Billy et leur mère, tiennent un club de boxe clandestin à Bangkok qui leur sert de couverture à leur trafic d'héroïne. Un soir le frère de Julien se fait tuer pour avoir violé et assassiné une jeune prostituée de 14 ans. La mère de Julien, revenue des Etats-Unis pour assister à l'enterrement de son fils, demande à Julien de le venger. Ce dernier, victime des caprices de sa mère, est pris dans un cycle de vengeance dont la police semble tirer les épingles. Julien, sorte de "perdant" agit contre son gré. L'officier en chef du corps de la police fait respecter l'ordre en imposant son jugement et ses châtiments extrêmement violents. Julien qui donne raison à l'assassin de son frère, est rejeté par les siens, et est placé au plus haut degré de son impuissance.
 

 
Plutôt déçus, ceux qui attendaient une suite digne du film Drive. Only God Forgives ne vient pas de la même planète, mais je propose cependant d'y planter notre drapeau de cinéphile.
D'une manière générale, on peut trouver ça lourd cette recherche du mutisme chez Ryan Gosling. Nous pouvons penser: le spectateur a apprécié cet aspect dans Drive, je le lui vends triple dose. Le film peut nous laisser ce sentiment d'excès d'esthétisme et de recyclage. Pourtant le mutisme de l'acteur demeure un jeu logique dans ce dernier film de Nicolas Winding Refn.
Le réalisateur balance entre le mystérieux et le violent. Il nous offre une image à la fois barbare et divine de Bangkok. L'univers impitoyable de Bangkok provient de cette violence parsemée par la pègre, les dealers et la prostitution. Le meurtre et le crime organisé sont confrontés à une police tout aussi violente et malhonnête. Le film balance Bangkok entre ses plans au filtre rouge (pour son exotisme, sa chaleur, sa sueur et son atmosphère ensanglantée) puis ses plans au filtre bleu (pour renforcer cette impression d'une mort qui plane).
Le film est marqué par ses longueurs et ses déroulements parfois extravagants (chorégraphie au sabre). Le réalisateur veut rester proche d'un cinéma asiatique qui puise sa force dans les représentations de la nature et du divin. Il peint Bangkok, comme une jungle urbaine sans règles et limites, pourtant structurée et contrôlée par la force policière.
Nous ne montrons pas la descente aux enfers de Ryan Gosling. Bangkok ressemble déjà aux enfers pour le personnage. Prenons pour exemple ses cauchemars, lorsque son corps est placé entre les murs d'un bordel. Les motifs représentés sur les murs sont récurrents. Ils expriment à la fois cet aspect nature et jungle sauvage, mais avec du recule ressembleraient à des flammes.
Ma théorie concernant le film est: l'âme de Ryan Gosling est déjà condamnée.
Lui, ainsi que l'inspecteur sont comme des fantômes qui errent dans la ville. Julien (Ryan Gosling) n'a pas de réels buts. Son esprit est comme coincé sur Terre, et son corps ressemble plus à un corps d'emprunt. Régulièrement nous avons ces plans où l'acteur regarde ses mains qui se referment. Le cadre de la caméra coupe le reste du corps, ne montrant que les bras. Julien regarde son corps comme s'il était lui même pilote d'une enveloppe charnelle ne lui appartenant plus. Ses bras sont comme coupés, tantôt il ressent une douleur émotionnelle gardée en lui, tantôt le personnage montre l'absence d'émotions. Je n'ai pas fait référence à la douleur fantôme par hasard. En gros: Julien semblerait souffrir d'un corps qui n'est déjà plus le sien. Plutôt bizarre dans l'immédiat.
Nous ne pouvons nier que l'acteur a un rapport assez étrange avec ses mains et son corps. Dans le plan où il se met en garde, avec en arrière plan la statue divine du club de boxe, Julien est dans la répétition du souvenir et du passé. Il est présenté dans le film comme un "perdant" incapable de se venger, ni même de se battre. Probablement parce qu'il n'a plus la même maîtrise, le même contrôle de son corps qu'auparavant. Il ressemblerait plus à une âme maudite, dont la souffrance s'exprimerait à travers ses gestes et son mutisme.
L'inspecteur lui, ressemble à un autre type de fantôme. Il serait l'âme vengeresse de Bangkok. Celui qui coupe les mains de ceux qui tuent, celui qui coupe la langue de ceux qui mentent, celui qui coupe les yeux de ceux qui sont trop curieux. Le titre Only God Forgives fait écho à cet inspecteur qui n'a pas le rôle de celui qui pardonne, mais le rôle de celui qui juge. Il ne faut pas interpréter son rôle comme étant celui d'un truand, il faut le voir comme un "ange de la mort" qui possède une autre fonction que celle de dieu. Ses habits noirs affirment son rôle. Il apparaît comme le bras vengeur de dieu, un bras armé d'un sabre. Parfois il sort son sabre de nulle part, lorsqu'il le saisit derrière son dos. Il semble la faire apparaître comme par magie. Son droit d'exécuter "le châtiment" s'organise et s'exprime comme un rôle divin à travers ses chorégraphies au sabre. Nous pouvons affirmer que ce personnage est un fantôme, lorsqu'il disparaît au moment où Julien le suit dans les rues, ou lorsqu'il a la prémonition, d'une proche fusillade.
La première rencontre entre Julien et l'inspecteur est très particulière. L'inspecteur dit: "ce n'est pas lui". Par un simple regard, il reconnaît les coupables. Cela renforce le pouvoir divin de l'inspecteur. Cependant on peut l'interpréter autrement. Julien serait mort depuis qu'il a tué son père de ses propres mains, et il serait un fantôme dans un corps d'emprunt. L'inspecteur verrait en lui un fantôme, condamné et incapable de tuer à nouveau. L'inspecteur sait que Julien est un fantôme et ne voit pas en lui une menace. La critique compare le plus souvent Julien à un "perdant". Selon moi, l'impuissance, si souvent exprimée dans le film (rapport avec la mère et le frère, rapport avec la jolie prostituée), est logique car Julien n'a plus la possibilité de lever la main. Probablement était-il autrefois un tigre violent et imprévisible, il n'est désormais plus qu'une âme condamnée.
Je terminerais sur le dénouement du film qui peut sembler étrange. Julien se fait trancher (volontairement) les bras par l'inspecteur dans un décor brumeux et naturel (étrange...). Non, il ne s'agirait pas d'une punition, mais bien d'une délivrance. L'inspecteur coupe les liens que possède Julien avec son corps d'emprunt, et libère son âme afin qu'il repose en paix. Il n'est pas question d'un châtiment mais complètement l'inverse: une rédemption.

