Dernière partie de la Nouvelle:
"Pour le meilleur et pour le pire, Monsieur" d'Antoine Rameau.
Plusieurs
mois s’étaient écoulés. Nous logions au sommet d’un building. Notre nouveau
foyer prenait tout le dernier étage en superficie. Thomas réserva l’étage du
dessous pour le siège de l’entreprise Anderson. L’étage professionnel servait
aux meetings, aux réunions et comptait également les bureaux des hauts
dirigeants de la société qui travaillaient pour les Anderson. Les étages d’en
dessous étaient d’autres bureaux pour les cadres, puis les plus bas étaient des
logements luxueux. Thomas avait une terrasse en guise de toit. Il avait le
sentiment de pouvoir enfin respirer, voir la civilisation. Le bâtiment lui
offrait une vue magnifique sur l’agglutinement de l’activité urbaine. Il
pouvait voir le Parlement et Big Ben de sa position ainsi que le prolongement
de la Tamise. Il m’était des plus étranges de devenir le majordome d’un foyer
aussi moderne. En réalité l’entretient de l’appartement était une partie de
plaisir contrairement au manoir. Je ne savais pas quoi penser, si vivre ici
était une preuve que nous régressions ou que nous nous modernisions. Au fur et
à mesure d’autres tâches de nouvelle nature faisaient leur apparition. Je
faisais guise de chauffeur personnel, je permettais les visites de Thomas dans
son appartement, j’installais les gens, leur servais le thé. J’accompagnais
Thomas au théâtre, au Globe Theater. Nous avions un bateau qui nous était
réservé et faisait office de restaurant pour un large public. Thomas était de
plus en plus autonome, il travaillait encore coude à coude avec le subordonné
de son père. Il ne lui restait plus qu’une année à accomplir pour faire ses
preuves. Quant à moi, je consacrais mon temps à étudier Londres dans ses
moindres recoins. Comme je le fis pour le manoir, j’étendais mes connaissances
jusqu’aux frontières de la ville. Londres est une capitale immense, cela m’a
demandé beaucoup de temps, mais je réussi à intégrer la vie urbaine avec
succès. Je connaissais toutes les grandes rues, les grands carrefours, les
places publiques, les grands magasins, les sites culturels, l’emplacement des
autres entreprises, le réseau du transport souterrain. Dans cet immense
labyrinthe, je me construisais les meilleurs raccourcis, je déterminais les
zones les plus et les moins denses en population. Je côtoyais pendant un
certain temps, les bars et les petits restaurants pour connaître les potins, et
les magouilles de chaque quartier. J’étais loin d’avoir la carrure suffisante,
pour être un véritable garde du corps, je n’étais d’ailleurs plus tout jeune,
mais pas encore rouillé pour autant. Par mes capacités à anticiper, à
mémoriser, puis à évaluer, j’étais devenu le londonien le plus fiable qu’il
soit. Certains n’avaient pas assez d’une vie pour accomplir cette performance.
Ceci me permettait à ma façon de protéger Thomas.
Il
prenait de plus en plus ses marques. Au tout début il ne bougea pas beaucoup du
bâtiment, certainement parce qu’il n’était pas habitué à tout cela. Sa
célébrité, lui ouvrit des portes et diverses relations à droite et à gauche. Il
rentrait de plus en plus tard le soir. Parfois il ne revenait qu’au levé du
jour, d’une fête dont il ne m’avait pas fait part la veille. Je lui indiquais tout
de même mon inquiétude de ne pas savoir où il se trouvait le soir. Il me
répondit que tout allait bien et qu’il était assez grand. Bien sur cela va de
soi. Un mardi soir je le vis entrer complètement saoul dans l’appartement avec
une sorte de fille de joie. Sa chemise était ouverte. La cravate défaite,
pendait autour de son coup. La fille enlevait son manteau de fourrure, puis
posa son sac à main sur un canapé. Thomas souleva la putain, puis l’emmena dans
la chambre. Il poussa la porte avec son pied et fit de même pour la refermer.
Il ne prêtait même pas attention à ma présence. J’étais installé dans un
fauteuil à lire le journal. Je pouvais entendre des cris d’animaux poussés par
la jeune femme. Sa façon d’exprimer son plaisir était des plus vulgaires.
J’entendis plusieurs coups, comme des claques suivis de cris courts et aigus.
Puis vint ensuite des cris de plainte. Je me levais et me dirigeais vers la
porte de la chambre. J’entendais la fille crier : « Arrêtes. Mais
arrêtes bordel ! ». Je m’approchais jusqu’à la porte puis collais mon
oreille. Un hurlement qui était celui de Thomas éclata. La fille criait :
« Tu es complètement dingue pauvre con, je me casse ». La pute ouvra
la porte soudainement, elle était en colère. Elle m’aperçut puis me
lança : « Il faut l’interner votre psychopathe. Il a essayé de
m’étrangler. Filez-moi mon fric ! » « Combien ? »
« 300 livres ». J’allais chercher mon portefeuille et laissais tomber
les billets par terre. Elle s’abaissa pour tout ramasser en me lançant des
injures. Je lui demandais de partir sur le champ et de ne plus revenir.
Pute : « C’était bien mon intention, vieux connard ». Elle prit
l’ascenseur pour aller au rez-de-chaussée. Thomas sorti de la chambre les yeux
gorgés de larmes, il était nu. Une énorme griffure partait du coin de son œil
jusqu’en bas de sa joue. Thomas : « Regarde ce qu’elle a osée me
faire Edward. Ta vu pour qui elle s’est prise cette putain ? Elle est bien
trop chère pour juste servir de piquet sur des draps en soie. Salope !
Elle ne sait pas qui je suis ». Il alla dans la salle de bain, puis prit
plusieurs compresses et de l’antiseptique dans la pharmacie. J’allais le
prendre par le bras pour l’asseoir sur une chaise. Je passais les compresses
sur sa griffure assez profonde. Heureusement qu’elle ne mit pas son ongle dans
l’œil. J’expliquais à Thomas qu’il ne devait pas avoir affaire à ce genre de
gens. Ils n’appartenaient pas à la même classe que nous et ne pouvaient
comprendre la vie que l’on menait. Je lui demandais s’il avait rencontré par hasard
une jolie jeune femme, bien instruite, pratiquant un métier honorable. Il me
répondit : « Aucune d’entre elles n’égaliseront
Suzanne ! ». Le prénom de Suzanne revint comme une blessure mal
cicatrisée. Elle continuait de hanter Thomas. J’essayais de trouver la réponse
adéquate pour calmer sa colère : « Londres regorge de femmes
intéressantes et aussi sublimes que Suzanne, je suis sur qu’avec un peu de
sociabilité tu parviendras à trouver quelqu’un qui t’aimera et te donnera ce
que tu attends » « Tu penses qu’une telle femme existe à
Londres ? » « Bien sur, fais comme moi, arpente les rues, visite
les places publiques, va dans un café, rends service à une femme dans le besoin
et peut être te tendra-t-elle la main » « Tout le monde ne peut pas
autant s’adapter que toi à un nouvel environnement Edward. Personne ne sait
aussi bien que toi rendre un endroit infect en un lieu respectable. Tu as de
véritables pouvoirs, des dons n’appartenant à personne, je t’envie. Toi et ta
ponctualité irréfutable ». Thomas me mit mal à l’aise. Il me faisait
presque peur. Il réagissait comme un enfant en crise d’adolescence. S’il avait pu m’enfoncer ses doigts dans la
tête pour me dérober les capacités que j’ai développées par le fruit d’un
travail acharné, il le ferait. Pourtant Thomas avait besoin de moi, plus que de
quiconque. Il tira avantage du lien qui nous unissait, mais il tirait également
avantage du fantôme de Suzanne qui planait au dessus de nous. Aussi
invraisemblable qu’il soit, je voyais resurgir les mauvais côtés de James chez
Thomas. Je sentais même que quelque chose de plus obscure grandissait en lui.
Des ténèbres m’aveuglant et me rappelant que le cauchemar n’était pas fini.
Notre vie gagna en modernité, et le mal était plus que jamais tapis dans les
coins sombres de l’esprit de Thomas.