 
 

Rameau Antoine

jeudi 9 mai 2013

Analyse de Spring Breakers #2: Un film mal compris

La société rencontre aujourd'hui, son come-back années 70 et une nouvelle ère marginale



Analyse Poussée de Spring Breakers #1

Est sorti récemment sur les écrans, un film américain d’Harmony Korine « Spring Breakers ». Ce film a été bien reçu par la critique, mais beaucoup moins par le public. Peut être parce qu’il est beaucoup trop tôt pour montrer que le film a pour but de présenter ces mêmes transformations qui se produisirent dans les années 70.  L’histoire concerne quatre jeunes étudiantes qui en ont assez de leur quotidien. Elles désirent amasser le plus d’argent possible afin de partir vivre l’expérience du Spring Break, qui est le moment le plus festif de l’été en Floride. Cette fête se résume à : la plage, la musique, l’alcool, la drogue et le sexe. Un lieu paradisiaque où il est possible de flirter avec différents « plaisirs » illégaux. Ces jeunes filles au tempérament très acide et violent, décident de braquer un restaurant afin de réunir les fonds nécessaires pour le voyage. Elles utilisent des cagoules et des faux pistolets pour accomplir leur hold-up. Suite à quoi, elles partent en Floride à la recherche de la liberté. Ces jeunes en recherche d’évasion, et de limites à dépasser, peuvent assez facilement nous rappeler le courant beatnik, ou les hippies qui revendiquaient le droit d’user de leur vie comme bon leur semblaient. Nous retrouvons les mêmes ingrédients, entre drogue et expériences à vivre. Ces jeunes filles déclarent tout haut leur rupture avec un monde qui semble privatiser les populations, une société chère et mensongère. Loin de la politique « Peace and Love », le film penche vers l’aspect violent et destructeur qu’amène cette vie. Les hippies eux-mêmes étaient persécutés, pour leur désir de rester en marge et s'opposer à la loi. Spring Breakers varie entre le coloré et les groupes communautaires des années 70. Nous retrouvons des influences venues d’un Brian De Palma avec Scarface entre sa violence et cette ascension vers un rêve, puis un Easy Rider sur le thème du voyage et de la rencontre. Les jeunes filles finissent par êtres arrêtées en Floride pour usage de stupéfiants. C’est un rappeur et trafiquant de drogue du pseudonyme d’Alien qui vient les libérer, charmé par ces corps exhibés en maillot de bain. Les filles sont plongées dans l’univers gangster d’Alien, et le rêve prend des tournures de cauchemar. La perte des repères (l'anomie) est encore plus accentuée dès lors, que les jeunes filles entrent dans une violence qu’elles ne savent interpréter et maîtriser. Perdues dans le rêve pré fabriqué du Spring Break, les quatre amies sont conduites à êtres séparées les unes après les autres : la première prend conscience qu’elles vont trop loin, la deuxième survie d’une balle reçue à l’épaule, puis les deux dernières franchissent la limite ultime, en déclenchant une tuerie chez un gangster rival. Harmony Korine, artiste extrêmement contemporain renvoi au spectateur l’image dégagée par la société de consommation et les média. Un monde illusoire, où encore une fois, la société possède dans ses plus hauts sommets des personnalitées douteuses, des rappeurs riches, trafiquants et meurtriers. Digne d’une fin comme dans l’Inspecteur Harry ou bien même dans Bonnie and Clyde, l’adrénaline retombe après l’apogée de la violence. Comme l’expression, « le calme après la tempête », le film montre que le plaisir est éphémère et que les actes restent inscrits sur les visages.
Nous pouvons aussi reprendre l’image d’une nouvelle jeunesse rebelle qui succède à James Dean et à La fureur de vivre. Les jeunes filles dont on ne connaît leur vie privée, n’ont pas l’air d’avoir de familles. Elles ne se soucient plus de rentrer et décident de rester en Floride. Elles cherchent auprès d’Alien, une nouvelle famille « idéale » où la vie serait un luxe. Peut-on considérer qu’elles sont en mal d’intégration comme le fut James Dean ? Difficile encore à prouver aujourd’hui, mais les envies et les exigences ont changées. Le rêve, devient un rêve de luxe et de consommation, probablement parce que la société se transforme en un monde qui pousse à cet extrême (technologie qui progresse au delà de nos moyens et des produits vite démodés). Là où la population ne peut plus se le permettre, elle provoque des déceptions et un nouveau cycle de marginalité.


lundi 6 mai 2013

Court métrage: C'est dans la boîte !

Idée court métrage


C'est dans la boîte ! d'Antoine Rameau



Intérieur-Soir-Bar

Homme assis à une table (vue de dos) du nom de J.Gonzo. Homme de la cinquantaine, portant costume chic, cheveux brun, probablement un peu costaud et pas très beau. On entend que sa voix rauque, on ne voit pas son visage. Seulement son corps vu de derrière. En face un homme, plutôt trentaine, air sérieux et imposant. Il reste silencieux et écoute. Grisonnant, et portant une légère veste en cuir beige-marron. Il sert d'intermédiaire. Nous ne connaissons pas son identité. On l'appellera Box.
Une photo d'une femme de 40 ans est montrée à Box. Gonzo l'a fait glisser sur la table. Sur la table, deux consommations. Musique d'ambiance...

Gonzo

-Elle, tu lui livre le colis. Derrière, c'est l'adresse de l'appartement où habite le type dont je t'ai parlé. Tu fais ce qu'il y a à faire. T'utilise les moyens et les méthodes que tu souhaites. L'important c'est de ne pas te faire voir avec. Autrement, notre contrat ne tiendra plus et le reste sera à tes frais. Le meilleur moment pour intercepter notre homme, c'est le matin dans les alentours de 6h. Tu prends la tête, puis tu dois t'arranger pour l'apporter à ma femme vers 16h, avant que sa journée se termine. C'est la tête de "l'amant" en question. Réfléchis à une astuce pour qu'elle trouve le colis sans qu'elle ne te croise.  Elle comprendra bien assez vite de quoi il s'agit. Moi, je m'occupe du reste. Quand je saurais à quel café elle se rendra, tu pourras trouver les détails du rendez vous, vers 15h, sur ce site internet.