Il
m’appela un vendredi soir. J’étais en train de compléter définitivement les
documents de droits de succession dans les affaires Anderson avec William Hartford,
le bras droit de James. Nous étions dans le salon de sa résidence secondaire
londonienne. Nous parlions de sa proche retraite ainsi que de la forte
médiatisation de Thomas: Anderson fils reprend le flambeau ! On pouvait
voir quelques photos de Thomas avec moi à ses côtés. C’est une chance d’avoir
eu une personne de confiance telle que William durant ces dernières années. Le
transfert allait aboutir. Tel un père, et fier, je voyais Thomas prendre la
relève comme un homme. Je sentais venir à la fois la fin de nos incertitudes et
un nouveau départ. Mais je me trompais. Thomas m’appela un vendredi soir de
printemps sur mon téléphone portable, et me prononça ces mots :
« J’ai recommencé. Encore une fois. Ma malédiction est revenue ». Je
posais le téléphone sur mon genou, serré dans ma main. Mon regard fixait la table
basse où nous étions installés. William me demanda ce que j’avais. Je lui répondais
que tout allait bien. J’approchais le téléphone de mon oreille et je demandais
une chose à Thomas : « Ou-es-tu ? Donnes-moi l’adresse, j’arrive
tout de suite ».
J’arrivais
dans un immeuble, je sonnais au numéro de la porte que m’indiqua Thomas. Il
m’ouvrit la porte et la referma derrière moi. Il s’agissait de l’appartement
d’une jeune femme qu’avait rencontré récemment Thomas. Il y avait des
éclaboussures de sang un peu partout. Sur les murs, les rideaux de la fenêtre.
Le centre du lit ressemblait à une marre de sang. Je constatais que le corps
avait été traîné jusqu’à la salle de bain. On pouvait voir le sang former un
sillage jusqu’à la baignoire. Le corps de la jeune fille était dedans, les
vêtements entièrement rouges. Il avait fait de cette pauvre fille, un corps
méconnaissable. Cette fois ci, Thomas avait atteint le point de non retour. L’état
des pièces rendaient compte d’un véritable carnage. Il portait des gants en
cuir. Une lame était sur la moquette, un rouleau de ruban adhésif trainait par
ci, du fil de fer par la. Il ne pleurait plus, il se donna de bonnes raisons. Il
se mit même à me faire chanter : « J’ai eu l’idée de porter des
gants, cela évitera de s’inquiéter pour les empreintes. J’ai vraiment cru
qu’elle serait à la hauteur, mais elle n’a fait que de me décevoir et me
contrarier. Ne t’en fais pas Edward, je te promets, elle n’en valait pas la
peine. J’en trouverais une autre. Maintenant c’est l’heure de faire appel à tes
talents de magicien. Tu arriverais à tout faire disparaitre ? »
« Tu ne peux pas agir de la sorte, sans avoir aucune conscience de tes actes
Thomas ! On ne peut pas se débarrasser des gens comme cela ! Il n’y a
rien d’humain à faire ce que bon te semble. Rendre cette pièce aussi neuve
qu’avant demande du temps et des méthodes très complexes. On ne pourra pas s’en
sortir comme cela à chaque fois. Il faut cesser ! » « J’ai tous
les droits, dans peu de temps je serais intouchable. Qui soupçonnerait
l’héritier Anderson ? Ils ont besoin que nos entreprises fonctionnent, et
j’ai bien d’autres projets à proposer à notre marché. Il est temps de faire un
pas en avant au lieu de stagner comme le fit mon père. La vie et le progrès
sont possibles que si l’on prend des risques. Edward, depuis le temps que je te
connais je sais parfaitement de quoi tu es capable. Je sais qu’en me fiant à
toi, nous n’encourons aucun risque. Je t’ai mis le corps dans la baignoire pour
qu’il se vide dedans. J’ai commencé le travail, il n’y a que toi qui puisse le
finir » « Comment veux tu que nous emportions un corps sans nous
faire prendre ? Il faudrait d’énormes valises, couper le corps »
« Tu vois ? Tu arrives déjà à anticiper sur la question du corps.
C’est pour cela que je crois en tes capacités de nettoyer une scène de crime.
On n’a plus le choix. Si je me fais prendre, s’en est fini de nous. Nous
faisons ensemble la une des journaux. Ma réputation est faite ainsi que la
tienne. Si cette affaire éclate, nous plongerons l’un comme l’autre. Nous
sommes liés depuis Suzanne, depuis ma naissance, tu as toujours travaillé pour
notre famille. Nous t’avons permis cette nouvelle vie. Aide-moi à la
préserver » « J’ai toujours été loyal envers les Anderson. Je t’ai
tenu la main dans les moments les plus sombres de ton existence, comme un vrai
père. Comme me l’a demandé James. Je resterais fidèle à mon maître jusqu’au
bout, je n’ai qu’une parole. Mais j’ai besoin de savoir une chose Thomas.