Il montre le site inscrit derrière la photo

Box

-Je fais ce travail depuis des années. Il n'y a jamais eu de clients insatisfaits. La seule chose que je vous demande, c'est de ne pas transmettre mes coordonnées à n'importe qui.

Gonzo

-C'est bien normal.


Fondu enchaîné vers la deuxième scène.



Extérieur-Matin-Devant un appartement parisien

Box adossé à un bâtiment en face de l'appartement, fume une cigarette. Il fait encore très sombre, le jour se lève à peine. Box est comme une silhouette dans le noir dont on ne voit que la cigarette allumée. Un homme au loin se gare le long du trottoir de l'appartement. Box regarde l'homme taper son code. Il s'introduit dans l'appartement et Box le suit, un carton sous le bras. Il inscrit un code, donné par Gonzo. La caméra reste à l'extérieur et filme l'appartement de dehors. Une lumière derrière une fenêtre s'allume. Deux silhouettes passent devant les carreaux. Box semble éteindre la lumière deux minutes après qu'elle ai été allumée. Quelques minutes plus tard, Box sort, le carton toujours sous le bras et part.



Intérieur-Matin-Métro

Assis sur un siège, le carton est posé sur les genoux de Box. Il n'est pas fermé mais l'intérieur est recouvert d'un tissu rouge. Un enfant et sa maman, assis en face de lui, le regardent interrogés. L'enfant fixe Box silencieusement. Il semble intrigué par la boîte. Il interpelle sa mère.


Enfant

-Il a quoi le monsieur dans sa boîte ?


Le regard de Box s'abaisse vers l'enfant.
 
Maman

-Enzo, laisses le monsieur tranquille.

L'enfant ne parle plus mais continue de regarder Box. Box tend son doigt devant la bouche pour demander à l'enfant de rester calme.
 
Box
 
-Il fait dodo.

Box tend un petit sourire. L'enfant surpris et amusé pense comprendre que le contenu de la boîte renferme un animal endormi. Il fait un bruit d'étonnement et met sa bouche devant la main. La maman sourit. Enzo demande.
 
Enzo
 
-Je peux le voir ?

Maman
 
-Enzo, qu'est ce que je t'ai dit ?

L'enfant fait mine qu'il aurait bien voulu regarder dans la boîte. Box continu de sourire et regarde ailleurs pour ne pas tenter l'enfant.


 
Extérieur-Jour-dans la rue

Un liquide semble couler de la boîte en traversant le carton. Il pose la boîte sur un banc public vide. Un clochard avec son chien au loin, regarde Box, interpelle. Box regarde autour de lui et sort plusieurs mouchoirs d'un paquet. Il tapisse discrètement le fond de la boîte avec plusieurs mouchoirs. Il ouvre un autre paquet, puis nettoie le carton de l'extérieur. Le clochard, sentant quelque chose de louche, se lève dans l'espoir d'obtenir une pièce pour que Box se débarrasse de lui. Apercevant le clochard au loin, Box se dépêche de sortir d'autres mouchoirs et de nettoyer le banc. Le clochard regarde au passage les gouttes orange tombées par terre. 

Clochard
 
Excusez moi, vous n'auriez pas un petit quelque chose pour me dépanner ?

Box (ennuyé)
 
Non, désolé, je n'ai rien sur moi.

Le clochard insiste en se montrant inquisiteur.

Clochard
 
-Vous m'avez bien l'air embêté avec votre carton m'sieur.

Box
 
-Non c'est bon, c'est pas grand chose.

Clochard
 
-Vous devriez faire quelque chose, y'a une drôle d'odeur la dedans. Vous transportez quoi ? Une bête crevée ?

Box
 
-Oui, j'approvisionne les restos chinois du coin.

Le clochard reste planté sur place suite à cette remarque. Il s'éloigne et rejette de temps en temps quelques regards en arrière. Box s'éloigne dans la direction opposée.


 
Intérieur-Jour-Midi dans un restaurant chinois
 
Box est assis seul à une table pour deux. Il attend son plat et regarde quelques messages sur son portable. Les gens autour regardent Box ainsi que sa boîte. Les voisins de table se mettent à commérer. Certains étudiants venus manger en groupe font des mines dégoûtée. La boîte dégage une odeur nauséabonde. Box jette quelques coups d'oeil aux clients. Une serveuse lui apporte son bol contenant une soupe de nouilles. Elle constate les réactions des clients.

Serveuse
 
-Monsieur, votre paquet dégage une odeur qui dérange la clientèle.

Box
 
-Oui c'est vrai. C'est depuis pas longtemps. Je vais manger rapidement.

Serveuse
 
-Pouvez vous mettre votre boîte ailleurs s'il vous plaît ?

Box
 
-Non, ça c'est très important, je dois garder un oeil dessus. Mettez moi à une autre table sinon, où je pars sans payer.

Box est situé au fond du restaurant, mais l'odeur persiste. Il mange son plat avec peu de raffinement. Il termine sa soupe, puis lâche un billet de 10 euros sur la table et s'en va. En passant à côté des clients, certains tentent de pencher la tête pour regarder dans la boîte. Box les dévisage et ils se tournent à nouveau vers leur assiette. Box sort par la porte vitrée.


 
Intérieur-Jour-supérette
 
Box passe à travers les rayons, la boîte sous le bras. Il attrape plusieurs choses dont des sapins senteurs pour les voitures, ainsi que du coton. Il avance jusqu'à la caisse et la caissière, âgée d'une cinquantaine et l'air désagréable, fait une remarque à Box.

Caissière
 
-Vous auriez pu éviter d'amener ça dans le magasin. Dans votre voiture ça profite qu'à vous au moins.

Box
 
-Je suis à pieds.

Caissière
 
-Non mais franchement, ça pue partout maintenant. On assume comment si les clients s'en vont ?

Box
 
-On pourrait peut être remplacer la caissière par un mannequin ?

Caissière
 
-Je vous montre pas la sortie (elle appelle le vigile de la main).

Vigile
 
-Veuillez sortir monsieur

Box
 
-Vous n'auriez pas du vous déranger.

Vigile
 
-Normalement il est interdit d'entrer dans les magasins avec des paquets comme ça monsieur. Montrez moi ce qu'il y a dedans.

Box
 
-Je n'ai pas déclenché d'alarme. Ce qu'il y a la dedans c'est privé et ça me concerne. On n'a pas encore inventé les bombes qui sentent la merde. Mais si vous tenez, à ce que j'en renverse dans le magasin, c'est vous qui voyiez.

Vigile (ne sachant pas quoi faire)
 
-Dépêchez vous de sortir maintenant.


 
Extérieur-Jour-dans la rue
 
Box ouvre les sachets de senteurs et remplit son carton. Il enlève les mouchoirs tâchés et les jettes dans une poubelle à proximité. Un homme se promenant, passe à côté de Box et retient son chien qui lui aboie dessus. Une fois passés, Box tapisse le fond de coton.  

 

Extérieur-Jour-dans un cyber club
 
Box devant un écran d'ordinateur, fait une recherche internet. Il sort la photo et inscrit le nom du site. En quelques clics, il obtient le lieu du rendez vous.

 
Extérieur-Jour-devant la terrasse d'un café populaire parisien
 
Box entre dans le café et se dirige vers le comptoir. Un serveur le plateau à la main vient vers lui.

Serveur
 
-Monsieur, je peux faire quelque chose pour vous ?

Box sort la photo de la femme de Gonzo. 

Box
 
-Avez vous vu cette femme par hasard ?

Serveur
 
-Effectivement, elle est assise à une table sur la terrasse. Elle s'est absentée un instant pour aller aux toilettes. Elle va revenir, je vais bientôt lui apporter sa consommation.

Box
 
-Je peux vous demander un service ? (Box pose un billet de 10 euros sur son plateau) Pourriez vous lui donner ce colis, je vous prie ? Elle va savoir de quoi il s'agit.

Serveur
 
-Très bien. Mais il y a pas d'entour loupes au moins ?

Box
 
-Non, bien sur. C'est seulement que je dois partir au plus vite. Je suis coursier et j'ai une dernière livraison à faire rapidement. Tout est déjà signé. Par contre je vous demande juste de ne pas regarder le contenu, c'est confidentiel.

Serveur
 
-Entendu.
 

Box s'éclipse du café en traversant la terrasse. Il part vers le hors champ. Nous l'abandonnons de vue, pour nous concentrer sur la table de Madame Gonzo.
Celle-ci revient des toilettes et s'assoit à sa table. Elle sort son téléphone et appelle quelqu'un.
Le serveur vient avec le plateau et le carton. Il dépose la consommation de Mme Gonzo sur la table puis    
s'adresse à elle.

Serveur
 
-Quelqu'un tenait à vous transmettre un colis. Je le pose sur le siège d'à côté.

Mme Gonzo, l'air effrayé semble reconnaître la signification du tissu rouge posé sur le carton. Elle regarde autour d'elle paniquée. Elle pose le carton sur ses genoux et fait attention aux autres clients du café. Elle retire le tissu et semble comme étouffer son cri.
Elle se met à hurler.

Mme Gonzo
 
-C'est quoi ce putain de bordel ?

Une voix hors champ retentit (voix off, celle de M.Gonzo).

Gonzo
 
-De quoi parles tu ?

Mme Gonzo
 
-Il y a rien dans cette putain de boîte !

Gonzo
 
-On s'en fout de ce qu'il y a où pas dans cette boîte. La prise était bonne et ta réaction parfaite.


La caméra pannote de 180° degrés et dévoile l'équipe de tournage derrière avec J.Gonzo, le réalisateur assit sur son fauteuil. Box se tient à côté de lui agacé. On entend la voix de madame Gonzo en hors champ.

Voix off Mme Gonzo
 
-Il ne devait pas y avoir une fausse tête ou un élément de trucage ?

Gonzo
 
-Que dalle ! J'ai pas les moyens pour me payer une tête !

Voix off Mme Gonzo
 
-Ah ! mais passer pour une catin qui a pleins d'amants, ça n'a pas de prix par contre...
 

Gonzo fait signe à l'équipe de ranger le matériel. Le perche-man retire le micro et nous n'entendons plus Mme Gonzo. Elle passe à nouveau dans le champ de la caméra et se dispute avec Gonzo.
Changement de plan.
Le serveur qui regarde la dispute vers le hors champ, tourne son regard vers l'intérieur de la boîte, restée sur la table de la terrasse.
Un dernier plan montre le contenu entièrement vide (et propre).


Fin.
Irish Tony


samedi 30 mars 2013

Analyse de Mulholland Drive de David Lynch

 
 
« Le sommeil ouvre en nous une auberge à fantômes »
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie.



Sommaire :

Notes sur Mulholland Drive et David Lynch
L’histoire de Mulholland Drive
Le Générique
Le rêve dans le restaurant
Le Cow-boy
 
Le Silencio
 
La boîte de Pandore
 
Bibliographie
 
 



  Notes sur Mulholland Drive et David Lynch

David Lynch est né un 20 janvier 1946 à Missoula dans le Montana. Il est à la fois, cinéaste, photographe, musicien et peintre. Il a suivi des cours à la Corcoran School of Art à Washington. Il s’inscrit ensuite à l’école des Beaux-arts de Boston. Il réalise son premier film-cauchemar Eraserhead la nuit, faute de temps. Il gagne en notoriété avec Elephant Man au Festival d’Avoriaz. Il est nommé plusieurs fois aux Academy Awards comme meilleur réalisateur pour Elephant Man (1980), Blue Velvet (1986), et Mulholland Drive en 2001. Il reçoit plusieurs prix au Festival de Cannes, ainsi que le Lion d’or d’honneur à la Mostra de Venise. Mulholland Drive remporta le prix de la mise en scène à Cannes et le César du meilleur film étranger.

Il réalisa dix longs métrages entre 1976 et 2007. Dans l’ordre : Eraserhead, Elephant Man (1980), Dune (1984), Blue Velvet (1986), Sailor et Lula (1990), Twin Peaks (1992), Lost Highway (1997), Une histoire vraie (1999), Mulholland Drive (2001) et Inland Empire.

Par son style propre et surréaliste, on parlera parfois par le terme « lynchien ». Il imposera sa place parmi les admirateurs et les cinéphiles. C’est un cinéaste qui prête tout autant d’importance au son, qu’au visuel. Il fabrique un cinéma onirique, mystérieux, dérangeant, porteur d’une violence déstabilisante. Il possède un regard sombre et halluciné derrière la société humaine et la réalité. Il crée sa fondation en 2005 et s’engage dans la promotion de la Méditation transcendantale.