Compte tu en finir une bonne fois pour toute avec ces choses ? »
« Je ne sais pas. Nous pouvons conclure un pacte, définir des règles. Peut
être faut-il que je retrouve ces limites que je possédais avec Suzanne. Le jour
où je sais que je perdrais le contrôle de mes pensées, je t’avertirais. Je
m’arrangerais pour te fixer une heure et une adresse à laquelle tu pourras me
rejoindre si ce genre d’incident ressurgissait » « Tu ne peux pas
tuer continuellement. Il faut du temps. Ne pas attirer les soupçons. Trouver
des alibis. Calmer les colères. Je ne pourrais jamais couvrir le meurtre de
plus de deux personnes par an Thomas » « Je ferais de mon mieux »
« Ce n’est pas un jeu ! Il ne s’agit pas de se limiter à un nombre de
personnes comme si il s’agissait d’une cure meurtrière. Si tu peux te retenir,
je t’implore de le faire. Il faut enfermer tes pulsions. Tes colères. Tes peurs.
Je préfèrerais te savoir en meilleure santé et les idées en place. Le cas
contraire, je me présenterais à l’heure que tu m’auras fixé, mais je te prie d’arrêter.
Ce n’est pas un majordome qui te le demande. C’est un père ». Thomas les
larmes aux yeux s’effondra, il tomba sur ses genoux puis s’agrippa au bas de ma
veste. Il me disait qu’il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait le
sentiment que son esprit s’égarait et que son corps agissait selon la volonté
d’une force invisible. Il me supplia de l’aider, qu’il était malade. Je le
savais bien. Thomas a toujours eu cette chose au fond de lui, qui rayait la
paroi de son crâne. Comme le son strident d’un couvert sur une assiette ou un
disque vinyle tordu tournant incessamment. Un enfant effrayé et en colère
sommeillait en Thomas. Il n’a jamais eu une vie normale. Je ne pouvais pas
tolérer ce qu’il avait fait à ces pauvres filles, mais je ne pouvais pas lui
jeter la pierre. Je réfléchissais au plus vite, à la meilleure stratégie pour
provoquer une disparition, plutôt que de laisser des preuves suggérant un
meurtre. Le magicien est capable de couper le corps d’une femme en deux, à la
condition de suivre les bons gestes et le protocole. Il était question à
présent de faire disparaitre ce qui a été abominablement entamé. J’avais besoin
de savoir si quelqu’un d’autre était au courant que la jeune fille voyait
Thomas aujourd’hui. Où si quelqu’un était tout simplement au courant de leur
relation. Il ne pu approcher cette fille sans avoir passé un peu de temps avec
elle. Un parent ou une amie devait forcement connaître leur liaison. La jeune
fille ne devait certainement pas cacher, qu’elle avait eu des rapports avec le
jeune patron des entreprises Anderson. Je demandais à tout hasard à Thomas, si
quelqu’un d’autre savait qu’ils se voyaient aujourd’hui. Il semblait avoir prit
ses dispositions. Il savait qu’elle était là, puis il est venu à l’improviste. Il
l’a connaissait depuis peu de temps et avait demandé à la jeune fille de faire
la promesse de ne pas parler de leur relation dans l’immédiat. A priori
personne, ni même les parents de la jeune fille ne pouvaient êtres sûrs de ce
qu’elle faisait aujourd’hui. Je n’avais pas d’autres choix que de faire
confiance à Thomas. Je lui ai demandé d’aller faire un tour autre part, de se
montrer aux paparazzis sur des lieux publics afin de lui constituer un alibi.
Juste le temps de me laisser trois heures pour faire de cet appartement un
leurre parfait. Thomas devra revenir, sans être suivi, pour dix huit heure,
afin qu’il valide l’état des lieux.
A
17h58 Thomas était dans le couloir de l’immeuble devant la porte. Il faisait
les cents pas. Deux minutes après j’ouvris la porte et lui fis signe de venir
voir. Il pouvait constater que la pièce était intacte. Plus aucun corps, plus
aucune tâche de sang. Les tissus étaient propres et mis en place. Les outils
utilisés par Thomas n’étaient plus là. La chambre semblait, inhabitée, propre
et rangée. Qui pouvait imaginer qu’on obtienne un tel résultat ? Même la baignoire
brillait. Thomas prononça ces mots, les yeux grands ouverts : « de
l’Art ». Qu’est ce qui plaisait le plus à Thomas en fin de compte ?
Décharger ses pulsions dans le meurtre ou être le témoin de mon travail ?