Mulholland Drive est le nom d’une route en altitude au nord de Los Angeles, serpentant sur ce qu’on appelle les « collines », qui surplombent la ville, et d’où l’on a une vue fantastique, la nuit, sur la cité. C’est aussi un titre familier pour les amateurs de Lynch, lequel en parlait comme d’un projet de série pour la télévision, qu’il devait écrire avec Robert Engels. Un pilote fut tourné pour la chaîne ABC, mais refusé. Les efforts de producteurs français permirent de tourner de nouveaux éléments (essentiellement situés dans le troisième tiers du film) et d’utiliser les scènes du pilote pour faire un film de cinéma, dont Lynch est crédité comme le seul scénariste. Il faut donc accepter la règle du jeu de ce film, qui est que certaines intrigues secondaires (notamment tout ce qui concerne le tueur à gages qu’on voit, au début, assassiner trois personnes plus un aspirateur) disparaissent sans laisser presque aucune trace. Ce ne sont pas des « fausses pistes », mais des routes qui se perdent. « Mulholland Drive force le respect et la reconnaissance d’une conception lynchienne de la belle image et du  beau son »[1].



[1] L’Art audio-visuel de David Lynch, « ouverture », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p11.



 
   L’histoire de Mulholland Drive

Mulholland Drive est encore aujourd’hui un film complexe, difficile à déchiffrer. Nous pourrions dire, que le film est un condensé des talents artistiques du réalisateur. Une jeune femme du nom de Betty, rêve de devenir une grande comédienne à Hollywood. Sa tante lui prête un appartement à Hollywood, le temps que celle-ci passe plusieurs auditions. Parallèlement nous avons le mystérieux personnage de Rita, qui fut à deux doigts d’être tuée sur la route de Mulholland Drive. Suite à un accident de voiture, elle arrive à s’échapper, mais demeure complètement amnésique. Elle se refugie un soir dans l’appartement de Betty, qui la cache, la protège et essaye de retrouver l’identité de Rita. Rita, avait emportée avec elle une forte somme d’argent ainsi qu’une clé bleue.

La folie : jamais Lynch n’a approché ce thème d’aussi près, à travers deux femmes qui mêlent leurs aventures, comme si la Sandy et la Dorothy de Blue Velvet avaient décidé de vivre une histoire ensemble, en mettant les hommes ou l’homme de côté. L’homme-pont a été supprimé, Adam n’est plus le joint que faisait Jeffrey entre deux femmes et deux mondes, et les femmes dérivent d’une identification hasardeuse à l’autre. Les voici, ces deux femmes, l’une concrète et normale mais expansive et exaltée, et l’autre passive, romanesque et mystérieuse.[1]

A travers cette enquête, menée par l’innocente Betty, elle sera conduite sur le chemin cauchemardesque de Rita. Elles se retrouveront au Silencio (une boîte de nuit mystérieuse) et possèderont une mystérieuse boîte bleue, qui est liée à la clé de Rita. Une fois ouverte, la boîte crée une inversion de l’ordre des choses, comme si nous avions traversés le miroir d’Alice. Les destins et les enjeux sont bouleversés et correspondent difficilement à la réalité, ou la vérité. Tout ne semblait que mensonge, jusqu’à ce que la boîte de Pandore, nous ôte le masque du rêve. Le spectateur se sent perdu, et cherche à distinguer le vrai du faux. Plusieurs thèmes interviennent : le miroir ou le double, le rêve, la réalité, le conscient et l’inconscient.

Impossible alors de ne pas penser à un des films présentés par Lynch comme un de ses préférés, Persona. Cette œuvre de Bergman, déjà évoquée, montre en effet deux femmes, dont l’une, actrice, est frappée de mutisme, tandis que l’autre, son infirmière, est d’autant plus dynamique, bavarde et expansive que sa patiente est secrète et réservée. Leurs identités s’échangent, se complètent et parfois se confondent et, même si, chez Bergman, elles ne couchent pas ensemble, elles forment une très étrange dyade.[2] 

Après ouverture de la boîte, nous pensons, plonger dans un monde fantastique et spectral car le cours des choses ont changés. Mais la première partie du film semble constituer un mensonge qui vient à démontrer que le film est un fantôme dans son intégralité. Le medium du film lui-même, est fantomatique. C’est la raison pour laquelle, Mulholland Drive est un film « flou », difficilement explicable. C’est dans ce sens que nous pouvons dire que Mulholland Drive est un film noir.

Le film noir a été pour son cinéma une influence décisive. Il ne s’agit pas d’une subjectivité au sens où nous pouvons l’entendre du mélodrame et du fantastique, mais il ne s’agit pas non plus d’un genre au sens où nous pouvons l’entendre du film de science fiction, de la comédie musicale ou du western. Par la large variété des décors, des sujets et des intrigues qu’il met en scène, le film noir, écrit J.P. Telotte, est une forme de fiction hétérogène et « amorphe », sans règles ni limites qui permettent à la critique et à la théorie d’en isoler une définition claire et assurée. « Le flou » est le cinéma de D. Lynch.[3] 

L’idéal serait de révéler plusieurs passages du film, afin de le présenter comme un labyrinthe tirant sa force des méandres du son et du visuel. Le mot labyrinthe déjà emprunté pour Eraserhead, semble être le mot adéquat pour décrire le cinéma Lynchien. Il s’exprime d’ailleurs dès le générique du film.

La remontée en voiture de Mulholland – qui est assurément l’un des instants clés du film puisque voici le moment de Mulholland Drive où tout se joue et où tout se dénoue ; le moment cycliquement répété où, simultanément, le drame s’amorce et s’achève. Accentuant la nature irréelle et spectrale de l’instant, la route de Mulholland, filmée de nuit, déroule une série de virages et de lacets au fil desquels la réalité paraît comme s’infléchir et progressivement épouser la courbe de nos rêves et nos fantasmes. La séquence frappe par ses qualités d’image et de son, la beauté des vues qu’elle ménage sur Los Angeles, la succession fluide et harmonieuse des fondus enchaînés qui ponctuent cet instant de poésie cinématographique. Cette surimpression répétée des images et des vues est le procédé rhétorique d’expression d’une réalité composite et stratifiée, d’un paysage compris comme amalgame d’images et de clichés empruntés à la mémoire ainsi qu’à l’imaginaire cinéphilique du rêveur qui préfigure l’ensemble d’un film-rêve qui est aussi un rêve en cinémas.[4]

Le réalisateur démontre la puissance du cinéma dans le cinéma, en se servant de cet aspect « faux » et travaillé du cinéma. C'est-à-dire, en s’appuyant sur un jeu sonore et visuel, sur les enregistrements, et l’envers du décor. En démontrant l’Aura d’Hollywood, mais aussi sa dure réalité. Cela implique un rapport particulier avec le spectateur et sa vision de la magie cinématographique et du pouvoir Hollywoodien. Nous présenterons cinq passages si nous avons le temps : le générique, le rêve dans le restaurant, l’intervention du cow-boy, l’entrée au Silencio et la traversée de la boîte.



[1] David Lynch, « L’homme-pont », Michel Chion, éditions L’étoile/Cahiers du Cinéma, Collection auteurs, 2007, p264.
[2] David Lynch, « L’homme-pont », Michel Chion, éditions L’étoile/Cahiers du Cinéma, Collection auteurs, 2007, p259.
[3] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le noir », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p127-128.
[4] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le noir », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p186.




Le Générique

Nous montrerons que le film lui-même est un fantôme par sa présence et l’utilisation de la caméra. C’est un fantôme qui nous renvoi à sa vue subjective, à son illusion. Nous parlions de la vision du spectateur sur la magie Hollywoodienne. Cela nous permet de commencer en parlant du générique. Nous assistons à un étrange montage de music-hall. Nous avons là, « un cinéma hollywoodien « classique » réinventé, ressuscité – une fiction, un pastiche de comédie musicale des années cinquante. On devra alors comprendre que, pour D. Lynch, Hollywood est autant une ville à « mythographier » qu’une machine à faire rêver qu’il lui faut démonter »[1]. « A part Ann Miller, célèbre danseuse de tap-dance des années 40 et 50, presque tous les interprètes du film sont des figures nouvelles à la fois au cinéma et dans le monde de Lynch »[2].

Ce générique peut être perçu comme une mise en garde, de la possibilité du réalisateur à travailler le film comme bon lui semble. Il nous présente un grand cliché hollywoodien de music-hall, par une musique endiablée et des jeux de surimpression. Nous pouvons donc penser que Mulholland Drive est construit en plusieurs couches et qu’il nous sera difficile de distinguer le vrai des reproductions. Ici, les danseurs, apparaissent, disparaissent, apparaissent à nouveaux, se superposent, se cachent. Cela crée une multiplication de reproductions de danseurs et en même temps de clichés. Jusqu’à ce que nous tombions sur l’image opaque de Naomi Watts, qui semble être photographiée et adulée telle une star. Mais, ces flashs, expriment le flou Lynchien, et l’aveuglement de son monde. Elle est éblouit, aveuglée par le succès. Ce générique d’aspect positif, est un leurre cinématographique, un rêve fait debout, une image cependant éphémère car fantomatique. Son dédale, amène ses personnages là où il le décide. Le plan de la voiture, remontant Mulholland Drive est comme piégé dans un couloir obscur. Par moment, le cinéaste propose de déplacer les voix. « Le thème paranoïde de l’entrecroisement des réseaux et du complot en cascades est un des foyers centraux du film Mulholland Drive »[3]. Plus tard, vers la fin du film, Rita propose à Betty un raccourcit pour atteindre la maison d’Adam. Comme si un chemin venait de se créer spécialement pour conduire les personnages, là où David Lynch les attend. Un raccourcit pour finalement certifier de la dure réalité à Betty.



[1] Op.cit, p186
[2] David Lynch, « L’homme-pont », Michel Chion, éditions L’étoile/Cahiers du Cinéma, Collection auteurs, 2007, p260.
[3] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le fantastique », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p121.




 
Le rêve dans le restaurant [00 :11 :11-00 :15 :56]

Dans la scène du restaurant, un homme raconte son rêve à un ami. La caméra n’effectue pas seulement un jeu de champ contre champs, elle se flottante grâce au moyen de la steadycam. Cet effet flottant donne le sentiment que la vue subjective d’un esprit se tient derrière les protagonistes, mais renforce aussi cette idée de rêve peut être en train de se dérouler. L’homme raconte comment cela c’est passé, et la force du cinéma permet de la réaliser. Nous nous demandons si le rêve ne s’effectue déjà. Chacun prend sa position, dans un lieu dans lequel nous aurons l’occasion d’y retrouver Betty et Rita. Nous ne savons pas vraiment qui il est. Il raconte son rêve, comme si il effectuait une thérapie auprès d’un psychiatre. La reconstitution de son rêve, rappel la terreur qu’il éprouvait en le faisant. Cette sorte de reconstitution du rêve, peut être comparée à l’enquête menée par Betty jusqu’à ce que nous apprenions que son rêve ressemble plutôt à un cauchemar. « C’est par une inversion des valeurs à proprement parler vertigineuse, ce n’est plus, dans ce film, l’irréel mais le réel qui se donne comme ailleurs : l’ailleurs de cet ici qu’est le rêve mélancolique de Betty »[1]. La description du rêve devient vertigineuse. L’homme se raccroche au fil de l’histoire pour se guider dans son environnement. Il entraîne son ami dehors, puis sur le parking derrière le restaurant. Le plan nous présentant l’arrière de la cour, nous ouvre sur une perpendicularité des murs. Le thème du labyrinthe revient, avec cette idée d’un chemin, ou d’un virage qui tourne immédiatement à droite ou à gauche. Il nous dirige dans un couloir sans nous donner la possibilité de retour en arrière, et cache également ce que cache chaque recoin de mur ou d’espace. Pris dans le suspense de sa description, le spectateur est doublement convaincu de son expérience. Nous nous attendons au choc déjà vécu par l’homme, et nous devinons qu’il se trouve dans un tournant du mur. L’espace d’une seconde apparaît la figure d’un homme ou d’une femme, presque indescriptible, à mi chemin entre l’homme préhistorique ou la sorcière. Quoi qu’il en soit, une figure sombre sous un jour lumineux. Derrière le mystère et l’onirisme du rêve et du flottement produit par la caméra, David Lynch crée un choc en nous projetant une figure maccabre.

Mulholland Drive est un « Traumfilm », un film rêve. J.P Naugrette nous explique que les films rêves, La Femme au Portrait de Fritz Lang et Eyes Wide Shut de Kubrick, donnent à voir un New York comme on a l’occasion d’en voir qu’au cinéma. Le Los Angeles de Mulholland Drive est également une cité de cinéma, une réalité artificiellement reconstruite, un espace d’intertextualité que balisent des lieux et des situations cinématographiquement connotés et/ou crypté.[2]

L’homme reconstitue le rêve, de la même manière que le cinéaste reconstituerait un décor de cinéma. Tout est oppressant : aussi bien visuellement, qu’au niveau de la bande son. En réutilisant les codes classiques du cinéma, David Lynch intègre les règles d’un monde fantastique. Son fantastique s’exprime par des interprétations étranges, qu’on ne peut faire ressentir que si le spectateur en vit directement l’expérience « psyché sensoriel ».