Il semblait se délecter d’un travail en binôme. Il m’appela une nouvelle fois
« le magicien ». Avait-il le sentiment qu’en voyant son crime effacé,
que ses pêchés étaient lavés ? Mon travail avait un rôle rédempteur pour
Thomas. Pour lui, l’impossible devenait possible. Cela lui donnait le sentiment
de posséder un pouvoir divin. Il ne pouvait que se croire intouchable. Il
venait même à penser que c’était lui qui permit ce miracle. Par mesure de sécurité, je ne dévoilais jamais à
Thomas comment je m’y prenais. Après tout, un magicien ne dévoile jamais ses
secrets. En ne dévoilant rien à Thomas, cela m’assurait qu’il ne pouvait
répéter mes techniques. Cela le contraignait à m’informer de ses actes, et cela
l’arrangeait tout autant. Comme un vrai spectacle de magie, il ne voulait rien
savoir des méthodes employées. Il voulait simplement s’extasier devant ce qu’il
ne pouvait expliquer. Il restait l’enfant que j’impressionnais par le passé. Si
par malheur Thomas venait à découvrir mes astuces pour faire disparaitre une
scène de crime, il tenterait de tout reproduire lui-même, jusqu’à l’erreur
fatal. Il accumulerait bien plus vite les cadavres. Par les limites du contrat
que nous nous sommes juré de respecter, je devenais inévitablement l’associé de
Thomas : Anderson et Co.
Les
années passèrent, et Thomas tua secrètement une autre femme tous les six mois,
en me donnant à chaque fois les mêmes prétextes. Je me présentais toujours à
l’heure qu’il avait fixée et qu’il respectait scrupuleusement. Je tapais
toujours trois fois à des portes différentes, puis j’assistais toujours à des
scènes de crime de plus en plus atroces et difficile à assumer. Heureusement
que mes tours marchaient à chaque fois. Thomas prenait de l’aisance. Je
frappais à la porte et il me disait d’entrer. Parfois je le retrouvais assis
dans un fauteuil, le sourire aux lèvres. Il prenait le geste professionnel de
me serrer la main pour valider l’échange, du tueur au nettoyeur. Jusqu’à ses 30
ans et moi à mes 60 ans, l’entreprise Anderson progressa comme l’avait imaginé
Thomas. Malgré ses faiblesses et ses pulsions, il était profondément un homme
intelligent qui devenait toujours de plus en plus sur de lui, mais il prenait
également trop d’assurance. De la même manière que James, Thomas pensait qu’il
pouvait exercer un pouvoir infini sur les populations. Il est vrai qu’il avait le pouvoir sur un
grand nombre d’employés. Il contrôlait d’autres marchés importants, et était un
argument de poids capable de plier ses partenaires commerciaux à ses exigences.
Il finança d’importants partis politiques et d’autres campagnes. Il avait de
très bonnes relations, des gens hauts placés dans la poche. Des juges de son
côté, les meilleurs avocats à son service. Quand il commettait de petites
infractions, les pots de vin suffisaient. Je craignais que ce succès qu’il
rencontra très tôt, lui fasse croire qu’il serait en mesure de tuer qui il
veut, aux yeux de tous. Mais ses démons agissaient toujours dans l’ombre. Il était
extrêmement malin. Voici que j’ai trente années de plus que lui et je commençais
à me fatiguer de plus en plus. Comment fera Thomas si un jour je venais
moi-même à disparaitre ? Voici huit meurtres que j’effaçais depuis
Suzanne. Plus les femmes s’intéressaient à Thomas et lui tournaient autour,
plus j’avais peur. Quelles étaient les limites de cette folie ? Je
m’épuisais, et portais le poids de plusieurs morts. Les esprits de Thomas,
semblaient cependant libres et déchargés. Je portais l’entière responsabilité
de ses actes. Jusqu’à un hiver où tout bascula.