L’écrivain David Foster Wallace donne une définition officielle, pourrait-on dire, et plus précise du style de David Lynch : « Fait référence à une forme particulière d’ironie qui combine le très macabre au très ordinaire de manière à révéler la présence permanente de l’un dans l’autre ». Sur ce même point, Chris Rodley, dans la préface de ses entretiens avec David Lynch, fait souvent référence au concept freudien d’inquiétante étrangeté pour qualifier le style du cinéaste.[3]



[1] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le fantastique », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p88.
[2] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le noir », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p184.
[3] Entre l’œil et la réalité : le lieu du cinéma, Mulholland Drive de David Lynch, « A la recherche du trouble », Julien Achemchame, éditions Publibook, 2010, p25.



 
Le Cow-boy [01 :02 :40-01 :06 :25]

Mulholland Drive est un film noir et fantastique parce que la plupart des évènements étranges se passent la nuit. La nuit évoque temporellement, le moment où se produit le déplacement des chemins et des destins. Nous pouvons prendre un petit passage dans le film, qui évoque cette puissance nocturne, mais aussi le travail du son au même niveau que l’image. Adam se rend à un rendez vous de nuit dans un ranch. Il reçoit de sa secrétaire, le message laissé par un homme mystérieux se faisant appeler le cow-boy. Le cow-boy est la figure cinématographique des premiers hommes qui bâtirent l’Amérique. Au-delà de cela, le ranch complètement désert évoque également les origines d’Hollywood, qui n’était avant que des terres d’agriculteurs et de fermiers. Il y avait quoi avant Hollywood ? Rien du tout. David Lynch, nous envoi dans cet espace intemporel, presque iconographique. Entre le restaurant peu peuplé et le ranch déserté, David Lynch dépeint ses décors à la manière d’Edward Hopper, afin d’amplifier le vide et la solitude du personnage. « Le peintre et le cinéaste partagent certains stéréotypes iconographiques, vocation chez Hopper à être l’extranéation d’un sentiment moderniste de solitude et d’aliénation, il est chez Lynch, la manifestation magique d’une jubilation euphorique »[1].

Avant d’entrer sur les terres du ranch, un plan montre l’entrée avec le crâne d’un animal et une lumière qui s’allume comme par magie. Ce plan produit une ambiance fantastique, voire spectrale, car le décor s’anime de lui-même. David Lynch insiste sur le bruit de grésillement ou de bourdonnement de la lumière, puis sur l’image du crâne. Est-ce un avertissement ? Devons nous voir ce crâne, à la place d’un panneau « issue de secours » ? Adam semble entrer dans un espace station temporel, parallèle, mais devons nous parler de réalité ou de rêve ? Le cow boy vient dicter, la conduite que doit employer Adam. Comme hypnotisé ou impressionné, Adam va lui obéir. Le Cow-boy est comme une apparition divine, laissant le choix à Adam. Soit il apparaitra qu’une fois, soit deux fois, s’il fait le mauvais choix. Deux, sonne comme les doubles présences dans le film. L’effet du miroir, le duo Betty et Rita. Un flot de codes est livré au spectateur. Un cow-boy fondateur de l’Amérique, d’Hollywood, comme intervention divine, un lieu hors du temps, un choix d’ordre biblique, le prénom d’Adam. Va-t-il pêcher ou non ? La nuit, la lumière et le crâne comme éléments visuels et sonore pour traduire un monde fantastique.

L’ouïe humaine est, plus encore que la vision, un sens limité, incapable de localiser et identifier efficacement les sons environnants. Elle est donc, à ce titre, grande source de méprise : « un simple bruit peut provoquer directement un ébranlement psycho-physiologique qui met le sujet dans un état d’émotion instantané, intense, irréfléchi ». Il semble le lieu privilégié par D.L afin de faire perdre au spectateur ses repères les plus stables. « Au fond, la base du son Lynch – Badalamenti s’exprime en un spectre. Le bruit y est réaliste, plausible, innocent dans sa neutralité. Tenu, étiré, détaché de sa source non signifiante, il devient son élargi dans le temps et surexprimé dans sa nature, il fait naître une texture sonore ».[2]

Quand le Cow-boy fini de livrer son message, Adam se retire, et la caméra présente une dernière fois le crâne et la lumière qui s’éteint, comme si nous venions de refermer la porte vers l’autre dimension. Une lumière qui grésille, un téléphone qui sonne, le vent qui souffle, tous les détails diégétiques ou extra diégétiques sont prétextes à un monde onirique possible.



[1] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le mélodrame », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p25.
[2] Entre l’œil et la réalité : le lieu du cinéma, Mulholland Drive de David Lynch, Julien Achemchame, éditions Publibook, 2010, p69.

 

 

 
Le Silencio [01 :40 :15-01 :48 :00]

Le nom de Silencio vient ironiquement frapper Rita lors d’un rêve. Guidée par la vision qu’elle a eu, Betty et Rita vont jusqu’au Silencio, situé dans un espace méconnaissable de Los Angeles. Comme pour le Cow-boy, l’espace semble hors du temps et de la réalité. Un plan large montre au loin, la porte d’entrée du Silencio. Comme si le caméraman, venait de ressaisir la caméra posée à terre, la vue subjective de la caméra, redevient le fantôme du restaurant, se lève et poursuit les deux femmes jusqu’à la porte du Silencio. La scène se passe de nuit, l’heure du changement. Le Silensio possède l’apparence extérieure d’une boîte de nuit, puis se révèle être un théâtre, un petit opéra, une scène livrée à l’étrange. Le spectateur est complètement leurré par les effets d’enregistrement. Alors que nous croyons entendre les instruments, ainsi que la chanteuse, nous découvrons qu’il s’agit d’un son extra diégétique. La chanteuse s’écroule à terre, comme si elle fut vidée de son âme, ou comme si sa voix fut extraite. Betty et Rita deviennent les victimes d’une machination qui a pour but de mettre en abîme tout le factice de leur existence. Si ce que je vois est une illusion aussi troublante, ou est ce que je me situe ?   Dans la réalité ou le rêve ? Le monde de Betty s’écroule peu à peu. Nous assistons plutôt à des tours de prestidigitation, à la manière de Méliès, plutôt qu’à une soirée musicale. Nous voyons des éclairs, des flashs illuminer les visages de Betty et de Rita. Nous entendons également le tonnerre. Nous retrouvons l’opposition entre le générique et le Silencio. Il ne s’agit plus des flashs d’appareils photographiques pour célébrer le succès de Betty, il s’agit des éclairs d’un orage pour décrire le cauchemar.

L’univers symbolique du film-rêve s’effondre sur lui-même et se désintègre. Au Silencio, quand la bouleversante illusion du play-back s’interrompt, quand le cliché se consume et que cesse l’effet suspensif et aveuglant du rêve de jour, la chanteuse s’écroule sur la scène, foudroyée, terrassée par le poids écrasant du réel et de son avènement. Pauvre petite Betty/Diane qui, traversant l’écran des fantasmes du film hollywoodien, découvre que, sans clichés pour symboliquement l’incarner, elle n’est rien que le manque qui oriente le cours de son existence. Dès lors, sans rêves de cinéma pour supporter sa propre vie, tout commence de faire horreur.[1]

Betty découvre d’elle-même, dans son sac à main, la boîte bleue, qui appartenait à la figure macabre rêvé par l’homme dans le restaurant. Nous pouvons voir la situation, comme une malédiction qui s’abat sur Betty. Comme la sorcière, qui offre la pomme à blanche neige, la sorcière ici offre la boîte bleue à Betty, tout aussi innocente et naïve. Le thème de la Tentation suit son cours, comme blanche neige qui croqua dans le fruit défendu, est ce que Pandore va ouvrir la boîte ? Mulholland Drive est un film classique qui réutilise les fantômes de la Bible et de la Mythologie. Comme il le fit dans Blue Velvet, David Lynch balance entre le rideau rouge et la boîte bleue. Un rouge pour exprimer la mort et les passions, un bleu pour traduire le rêve et le cours de toute chose. Le cinéma Lynchien est constitué de codes classiques, à savoir retraduire et ranger dans le bon sens. Le Silencio, est probablement la scène ou tout et rien ne se passe. Silencio, exprime certainement la solitude, mais communique l’ordre de garder le silence. Faut-il maintenant se taire, ou dire la vérité ?



[1] L’Art audio-visuel de David Lynch, « Le noir », Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p189.



 
La boîte de Pandore [01 :49 :50-01 :56 :25]

L’ouverture de la boîte, véritable basculement dans Mulholland Drive, dévoile la réalité de la situation. Rita, personnage classique de la femme amnésique, comme le fut Elizabeth Taylor dans Soudain l’été dernier est à la recherche de qui elle est. Elle le personnage autour de qui tout converge. Que cela soit, le rêve et la réalité, elle demeure un personnage ambigu. Mystérieuse inconnue pour qui Betty se démène dans l’espoir de s’octroyer une reconnaissance par procuration. Ou la Rita, « la fille » actrice du prochain film à succès. Betty perd tous ses rêves et ne désir plus que la mort de Rita. S’agit-il de cette mort commanditée au bout du générique du début du film ? Rita est décidement le personnage clef, c’est la raison pour laquelle c’est elle qui possède la clef bleue. Puis Betty obtient la boîte dans le Silencio. Une fusion entre les deux objets, et les deux femmes est possible. Rita finie seule lorsqu’elle ouvre la boîte, est-ce la réalité de Rita ou de Betty ? L’ouverture de la boîte est obligatoirement la réponse donnée au personnage amnésique de Rita. Quand la caméra effectue un travelling, puis un zoom, pour pénétrer l’obscurité de la boîte, David Lynch crée le même effet de vertige que Vertigo d’Hitchcock. Nous avons en quelque sorte traversée le miroir d’Alice, prolongé par de longs fondus au noir comme pour traduire la chute ou la même route sinueuse empruntée par la voiture dans Mulholland Drive au début du film. La tournure de l’histoire change complètement. Alors que nous avons l’impression d’entrer dans une nouvelle dimension, David Lynch, brise les certitudes du spectateur au sujet de Betty. Comme, un corps en manque, qui termine son « bad trip », quitte son overdose, le retour à la réalité crée une autre forme de vertige : la perte totale des repères.

On se masturbe mécaniquement et sans joie comme pour se prouver que son corps réagit encore. On devient la spectatrice aliénée et méchamment aigrie de la comédie humaine et de la basse indifférence de ses acteurs. On brûle ses idoles, on assassine celle qu’on a aimée en rêve. On rentre chez soi puis on se suicide.[1]

Betty/Diane (serveuse), affaiblie, blanche, comme en manque, est en train de se reconnecter difficilement à la réalité. Elle qui partageait une fusion homosexuelle avec Rita, a finie par la traverser, et échanger leurs places. De la rancœur naît. Sa solitude devient suicidaire. Son mal être provoque des hallucinations : mauvaise utilisation de la focale créant une vision floue et raide, une tante et un oncle qui pénètre l’intimité de Betty pour lui rire au nez. La chute en enfer commence pour elle. Nous ne retrouvons plus les flottements de la caméra, que nous avions avant la boîte bleue. Tout est statique, raide, et dur. Dans sa masturbation, Betty, ne ressent plus aucun plaisir. L’effet est complètement estompé. Rita abandonne progressivement Betty, en lui montrant le raccourcit vers son nouveau monde. La vraie Camilla Rhodes de la photo, prend la place de Betty. Que s’est-il échappé de la boîte bleue ?

La frontière devient intangible entre le rêve et le cauchemar et la réalité. Il n’y a plus de procédés cinématographiques spécifiques et repérables (fondu au noir, images déformées) nous permettant de distinguer les différents états de conscience des personnages. Lynch filme le rêve comme il filme le réel ou plutôt l’inverse, c’est le réel qui ploie sous l’influence de l’onirisme.

 



[1] L’Art audio-visuel de David Lynch, « le noir »Jean Foubert, éditions l’Harmattan, 2009, p 189.
 


 
Bibliographie :

 

 L’Art audio-visuel de David Lynch, Jean FOUBERT, éditions l’Harmattan, 2009, p11.
 
David Lynch, « L’homme-pont », Michel CHION, éditions L’étoile/Cahiers du Cinéma, Collection auteurs, 2007, p264.
 
Entre l’œil et la réalité : le lieu du cinéma, Mulholland Drive de David Lynch, Julien ACHEMCHAME, éditions Publibook, 2010, p25.






Rameau Antoine