Il
neigeait dehors. Les routes et les maisons étaient blanches. Il y avait
longtemps qu’il n’avait pas neigé ainsi. Thomas sortait d’une importante
rencontre où il signa pour d’importants partenariats. Il décida de faire un
tour dans la ville. Il descendit de son building, vêtu d’un manteau chaud, de
gants et d’une écharpe. En sortant il ne vit pas les deux jeunes femmes qui
l’attendaient près de l’entrée. Il partait vers la gauche, alors que les deux
filles étaient sur la droite. L’une était blonde, la deuxième brune. Elles
étaient magnifiques et très sensuelles dans leur allure. Elles semblaient sûres
d’elles, sûres du charme qu’elles
pouvaient avoir sur un homme. Elles réagirent vite quand elles virent Thomas
partir dans l’autre direction. Elles bondirent et se mirent à le suivre. Thomas
était assez couvert pour cacher le bas de son visage dans son col de manteau,
mais ces deux filles qui l’attendaient de pied ferme, savaient qu’il ne pouvait
s’agir que de lui. Elles le rattrapèrent progressivement, puis chacune pris un
bras à Thomas pour le suivre et avancer à ses côtés. Thomas fut surpris de voir
ces deux femmes s’agripper à lui, et ne plus le lâcher. Elles marchaient avec
lui et lui firent des propositions. Elles lui demandèrent plusieurs
choses : « Tu nous ferais visiter le haut de ta tour en
revenant ? ». Puis elles lui firent des allusions beaucoup plus
connotées et sexuelles : « Tu voudrais qu’on visite le haut de ta
deuxième tour ? Tu es plus blonde ou brune ? Comment tu nous
trouve ? Tu préfère venir chez l’une d’entre nous ? Un plan à trois
tu as déjà connu ? ». Tout s’embrasait dans la tête de Thomas. Il
souriait fièrement. Il entrait dans leur petit jeu et prenait le rôle du petit
garçon innocent qui ne connaissait rien à la vie, mais qui aimerait bien
qu’elles lui montrent leur version des prochaines heures. Thomas serrait des
dents. Ces deux femmes ne faisaient pas que de réveiller sa libido, elles
réveillaient une bête affamée. Il imaginait déjà comment il allait laisser son
imagination déborder. Comment prendre plaisir de l’instant qui s’offrait à
lui ? Un homme au loin était caché et les prenaient en photo. Ces filles
travaillaient pour ce photographe, qui lui-même travaillait pour quelqu’un de
haut placé. Ces filles avaient étés payées grassement pour êtres les objets
d’un futur chantage ou autre complot souterrain. Si les pulsions de Thomas
sommeillaient dans la plus grande noirceur de son âme, le monde tournait dans
l’ombre d’incalculables intérêts personnels. Il se fit entraîner comme une
proie dans un logement discret des rues de Londres, dans un coin peu fréquenté.
L’homme mitraillait avec son appareil. Quand Thomas entra dans la maison,
l’homme se posta aux fenêtres et changea de position en fonction des
déplacements de Thomas. Après quelques minutes, Thomas se mit à son aise, il
alla fermer les rideaux des fenêtres. Le photographe ne s’attendait pas à ce
que Thomas ferme chaque rideau et chaque store. Sa séance photo tombait à l’eau,
il ne pouvait obtenir les clichés les plus prometteurs. Surtout, il ne
comprenait pas pourquoi Thomas avait besoin de tout fermer de cette façon. Il
tourna bêtement autour de la maison, mais toutes les issues qu’il s’était
assuré de laisser ouvertes, ont été refermées. Il tentait d’écouter à travers
les portes et les fenêtres, tout en s’assurant de ne pas se faire voir par les
passants dans la rue. Il tenta d’ouvrir le plus discrètement possible, la
poignée de la porte d’entrée. Rien. Il avait tout fermé. Il se demandait
comment les choses évoluaient avec les filles. Il alla plus loin dans la rue,
s’installa sur un banc et attendait de voir du mouvement.
Pendant
que le photographe effectuait le tour de la maison, Thomas avait commencé son
œuvre. Il avait fait croire aux jeunes femmes qu’il s’agissait d’un jeu. Elles,
pensaient que Thomas voulait simplement réaliser ses fantasmes. Elles se
laissèrent ligoter à différents endroits. La brune fut attachée sur le lit par
son amie, ensuite Thomas ligota la jeune blonde dans la salle à manger sur une
chaise. Des réactions, commencèrent à inquiéter les jeunes femmes sur la nature
des actions de Thomas. Elles remarquèrent qu’il ferma toutes les issues ainsi
que les rideaux. Mais la popularité de Thomas leur empêchait de prévoir le
pire. Elles ne pouvaient imaginer qu’il se permette d’horribles fantasmes. Il
sortit du ruban adhésif de sa poche puis se retourna pour l’appliquer
soudainement sur la bouche de la jeune fille blonde. Celle ci poussa un cri bien
trop étouffé pour que son ami ne l’entende de la chambre. Thomas alla dans la
chambre puis enroula la bouche de la deuxième fille avec le ruban. Il su s’y
prendre assez rapidement, pour éviter tous hurlements audibles dans la rue.
Elles se mirent à pousser une succession de cris. Elles comptaient sur le
photographe, à l’extérieur, pour réagir suffisamment tôt. Mais ce dernier
n’intervint pas, il attendait sur l’un des bancs de la rue. Thomas décrocha son
téléphone, puis indiqua l’adresse et 15h à Edward.
Il
termina son œuvre vers 14h30. Il avait accompli là, une étape supplémentaire.
Il déchargea sa colère sur deux femmes qu’il jugeait trop provocantes. Il prit
un sac poubelle dans lequel il mit les affaires tâchées de sang. Il savait
qu’Edward allait en apporter d’autres. Il se permit d’utiliser la douche pour
se laver intégralement. Maintenant il attendait l’arrivée d’Edward avec
impatience. Dans la plupart des contes et légendes, quand un être vient à une
heure précise, frapper à votre porte, cela ne présageait jamais rien de bon. Il
était souvent question de « la mort », venant chercher l’âme de
l’être maudit. Est-ce que Thomas attendait au plus profond de ses tourments que
la mort ne l’emporte ? Attendait-il le père Noël, comme un enfant au pied
de la cheminée ? C’est seulement maintenant qu’il éprouvait la plus grande
excitation possible. Il suivait les longues minutes sur sa montre. Il ne
restait plus que treize minutes. Thomas voulait voir le tour de magie, il
attendait que le spectacle commence. Son impatience traduisait un plaisir
intense. Pour occuper ses dernières minutes, il posa une serpillère sous la
chaise où était attaché le corps de la jeune blonde. Il espérait rendre la
tâche plus facile à Edward en évitant au sang de se propager. Il s’installa
dans un fauteuil puis ne décrocha pas son regard de sa montre. Est-ce que
Edward allait prouver une nouvelle fois sa ponctualité ? Allait-il relever
le défi de faire disparaître deux corps ? Afin de faire hommage au travail
d’Edward, il cacha l’un des sous vêtement des deux jeunes filles, dans l’une de
ses manches, afin d’épater son majordome. Il restait une minute. Il suivit du
regard les soixante dernières secondes. Il arrivait déjà à entendre les trois
coups sur la porte d’entrée. Les trois coups qui certifiaient de code. Trois
seconde restante, il leva la tête vers la porte. Rien. Personne ne frappa à la
porte. Thomas resta figé, la bouche semi-ouverte. Il s’était dit que sa montre
avait une minute d’avance, pourtant il régla sa montre en même temps que celle d’Edward.
Trois minutes après, toujours rien. Thomas sentait la panique l’envahir. Il se
leva et fit les cents pas dans la maison. Il essuyait sans cesse la sueur qui
coulait de son front. Il se mit à injurier tout haut : « c’est pas
vrai ! C’est impossible ! Cela ne ressemble pas à Edward ! Ou es
t’il bordel ? ». Il respira de plus en plus vite et de plus en plus
fort. Il commençait seulement à ressentir cette sensation de panique pour la
première fois. D’habitude Edward était toujours présent au bon moment.
Pour la première fois, le petit monde parfait de Thomas Anderson s’écroulait.
Il attendait les trois coups de « la mort » à la porte. Mais rien ne
vint le chercher. Il cassa quelques objets posés sur les tables et les plans de
travail. Une poussée de colère monta en lui. Il sentit à nouveau cette
impression de délaissement, comme quand il fut enfant. Il se dit :
« Edward, toi aussi m’as-tu abandonné ? As-tu cessé d’être
loyal ? ». Il essayait de retrouver sa respiration, il suffoquait et
tremblait. Il sentit le poids des huit derniers meurtres lui rire au nez. Il
entendait la voix de Suzanne dans sa tête : « Je t’avais bien dit de
ne pas dépasser certaines limites Thomas ! Tu es livré à ton propre
sort ! ». Son portable a été tâché de sang et cassé dans l’action. Il
ne pouvait même pas appeler Edward. Il se sentit trahi, délaissé. Thomas
pensait qu’Edward avait fini par se dégonfler, par le laisser tomber. Il se mit
à maudire son majordome : « tu es finalement comme mon père ! ».
Il courut prendre un seau, et épongea maladroitement le sang avec la
serpillère. Il déversa beaucoup de sang dans les toilettes, mais il
l’éparpillait également. Le sang est visqueux, collant et très tâchant. En
tentant de réparer son œuvre, il se rendait compte du travail que c’était de
maquiller un meurtre. Hors, il s’agissait de deux meurtres. Il détacha les
corps et balança la ficelle et le ruban adhésif dans le sac poubelle. Il tira
le corps de la brune jusque sur le carrelage de la cuisine, puis il posa le
deuxième corps sur elle, pour regrouper les deux cadavres. Il prit les tissus
qu’il pouvait retirer, les rideaux, les draps, le tapis. Heureux de voir un
tapis, il se souvint de ce qu’ils firent avec Suzanne. Mais il comprit très
vite que le tapis de la maison était beaucoup plus petit et que là, il
s’agissait de deux corps. Il posa maladroitement les deux corps sur le tapis et
tenta de les enrouler. Il jeta d’autres objets souillés dans le tapis, puis il
regroupa tout le textile dans la baignoire. Il voyait que la plupart des tissus
étaient des produits Anderson. Il sourit puis remercia les deux cadavres de
leur fidélité : « c’est grâce à des gens comme vous que les
entreprises Anderson ont pu êtres prospères. Merci de votre loyauté et de votre
confiance ! ». Il resta immobile, se voyant parler à des cadavres. Ce
n’était pas des remerciements qui allaient changer grand-chose à la crise que
traversait Thomas. Il brûla les tissus dans la baignoire en déversant du White
Spirit dessus. Quand il vu toute la fumée, il jeta le contenu du seau sur les
draps. Puis il lança à nouveau un seau rempli d’eau. Il regardait sa montre, il
allait bientôt être 16h. Il resta planté au milieu de la pièce faisant face à
ce qu’il avait commis : « Edward je te déteste ! ». A 16h,
trois coups ressemblant au code, retentirent contre la porte. Il ne pouvait
s’agir que d’Edward. Thomas prit un couteau dans la cuisine. Il m’entendait
dire de l’autre côté de la porte : « C’est moi Thomas ! Ouvres
moi. ». Il ouvra la porte en gardant son autre main et la lame dans le
dos. Il resta derrière la porte puis referma la porte. Devant ce que je vis, je
ressentais une profonde peur. Je lui fis ces quelques remarques :
« Je savais que tu ne pourrais te contenter d’une seule personne. Mais
pourquoi avoir commencé à nettoyer ? Tu as aggravé la
situation ! ». Il brandit de colère et m’enfonça le couteau dans le
dos. Je hurlais de douleur. Il retira la lame, et enchaîna une succession de
coups. Je sentais de moins en moins la douleur, mais je pu ressentir Thomas s’acharner
sur moi. Il retenait mon dos contre son torse en passant un bras devant moi,
puis avec l’autre, il répétait les attaques. Il me demandait pourquoi je
l’avais trahi, tout en pleurant. Mon regard se posait sur sa montre affichant
16h03. Je mourrais, cependant soulagé. De la douleur, je n’étais devenu qu’un
esprit dans un corps sans force et sans vie. Je reconnu là l’une des mauvaises
habitudes du manoir, d’oublier de passer les horloges à l’heure d’hiver.
J’étais bel et bien à l’heure car j’avais pensé à reculer les aiguilles d’une
heure sur ma montre. Thomas n’avait même pas remarqué que les horloges de la
maison indiquaient également 15h. Je me disais que c’était mieux ainsi. Thomas
allait comprendre son erreur tôt ou tard. Je m’écroulais au sol et eu pour
dernier geste de lui pointer du doigt l’horloge de la maison. Il fixa l’horloge
tandis que j’avais rendu mon dernier souffle.
Alors
que j’allais quitter mon banc, abandonnant tout espoir, j’aperçu un homme
frapper trois fois à la porte. Je gardais toutefois mes distances. La porte se
ferma derrière l’homme âgé. Quelques minutes après, Thomas Anderson sorti de la
maison en courant. Il laissa la porte ouverte et je m’approchais, reprenant en
main mon appareil photo. Quand je franchis le seuil de la porte, les
circonstances prirent une tournure des plus horribles et inattendues. Si le
sexe est ce qui permet à l’Homme de parvenir à ses fins, le meurtre est sans
aucun doute ce qui permet de le renvoyer vers ses origines. Mes employeurs
pouvaient enfin trinquer à la fin du progrès Anderson.
FIN.